En quête de fonds pour financer son Plan National de Développement (PND), le Togo qui voulait émettre un emprunt obligataire de 500 millions d’Euros en juin 2019, y a renoncé 1.
1. EUROBOND : UNE OPPORTUNITÉ POUR LE TOGO D’EMPRUNTER À L’INTERNATIONAL
Un emprunt obligataire est une émission de dettes. Cela suppose que l’Etat togolais est en capacité de rembourser et d’honorer ses engagements. Si le Togo a renoncé à l’emprunt obligataire, c’est qu’il ne peut rembourser et surtout ne peut proposer un taux attractif pour atteindre les montants recherchés. C’est aussi que la capacité d’endettement du Togo a été largement dépassé notamment auprès des bailleurs de fonds traditionnelles (FMI, Banque mondiale, Banque africaine de développement et même les marchés de l’UEMOA ou de la CEDEAO). Il reste le marché « privé » à international, c’est-à-dire hors institutions publiques avec leurs conditionnalités.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus du Plan National de Développement que le Togo veut financer mais bien sa dette intérieure. C’est par la voix de celui qui siège à la tête du pays, Faure Gnassingbé, que le 8 juillet 2019, ce dernier a annoncé qu’il allait solliciter le marché international. Le Togo veut émettre un eurobond de 397 millions d’euros d’ici la fin décembre 2019 pour régler une partie de sa dette intérieure 2. Un eurobond (ou une obligation assimilable du Trésor) est libellé en Euro et constitue un prêt qu’un investisseur – privé de préférence mais pas que – octroie au Gouvernement togolais qui souhaite emprunter. Les eurobonds sont une mise en commun de la dette européenne avec un taux d’intérêt identique et faible afin de bénéficier d’une garantie communautaire des Etats européens et de faire jouer la solidarité en cas de défaillance de l’un des Etats. En cas de défaillance du Togo, l’investisseur privé risque de se retrouver vers un pays européen, notamment la France. Est-ce que celle-ci acceptera de jouer le jeu ? Rien n’est moins sûr puisqu’à ce jour, Le Président Emmanuel Macron n’a pas reçu Faure Gnassingbé officiellement à l’Elysée.
2. LE TOGO EMPRUNTE POUR PAYER SA DETTE INTÉRIEURE
Si le Togo émet une dette pour payer une autre dette, il y a, au plan structurel, un problème sérieux de gouvernance. Car la vraie question est de savoir comment le Gouvernement compte rembourser les investisseurs privés à terme. Surtout que le prêteur peut revendre son obligation à tous moments avec comme conséquence, un monopole de la dette par un prêteur principal qui pourra faire « chanter » le gouvernement togolais ou exiger des contreparties bien au-delà de ce qui figurait au contrat de prêt. Bref, le Togo risque de se retrouver avec une créance toxique.
La dette intérieure signifie que le Gouvernement n’a pas honoré ses engagements vis-à-vis des entreprises et emprunteurs nationaux. On peut se demander pourquoi des projets sont lancés, les réalisations manquent de qualité ou créent de nouveaux problèmes et que l’Etat se retrouve incapable de rembourser dans les délais impartis. Il y a un problème de gouvernance et peut-être de corruption et d’impunité dans le détournement des objectifs assignés aux projets financés. De toutes les façons les projets financés n’ont pas le retour sur investissement recherché. Aucun audit indépendant n’a à ce jour pu faire l’Etat des lieux des échecs, gaspillages ou détournements, voire disparition pure et simple des fonds, non-respect de la loi de programmation financière, exécution de budget dans des conditions de non-transparence et de contrôles indépendants, etc.
3. LE TOGO PREND DES RISQUES AU LIEU D’AMÉLIORER LA QUALITÉ DE L’EXÉCUTION DES PROJETS
Aller emprunter sur le marché international de la dette n’est pas une mauvaise chose en soit car cela permet d’augmenter la capacité de mobilisation des ressources du pays. Il faut comprendre que les eurobonds sont aussi des euro-obligations, donc le prêt est libellé dans la devise EURO et est octroyé par un investisseur (privé ou public) à l’Etat togolais pour une pour une période de temps définie à un taux d’intérêt fixe. Outre le risque de change avec en filigrane un doute des investisseurs sur la valeur du Franc CFA ou la valeur d’une monnaie ECO à terme, le marché UEMOA semble ne plus inspirer confiance. Personne ne sait ce que vaudra à terme et en équivalent devise étrangère le FCFA s’il existe encore, ou l’ECO (la monnaie régionale (CEDEAO) ou sous-régionale (UEMOA)) si elle voit le jour… un jour. Il est même question déjà d’une monnaie ECO qui ne sera que la dévaluation de fait du Franc CFA 3.
Il faudrait vérifier d’ailleurs si les taux d’intérêts, plutôt bas actuellement dans la zone Euro et accordés aux Etats européens, va s’appliquer au Togo. Le taux d’intérêt qui sera applicable aux eurobonds ou euro-obligations sont variables. Ce taux peut varier dans des proportions qui pourront asphyxier le Togo à terme et transformer cet emprunt en programme d’austérité, voire de transferts sous la forme de privatisation des capacités productives togolaises vers les créanciers. En l’espèce, le Togo s’affranchit en apparence des contrôles et de la dépendance vis-à-vis des créanciers publics comme le FMI ou la Banque mondiale sauf que l’alternative des eurobonds/euro-obligations est un risque que le Togo prend.
Les dons, prêts concessionnels et autres contributions bilatérales et multilatérales dans le cadre de l’aide publique au développement n’ont pas modifiée structurelle les niveaux de déficits structurels du Togo, ni d’ailleurs les inégalités, la corruption ou encore la pauvreté. Le solde budgétaire global, hors subventions du Togo était de -7 % du produit intérieur brut (PIB – richesse du pays) en 2018 et est estimé en amélioration par le FMI autour de -5,6 % du PIB en 2019. Ce qui est moins bien que la moyenne du solde budgétaire global de la zone franc, estimée à -3,7 % du PIB en 2018 et -3,4 % du PIB en 2019. Lorsque le Togo bénéficie des aides, subventions et autres soutiens extérieures affectés au budget de l’Etat, ce solde budgétaire est présenté comme une amélioration avec un solde budgétaire globale y compris dons estimé à -3,1 % du PIB en 2018 et -1,5 % du PIB en 2019. Autrement dit, près de 4 % du budget du Togo provient des partenaires étrangers qui ne font pas toujours des dons, mais des prêts, offrent des délais de grâce donc des reports dans le temps dès lors que cela permet de renforcer la tendance à la servitude volontaire de certains dirigeants africains de la zone franc. Cela n’a véritablement pas permis de parvenir à un solde budgétaire global positif, ce depuis plus de 20 ans, et vraisemblablement bien au-delà.
Alors, est-ce que les objectifs de développement peuvent-être atteints avec les eurobonds si la gouvernance et surtout la qualité de l’exécution des projets ne s’améliorent pas, la réponse est non, avec un risque accru d’une nouvelle dépendance envers des créanciers qui, à la première manifestation de l’opposition togolaise, vendront leurs obligations à ceux qui disposent de pouvoir de coercition sur les Etats africains. Certaines entreprises multinationales peuvent même considérer cet état de fait comme une nouvelle stratégie pour pénétrer de « force » un marché togolais peu transparent et s’accaparer des pans entiers de l’économie togolaise, comme cela fut le cas pour la Grèce, membre de l’Union européenne.
4. UN DÉFAUT DE REMBOURSEMENT RISQUE D’ÊTRE PAYÉ PAR LES TAXES SUR LES POPULATIONS
Les conditions de surveillance associées aux financements des budgétaires des Etats par de nombreuses institutions publiques internationales sont souvent assorties de délai de remboursement plutôt court avec des injonctions mettant en cause la souveraineté des Etats. Les plafonds d’endettement étant atteints au Togo (70 % du PIB – richesse nationale), il fallait trouver d’autres alternatives plus risquées. Le développement pour lequel tous ces prêts sont effectués pourraient n’être qu’un prétexte pour des détournements structurels importants dont profitent les entreprises nationaux et internationaux et en définitive l’Etat lui-même. Un simple audit aurait permis de comprendre le manque d’efficacité de la gouvernance publique avec de nombreux projets sans avantages et bénéfices pour les populations. L’état déplorable de l’Hôpital Sylvanus Olympio dans la capitale togolaise suffit pour se faire une idée des arbitrages pro-oligarchie au pouvoir qui se font au Togo.
Si les projets proposés par le Gouvernement togolais ne remplissent ni les missions de rentabilité économique, ni de rentabilité sociale encore moins environnementale, alors il y aura véritablement une mal-gouvernance qui pourrait finir par générer des divergences d’arbitrages politiques sérieux. Les conséquences pourraient, paradoxalement, retomber sur les responsables politiques togolais eux-mêmes.
Le Togo a légèrement réduit sa dette publique sans qu’il y ait nécessairement une bonne gestion des finances publiques. La dette du gouvernement est passée de 74,6 % du PIB à 70,4 % du PIB en 2019 avec des estimations autour de 65,8 % en 2020. Mais le retour sur investissements des projets au Togo n’est pas encore au rendez-vous. Les populations ne peuvent considérer comme un succès, ce qui ne leurs profitent pas. Les taxes ne font d’augmenter sans contreparties en termes d’infrastructures de bien-être pour les citoyens de ce pays ! YEA.
18 juillet 2019.
Dr Yves Ekoué AMAÏZO, PhD, MBA
Directeur Afrocentricity Think Tank
© Afrocentricity Think Tank
Écouter l’interview du Dr Yves Ekoué AMAÏZO auprès d’ Africa 24 TV. Le journal de l’économie du Vendredi 19 juillet 2019.
Source : www.icilome.com