Le texte intégral du « discours-programme du Président Sylvanus Olympio le 27 avril 1967 à l’Assemblée Nationale »

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DISCOURS-PROGRAMME DU PRESIDENT SYLVANUS OLYMPIO
LE 27 AVRIL 1960 A L’ASSEMBLEE NATIONALE
Présenté par MPL-ABBLODEVIWO

Notre cher Togo, notre terre bien aimée, devient aujourd’hui, au moment même où je parle, un pays libre. Le peuple togolais devint une nation indépendante, souveraine, appelée à participer à la vie internationale, de concert avec les autres nations, sur un pied de complète égalité.
Le peuple togolais exulte. Une émotion intense nous étreint, et les mots sont impuissants à traduire notre bonheur en ce jour unique de notre histoire.

Ce jour unique, nous n’avons cessé d’y penser, depuis des années. Des années durant, nous l’avons préparé, nous l’avons voulu de toute notre volonté, de toutes nos forces. Aucun sacrifice ne nos a paru trop grand pour y parvenir. Nous l’avons attendu avec patience, dans la fièvre et l’espoir. Et voilà que le rêve devient réalité, notre Togo va jouir de son indépendance.

Qu’il me soit permis de souligner que nous avons gagné la joie de vivre ce jour par un effort constant, soutenu pendant quinze ans, malgré de nombreuses difficultés qu’il nous a fallu surmonter les unes après les autres. Si notre pays – Dieu en soit loué – n’a pas traversé l’épreuve de luttes sanglantes, comme il en fut malheureusement pour d’autres nations, il nos a fallu cependant affirmer nos droits, convaincre de la justesse de notre cause, démontrer aussi notre capacité à gérer nos affaires. Ma pensée va vers tous ceux qui ont collaboré à cette œuvre, de près ou de loin, directement ou indirectement, vers tout le peuple togolais, uni dans sa détermination à vivre libre.

Ce n’est pas le moment ni le lieu de raconter l’histoire de la nation togolaise. Je désire simplement rappeler que la colonie allemande du Togo, aux frontières déterminées par l’arbitraire qui a présidé au partage de l’Afrique au siècle dernier, placé après la première guerre mondiale sous mandat de la Société des Nations, confiée pour partie de son territoire à la Grande Bretagne, pour partie à la France, est devenu en 1947 un pays soums au régime de la tutelle de l’Organisation des Nations Unies, et administrée par les deux anciennes puissances mandataires.
Quelques discutables qu’aient été les frontières qui nous furent ainsi attribuées, un sentiment d’unité nationale a pris corps, s’est développé, s’est affermi, s’est imposé. Depuis 1945 et tout spécialement grâce à l’Organisation des Nations Unies, une très vive aspiration à l’indépendance s’est fait jour dans les territoires coloniaux qui, comme le Togo, avaient pris conscience de leur existence en tant que nation. Nous avons l’honneur d’avoir été parmi les premiers à l’affirmer hautement et à demander une modification fondamentale de notre régime politique. Peu à peu nos idées se sont répandues, se sont précisées, et, si d’autres pays ont atteint avant nous le but que nos touchons aujourd’hui, j’ai la conviction que c’est un peu grâce au Togo.

En ce jour, comme d’ailleurs en aucun moment du passé, il n’y a place dans notre cœur pour aucune haine, aucun ressentiment. Au contraire – et je tiens à le déclarer tout haut – nous n’éprouvons que de la reconnaissance envers les puissances qui ont administré nos affaires.
Reconnaissance envers l’Allemagne qui a été historiquement la première à apporter chez nous la vie moderne : elle a ouvert les premières routes, tracé nos chemins de fer, apporté les premières remèdes de la science aux maladies et aux épidémies qui nous décimaient, bâti les premières écoles, dirigé notre économie vers le commerce mondial. En trente années, son travail fut considérable et marqua profondément notre pays.

Reconnaissance à la France qui n’a pas failli à ses traditions de libéralisme et de générosité pendant les quarante années de son administration au Togo. Par ses soins, jamais le Togo ne fut confondu avec aucun pays voisin et notre personnalité fut toujours respectée : ce fait fut capital pour la formation de notre nation. Malgré l’immense tâche de reconstruction qui lui incombait à la suite de la dernière guerre mondiale, la France a eu à cœur d’investir de très importants capitaux pour assurer notre développement économique et social, et ce ne serait qu’ingratitude que de dénier toute efficacité au rôle du « F. I. D.E. S. ». En outre, par des réformes politiques essentielles, ébauchées au lendemain de la dernière guerre mondiale, elle nous a donné les moyens de préparer l’indépendance en nous initiant à la gestion des affaires publiques. Je sais le rôle capital qu’a joué en cette matière l’Assemblée représentative du Togo, dont l’honneur m’échut d’en être à plusieurs reprises le président, et qui était devenue par la suite Assemblée territoriale. La loi-cadre de 1956 accéléra encore ce processus. Il me plait de rendre ici un hommage tout particulier à la personne du Président de la République Française, que les impératifs de la politique mondiale ont empêché d’être parmi nous aujourd’hui, le Général de Gaulle, qui, un des premiers, a compris que l’Afrique ne pouvait rester dans l’immobilisme et que l’Homme africain devait assumer ses propres responsabilités.

Je me dois aussi de dire toute la reconnaissance que nous avons pour l’Organisation des Nations Unies, pour les hommes qui ont eu l’idée de cette institution et pour les pays membres. L’O. N. U. a été l’espoir qui nous a soutenus durant ces dernières années. D’elle nous avons puisé tous les encouragements en la justesse de notre cause avec l’assurance de ne pas être laissés sans soutien et sans recours lorsque le régime de la tutelle prendrait fin, et ceci sans rien aliéner de notre souveraineté.
A tous les fonctionnaires d’outre-mer, administrateurs de tous grades, médecins, instituteurs, militaires de tous grades, aux missionnaires et commerçants qui ont contribué à cette grande tâche qui est celle de bâtir un nation, j’exprime ma reconnaissance profonde.

Je ne retarderai pas d’avantage le moment d’adresser publiquement nos remerciements émus à toutes les nations qui, en ce jour, ont tenu à se faire représenter par d’éminentes personnalités à la naissance de leur jeune sœur, la Nation Togolaise, affirmant ainsi l’esprit de solidarité internationale qui les anime ; qu’elles soient assurées que notre amitié leur est acquise. Excellences, croyez que mon pays vous sait le plus grand gré d’avoir accepté l’abandon momentané de vos occupations, d’avoir accepté d’affronter un long voyage et, pour beaucoup, un pénible changement de climat, pour venir rehausser de votre présence l’éclat de cette fête, témoignant par là tout l’intérêt que vous portez personnellement à l’événement. Que votre séjour parmi nous soit des plus agréables et qu’après un heureux retour parmi les vôtres, vous vous souveniez de notre petit Togo, avec, je l’espère, le désir d’y revenir, assurés que vous y serez toujours les bienvenus.

Mes remerciements les plus chaleureux vont aussi à nos compatriotes à l’étranger qui, à des titres divers, ont contribué à l’émancipation de notre chère patrie. Qu’ils sachent que leur tâche n’est pas encore terminée. A partir d’aujourd’hui, ils doivent redoubler d’effort et de vigilance pour apporter leur aide à la Nouvelle Nation Togolaise dont la plus grande ambition est de servir la cause de la paix et de réaliser le bonheur de son peuple. Qu’ils aient toujours à cœur et à l’esprit la sauvegarde de l’honneur et du bon renom de notre patrie.

Pour vous tous enfin, mes chers compatriotes, aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur, ce jour est avant tout un commencement, un départ. Certes, ce qui nous tenait à cœur, et qui était notre premier objectif, l’indépendance, est maintenant un fait accompli, une réalité tangible. Mais il nous appartient désormais, et à nous seuls, d’assumer la responsabilité de notre développement économique et social, d’imposer le respect de nos opinions et de nos droits, d’affirmer notre existence dans l’honneur et la dignité. Tout cela se fera, mais ne se fera qu’avec le concours de vous tous. Togolaises et Togolais, résolument unis, résolument décidés à travailler tous ensemble à l’œuvre commune. Nous ne disposons pas actuellement de ces énormes capitaux indispensables à tout progrès matériel, mais nous disposons de nos bras et de nos têtes qui peuvent en tenir lieu. Mettez-vous à l‘œuvre, que la tâche qui incombe à chacun soit accompli de la manière la plus parfaite et le reste nous sera donné par surcroît.

Je me plais à souligner que notre indépendance ne peut se concevoir que dans la justice et la liberté ; liberté d’action, de pensée et d’expression de cette pensée, mais liberté qui pour être véritable et durable doit être assortie d’un sage respect des droits de chaque homme, de chaque femme et être exemple de toute idée de licence ou d’anarchie.

Alors uni, tranquille, prospère, le peuple Togolais se sentira plus fort pour entreprendre avec les autres peuples africains cette grande œuvre d’union fraternelle qui doit faire de ce continent, qui est le notre, un pays effectivement libre et désormais respecté.

Cela implique, bien entendu, compréhension totale et amitié profonde entre nos différentes nations. Mais je ne doute pas que nous y parvenions bientôt, la vieille sagesse africaine devant, là aussi, prévaloir.

Il est vrai que depuis quelques temps déjà l’idée de l’unité africaine a fait du chemin. Certains leaders d’Etats indépendants d’Afrique ont exprimé leur manière de la concevoir, mais il semble que pour ce problème d’actualité brulante, l’accent ait été trop souvent mis, plus sur l’unité politique, que sur l’unité économique. Nous avons, en effet, de nombreux problèmes économiques communs à toute l’Afrique et il est temps qu’une proposition concrète et pratique soit présentée dans le domaine de la coopération économique. Je suis, pour ma part, persuadé que c’est par la coopération économique que nous pourrons dès à présent contribuer, dans une grande mesure, au bien être des habitants de l’Afrique Occidentale qui nous concerne directement. Par ce moyen, nous pourrons avoir plus de chance de succès que dans le domaine politique où nous sommes confrontés avec des problèmes à long terme, complexes et parfois ardus.
Pour des raisons peut-être faciles à comprendre, les puissances administrantes et européennes de l’Afrique occidentale ont peu fait dans le passé pour promouvoir une politique de coopération entre leurs différents territoires. A présent que plusieurs pays d’Afrique sont indépendants ou vont le devenir bientôt, la responsabilité de cette tâche audacieuse doit désormais incomber aux africains eux-mêmes.

En Afrique occidentale, nous avons à faire face à de gros problèmes de commerce, échanges, de travail, d’émigration, problèmes pour lesquels nous devrions trouver une solution urgente. Pour ce faire, il faudrait provoquer une rencontre de tous les Etats indépendants intéressés.
Tenant compte du caractère particulier du commerce de l’ouest africain d’aujourd’hui il faut au moins requérir l’avis de ceux avec qui nous commerçons, afin de mieux situer le problème et arriver à une solution pratique.

En outre, nous ne devons pas exclure de cette grande réunion les observateurs désintéressés, tels que les représentants d’organismes internationaux, la commission économique des Nations Unis pour l’Afrique, par exemple. En guise de proposition plus concrète, nous pourrions envisager, dès à présent, l’institution d’un organisme de coopération économique de l’ouest africain qui pourrait revêtir, par exemple, la forme de l’O.E.C.E. Cet organisme serait un champ de rencontre pour d’importantes discussions et permettrait la coordination des efforts dans un domaine bien spécifié, en évitant toutefois l’immixtion dans les affaires intérieures des Etats membres.

Il semble que le moment soit déjà venu d’envisager la création de cet important organisme, mais je souhaiterais que sa première réunion n’ait pas lieu avant que l’indépendance des Etats frères du Mali et du Nigéria ne soit définitivement proclamée.

Si l’unité africaine, tant économique que politique est le but qui nous tient le plus à cœur, cela ne signifie point que nous bornerons nos horizons à la seule Afrique. Désireux de pratiquer la politique de la porte ouverte, nous entendons, au contraire, entretenir avec tous les Etats, de quelques continents qu’ils soient, des relations d’amitié basées sur une mutuelle compréhension et le respect réciproque des institutions de chacun. ‘’ S’il est possible, autant que cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les hommes. ‘’ Tel est l’enseignement de la Bible. En un mot, nous n’avons d’amertume pour personne, mais nous offrons notre amitié à tous les peuples et Nations.

Le Togo, hier encore pupille de l’Organisation des Nations Unies, tiendra à l’honneur d’observer scrupuleusement tous les principes qui font la force de cette institution et sur lesquels notre pays a toujours fondé l’action qui devait le conduire à l’indépendance. Et ce sera sa fierté, demain, d’être admis au sein de l’organisation qui, contre vents et marées, maintient la sécurité internationale et préserve la paix.

La recherche de la paix, qui, dans son premier état, se confond avec la coexistence pacifique sera un des impératifs de notre politique extérieure. C’est pourquoi le Gouvernement de ce pays est fermement décidé à observer vis-à-vis des blocs qui continuent de diviser le monde une attitude de stricte neutralité. Il ne peut d’ailleurs en être autrement vu la situation de notre pays, son exiguïté et les problèmes particuliers qui se posent à lui.

Pour nous, Togolaises et Togolais, nos actes quant à notre pays, doivent être accomplis dans le respect que nous devons à ceux qui, ayant vécu avant nous, sont à l’origine de notre peuple, dans l’intérêt que nous devons porter à ceux qui, demain, nous succéderons. Nous devons tout mettre œuvre pour que le Togo de nos fils et filles soit plus beau, plus grand, plus uni que le nôtre. Les vieilles querelles tribales, les vieilles animosités de familles doivent définitivement disparaître. De l’océan aux frontières du nord, de l’Akposso au Mono, le Togo doit être un, libre et fier.
Togolaises, Togolais, faisons tous aujourd’hui dans notre cœur le serment indéfectible de respecter la devise de notre Etat : « Travail-Liberté-Patrie », que ces mots soient à jamais vivants dans notre esprit, que Dieu nous donne la volonté d’aimer notre Togo et d’en faire un pays heureux.
Ainsi, nous assurerons la grandeur de notre patrie, de la Terre de nos Aïeux que chante notre hymne national et que symbolise le drapeau qui, choisi par nous, flotte depuis ce matin sur tout le Togo.

Vive le Togo indépendant !

Source : www.icilome.com