Le pouvoir, ses fastes, ses privilèges, ses illusions déconnectées des réalités basiques des populations conduisent forcément au suicide politique. Dans son livre « Renoncer au pouvoir, un acte fondateur », l’analyste politique Jacques Le BRUN nous rappelle : « Renoncer, c’est poser un acte véritablement fondateur : c’est-à-dire un acte qui fait ce qu’il dit et, par-là dévoile sa vérité et ses fondements, il expose le pouvoir dans la nudité de son absolu et ouvre un temps nouveau». L’histoire nous renseigne davantage sur la problématique du renoncement au pouvoir ou du suicide politique. Rien en 1969 n’obligeait, selon la Constitution, le Général De Gaulle à renoncer, tout comme rien n’interdit François Hollande à se présenter de nouveau aux suffrages.
Dans le premier comme dans le deuxième cas, ces deux hommes politiques ont pris conscience à un moment donné du rejet de leurs personnalités par la majorité du peuple dont ils sont au service. Cette grandeur d’esprit qui a même éclairé le Pape Benoît XVI à renoncer à sa mission pontificale est une denrée rare au sein du RPT/UNIR qui régente le Togo depuis 50 ans avec un bilan des plus calamiteux. Faure Gnassingbé qui a succédé à son père qui a dirigé le Togo d’une main de fer durant 38 ans, dans un bain de sang, n’envisage pas de renoncer au pouvoir ni aujourd’hui ni demain après 12 ans d’exercice. Il ne peut en être autrement pour un homme qui a déclaré devant les militants de son parti au Palais des Congrès en 2005 que son père lui a dit de ne jamais abandonner le pouvoir au risque de ne plus le retrouver.
La conception d’un tel personnage ne peut qu’être suicidaire. Et la vague de contestations historiques qui secoue son pouvoir depuis le 19 août dernier et la répression sauvage et sans précédent qui s’abat sur les populations, surtout dans la région septentrionale avec des centaines de réfugiés enregistrés au Ghana, atteste de la posture de « moi ou le chaos » adoptée par l’actuel locataire du Palais de la Marina. Les témoignages sur les exactions commises par les militaires sur les femmes, les enfants et les personnes âgées font actuellement le tour du monde sans susciter la moindre condamnation. Fort de ce sentiment d’impunité dont bénéficie son régime depuis les massacres de 2005, Faure Gnassingbé compte toujours sur la répression pour réduire le peuple au silence.
Mais les Togolais qui n’ont plus rien à perdre parce qu’ils ont déjà tout perdu avec ce régime, ne sont pas prêts à renoncer à ce combat pour la liberté. C’est en prenant en compte cette détermination que l’on peut s’autoriser à dire que les choses risquent de se compliquer pour ce régime qui est indéfendable sur tous les plans. En quelques semaines, le monde entier s’est rappelé la nature autocratique voire tyrannique du pouvoir de Lomé : exactions contre les civils, tuerie d’enfants, violations de domiciles privés, emprisonnement massif des opposants au régime, coupure d’Internet, etc. Et pourtant Faure Gnassingbé s’est décarcassé pour faire croire au monde, surtout à ses collègues présidents qu’il est différent de son père. On voit qu’il est bien pire que son géniteur. Le peuple fatigué de sa gouvernance jouissive, de ses promesses jamais tenues, de sa volonté de régner à vie, de la nature corruptive de son régime, tient désormais la minorité en joug. Ni les subterfuges, ni la répression n’entameront la détermination des Togolais à en finir avec son régime. Les militaires et les milices qui participent à la répression n’arriveront jamais à bout de la détermination des Togolais, tout comme le quarteron de généraux d’opérette qui jouent les jusqu’au-boutistes. Qu’on le veuille ou non, Faure Gnassingbé pliera bagages, que ce soit maintenant ou après. La question est de savoir comment il partira. Va-t-il choisir de partir en douceur, comme un certain Dos Santos en Angola, ou opter pour le suicide politique de lui-même et tout son camp comme Adolph Hitler, Blaise Compaoré, Yahya Jammeh et bien d’autres qui ont fait le choix de sombrer avec tout leur parti ?
Au sein du parti au pouvoir, certains commencent à prendre conscience du danger qui consiste à rester sur une ligne rigide jusqu’au bout. Cette posture pourrait bien être préjudiciable pour ceux qui ont fait le choix de leur carrière politique dans ce parti. Dans la perspective du prochain congrès de l’UNIR qui a tout l’air d’une nébuleuse, des langues commencent par se délier. Certains n’hésitent plus à dire ouvertement que Faure Gnassingbé renonce à être candidat en 2020 au profit d’un autre candidat du RPT/UNIR. Pour l’heure, il est difficile d’avoir une idée de ceux qui sont porteurs de ce courant et ce qu’ils représentent au sein du parti. Toujours est-il que loin des caméras et parfois dans des cercles très restreints, certains n’hésitent plus à déclarer ouvertement qu’ils sont fatigués de ce système qui les a aussi réduits en esclavage. Jusqu’où ira ce jeu d’hypocrisie ? Et c’est à ce niveau que celui qui continue de baigner dans une illusion morbide de s’offrir un bail à vie à la tête du pays se trompe non seulement d’époque, mais aussi de soutien dans son propre camp.
Tous les autocrates finissent toujours ainsi, rattrapés au crépuscule de leur règne par un lâchage systématique, même parfois des proches les plus zélés. La marge de manœuvre est bien étroite pour Faure Gnassingbé qui prépare le congrès de son parti fin octobre à Tsévié, avec à la tête du comité d’organisation un certain Magnim Esso Solitoki, l’un des caciques et dinosaures du système en place. Un congrès qui tournera la page du bureau fantôme et hémiplégique de Georges Aïdam, toujours contesté au sein du parti. Qui prendra la relève en ces temps d’avis de tempête ?
Le fils du père qui s’est rabattu sur sa famille maternelle après avoir bâillonné la famille paternelle a bien son idée. La piste d’un membre de sa famille maternelle n’est pas exclue, mais reste à savoir si ce pseudo pasteur actuellement à la tête d’une régie financière et qui, dans un zèle inouï, conduit les séances de prières à la Présidence -suivez nos regards- sera adoubé par les autres composantes du parti. Quoi qu’il en soit, la situation est bien délicate pour Faure Gnassingbé qui risque de se retrouver en face d’une grogne au sein de son parti alors qu’une grande partie du peuple met déjà son mandat à rude épreuve.
Le peuple togolais a suffisamment envoyé des signes d’avertissement à Faure Gnassingbé. C’est à lui et à sa minorité pilleuse et jouissive de déterminer la manière dont ils comptent quitter la scène. En attendant, le peuple togolais espère que les contacts prévus entre lui et le président ghanéen mandaté par ses pairs pour intervenir sur la crise togolaise seront porteurs d’une solution acceptable. Autrement, la crise risque de s’envenimer, pour le plus grand malheur des pays voisins qui seront obligés de recevoir des centaines de réfugiés.
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