Le pouvoir pour le pouvoir ou l’inconscience des derniers roitelets d’Afrique. L’exemple du Cameroun et du Togo

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Faure Gnassingbe et Paul Biya

«Sous le prétexte d’un coup d’Etat, des Camerounais, par centaines ont été tués, et enterrés dans des fausses communes, telles que les archives nous les montrent aujourd’hui. La guerre menée contre Boko Haram ou celle menée contre les séparatistes anglophones, nous la vivons avec beaucoup d’amertume parce que c’est une occasion de mettre entre parenthèse les libertés des citoyens; c’est une occasion de donner un chèque en blanc à des hommes en tenue pour pouvoir liquider des populations même celles qui ne sont pas concernées par ces différentes guerres».  (Dr Hilaire Kamga, militant camerounais des droits de l’homme)

Nous étions logés au bâtiment G3 dans l’enceinte du lycée de Tokoin, en deuxième année à l’université du Bénin, quand Paul Biya prit le pouvoir le 6 novembre 1982 après la démission subite du président Amadou Ahidjo. 42 ans après, grabataire, il y est toujours. Il a vu défiler sept présidents aux USA, cinq en France et l’Allemagne est à son quatrième chancelier. Beaucoup de ses courtisans, pour leurs intérêts personnels, comme il y en a un peu partout dans nos républiques bananières en Afrique, lui demandent de briguer pour un mandat de plus. Paul Biya, le «Dieu du Cameroun», quant à lui, ne dit rien et laisse planer le doute sur son avenir personnel et sur celui de son pays qui risque de connaître des lendemains tumultueux après sa disparition. Avoir eu la chance de diriger aux destinées de son pays et se prendre pour un roi dans une république, ou pour un petit dieu intouchable, à qui tout est permis, est une vilaine manie qui reste malheureusement encore répandue sur le continent noir. Bien que beaucoup de responsables politiques au sommet de leurs états en Afrique laissent faire la démocratie, donc l’alternance, avec des fortunes diverses, certains comme Paul Biya au Cameroun, ou Faure Gnassingbé au Togo, aveuglés par la jouissance du pouvoir pour le pouvoir, semblent avoir oublié qu’ils sont à la tête des républiques avec des lois que tout citoyen, même président, devrait respecter. C’est eux qui font la loi, ou plutôt ils sont devenus la loi.

Paul Biya a l’habitude dire «dure au pouvoir qui peut». La longévité au pouvoir sans véritables contre-pouvoir, avec toute la puissance, tous les avantages indus et l’impunité en prime pour les nombreux crimes économiques et humains, finit par faire croire à des potentats comme le vieillard de 91 ans qu’il n’a de comptes à rendre à personne et que finalement le Cameroun part de lui et revient à lui; les autres citoyens qu’ils considèrent comme ses sujets ne comptent pas. Le sort des Togolais n’est pas non plus des plus enviables. Parions que si Éyadéma Gnassingbé n’avait pas été terrassé par la maladie, il serait toujours président du Togo, car l’homme de son vivant ne s’était jamais imaginé une vie hors du pouvoir. Dirigeant autoritaire qu’il fut pendant des décennies, quand il était le centre de tout et que personne n’osait le contredire, Éyadéma ne pouvait pas, ou ne voulait pas supporter qu’on lui parle tout à coup de partage du pouvoir, ou même de le quitter, en devenant la cible d’attaques et d’accusations de la part des opposants ou d’une presse qui a retrouvé sa liberté de ton. Et c’est cette mentalité qui était à la base de sa résistance au renouveau démocratique du début des années 1990 jusqu’à sa mort le 5 février 2005. Et malheureusement la disparition physique de Gnassingbé Éyadéma n’avait pas mis fin à la galère des Togolais. La «vengeance» d’outre-tombe du natif de Pya contre son peuple pour «ingratitude» était l’imposition de Faure Gnassingbé, un de ses fils, par une armée aux ordres, aux Togolais.

Nous disons toujours que nos voisins de l’est, les Béninois, devraient remercier un certain Mathieu Kérékou et s’incliner devant sa mémoire. Car il était militaire comme Éyadéma et pouvait aussi faire de la résistance et lâcher des tueurs à la trousse de ses opposants, mais avait laissé se tenir la première conférence nationale en Afrique et en avait accepté le caractère souverain et les décisions. Au Togo, entre le renouveau démocratique et Éyadéma ce n’était pas le grand enthousiasme. Revenons au Cameroun et au Togo pour dire que les deux pays, du point de vue de leur histoire, du point de vue des gouvernances politiques décriées qui y ont cours, ressemblent à des frères siamois. Les deux pays furent colonisés par l’Allemagne à partir de 1884 jusqu’à la défaite allemande à la première guerre mondiale en 1918. Mais le fait d’avoir eu un colonisateur commun ne peut pas expliquer que nos deux pays connaissent aujourd’hui un destin politique peu enviable. La raison qui explique le fait que des potentats aient pu s’inscruster aussi longtemps au pouvoir sans apporter le développement dont peuvent se prévaloir des régimes normaux dans d’autres pays dans ce laps de temps, est à chercher du côté de la méchante mentalité des dictateurs en question et de celle de leurs entourages respectifs.

Pour quelles raisons des chefs d’état, une fois arrivés au pouvoir, d’une façon ou d’une autre, Paul Biya au Cameroun, Éyadéma et Faure Gnassingbé au Togo et beaucoup d’autres ailleurs, ne veulent pas quitter pour que l’alternance soit possible dans leurs pays? Pourquoi cherchent-ils des subterfuges, -modification unilatérale de la constitution, élections truquées-, pour essayer de rendre légal leur maintien vaille que vaille au pouvoir, comme par exemple, Faure Gnassingbé le fait au Togo? En attendant, au Togo comme au Cameroun, la dictature, la mauvaise gouvernance, avec pour conséquences le sous-développement, la pauvreté endémique, les nombreuses violations des droits de l’homme, semblent avoir encore de beaux jours devant elles, hélas. Au Cameroun de l’irremplaçable «Dieu sur terre» Paul Biya il est même interdit à la presse de parler de sa santé au risque d’encourir des sanctions. Les États-Unis d’Amérique demeurent en 2024 la première puissance économique au Monde. Là, sous la pression de la presse, le président Joe Biden avait fini par reconnaître qu’à presque 82 ans, il n’est plus tout à fait apte et a jeté l’éponge pour les prochaines élections présidentielles. Paul Biya a 91 ans, est malade, marche à peine, ne dirige plus rien, laissera après sa mort un pays en lambeaux sur tous les plans, comme c’est également le cas togolais. Tout ce qu’il peut encore faire c’est de disposer de l’argent de tous les Camerounais pour vivre dans les palaces les plus chers au monde. Pauvre Afrique!

Samari Tchadjobo
Allemagne

Source : 27Avril.com