Le politologue Togolais Madi Djabakaté penche pour un Premier Ministre issu de « la société civile pour dépassionner la transition »

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Transition ou pas transition au Togo ? C’est la grande interrogation en attendant la feuille de route de la CEDEAO le 31 Juillet prochain. En tout cas, sans attendant cette feuille de route, certains togolais échafaudent des plans pour cette transition pour laquelle plaide l’opposition togolaise et précisément la C14. S’intéressant au Premier ministre possible de cette transition, le politologue togolais, Madi Djabakaté penche plus pour un Premier Ministre qui proviendrait « de la société civile pour dépassionner la transition ». Il l’a fait savoir à travers un message qu’il dit adresser à ses cousins…

MESSAGE AUX COUSINS DU 13 JUILLET 2018

Bonjour chères cousines et chers cousins,

Selon Sartre, « l’intellectuel est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ». Vous comprendrez à la fin de mon message.

« Je parlerai cette semaine de la personne qui dirigera le prochain gouvernement de transition. »

Une semaine particulière et spéciale pour moi car je sens en moi une surcharge d’énergie. Je pense que cela se justifie plus par vos différents messages qui me permettent de réaliser qu’il y a des gens qui prennent le temps de me lire et n’hésitent pas à entrer en contact avec moi pour qu’on continue la réflexion. Je vous en remercie. Je sais que dans un contexte comme le nôtre où les gens veulent voir les autres se ranger de leur côté, on se demande de quoi se mêle le Cousin d’Etat. En tout cas, le Cousin d’Etat en sa qualité de Politologue peut apporter sa contribution plus efficacement en restant dans la posture qu’il a toujours adopté. Après tout n’est-ce pas qu’un politologue est celui qui suit l’actualité, collecte des données, mène des enquêtes de terrain et présente les résultats à travers des conférences, des tribunes ou des ouvrages. Et ce que beaucoup d’entre vous ignore, c’est que pour réussir dans ce métier, il faut prendre la distance par rapport aux événements et aux acteurs. Cela est indispensable à l’analyse. Une certaine autonomie intellectuelle est également nécessaire afin de savoir aborder les sujets. Alors souffrez de m’entendre répéter que je ne peux pas mettre mon nom dans le business des partis politiques. En vérité je vous le rappelle, le Politologue ou le Politiste, qui en réalité est à l’image des termes bonnet-blanc/blanc-bonnet, désigne un individu qui se spécialise dans l’étude des sciences politiques. Il n’est pas un moraliste ou un philosophe, mais un analyste qui cherche à rendre plus claire la chose publique. Et c’est ce que je fais pour vous mes cousines et cousins. Et vous me comprendrez mieux dans mes différentes contributions si vous vous faites une idée claire de la science politique. La science politique est la discipline qui étudie les phénomènes politiques. Elle est le résultat de l’institutionnalisation progressive d’un ensemble de champs du savoir (droit, économie, histoire, sociologie) lorsque ceux-ci s’intéressent plus spécifiquement à l’étude du pouvoir, si bien que l’on a pu parler pendant longtemps de sciences politiques au pluriel. Il s’agit donc d’une discipline se situant au carrefour de plusieurs autres et dont les méthodes d’analyse sont les mêmes que celles utilisées par les sciences sociales. Donc vous comprendrez pourquoi je me mêle de tous les sujets. Ce n’est pas un choix personnel. C’est une déformation professionnelle.

« Les sciences politiques cherchent à comprendre les mécanismes de pouvoir, l’influence et les rouages des acteurs du monde politique. »

L’objet de la science politique est donc le conflit et sa régulation par l’utilisation du pouvoir. Cela signifie qu’aucun problème de société n’est par nature politique mais que n’importe lequel est susceptible de le devenir pourvu qu’un groupe s’en saisisse. C’est là tout l’enjeu du politique. La reprise de ces questions sociales par les pouvoirs publics est l’objet d’une traduction au politique qui implique un certain codage visant à identifier des victimes et des responsables, à traduire les problèmes catégoriels en problèmes d’intérêt général, à interpeller la classe politique (celle qui gouverne et l’opposition de manière à les faire prendre position) et à surestimer les capacités d’action gouvernementale en demandant plus que ce qu’elle faisait avant la mobilisation.

Chers cousins et cousines, ce choix de parler de la science politique ce vendredi n’est pas anodin et vous vous en doutez. Et c’est pourquoi je profite de l’occasion pour aller en profondeur sur le sujet. En résumé je dirai que les sciences politiques cherchent à comprendre les mécanismes de pouvoir, l’influence et les rouages des acteurs du monde politique. Elles analysent le fonctionnement des institutions de l’Etat et des groupes en compétition pour orienter sa conduite ainsi que le décodage des attitudes citoyennes. L’action publique fait aussi partie de l’objet d’étude, qu’il s’agisse par exemple de la relation entre l’administration et le citoyen, l’évaluation des politiques publiques ou encore des règles en matière de bonne gouvernance. Donc, de par sa fonction, le professionnel des sciences politiques étudie, comprend et éventuellement analyse le monde dans lequel il vit. Il repère les contraintes qui pèsent sur les décisions collectives et agit sur ce monde de manière rationnelle, efficace et juste. La polyvalence de sa fonction le rend apte à saisir et à maîtriser les composantes sociales, économiques et politiques des problèmes posés à nos sociétés. Selon les situations auxquelles il est amené à s’intéresser, il assume sa fonction. Et sa connaissance approfondie de nos sociétés, la palette des techniques qu’il maîtrise et de sa capacité d’analyse restent un atout pour ceux qui savent profiter de ses contributions. Alors vous comprendrez pourquoi dans mon message du 06 Juillet 2018, je me suis permis d’annoncer que je parlerai cette semaine de la personne qui dirigera le prochain gouvernement de transition.

Chers cousins et cousines, vous savez tous que lorsque la communauté internationale s’implique dans la résolution d’une crise, la transition reste la finalité et c’est sur elle que reposent les espoirs. Tout comme il est dit que la démocratie est le moins pire des régimes, la transition reste la moins pire des techniques de résolution des conflits par la communauté internationale en dépit des déceptions connues dans certains pays. Le TOGO d’ailleurs n’échappe pas aux transitions calamiteuses. C’est d’ailleurs ce qu’a écrit le Professeur Babacar Gueye en rappelant qu’au Togo, l’issue de la conférence a été militarisée ; l’armée est intervenue dans le processus aux côtés du président pour contester certaines décisions de la conférence nationale et lui imposer sa volonté en définitive.

Toutefois cette mauvaise expérience ne doit pas constituer un motif de découragement pour les acteurs actuels même si ce sont les mêmes qui étaient à la manette dans les années 90. Je dirai plutôt que c’est un atout. Ils ont appris de cela. Il faut garder en tête que le plus souvent si le virage n’est pas bien négocié, les transitions politiques sont plus marquées par l’organisation des élections qui est privilégiée par rapports aux autres points de la feuille de route. Surtout quand on enclenche une transition chronométrée. Les Premiers Ministres Koffigoh et Agboyibo pourront édifier l’opinion sur la réduction de leur feuille de route à la tenue des élections. La transition, c’est la dictature de l’impératif électoral. C’est pourquoi il faut éviter d’avoir une idée propagandiste d’une transition. Il vaut mieux savoir d’avance ce qu’elle est et anticiper pour ne pas oublier le cap.

Sur la question des transitions, il y a un travail formidable qui a été fait par l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales) qui est un Think Tank français que j’espère voir un jour dépassé par le CGDPC (Centre pour la Gouvernance Démocratique et la prévention des Crises) sur les questions africaines. En attendant, je profite de leurs recherches.

Donc la transition n’est pas, forcément, un moment d’unité nationale, d’amélioration de la sécurité, de refondation de l’Etat, de réconciliation ou de reprise économique. Je ne veux pas en réalité être catégorique sinon je dirai que la transition est tout sauf les éléments que j’ai cités plus haut. Les transitions sont plutôt une promesse de reconstruction, de pacification et de refondation. Il faut le comprendre ainsi et planifier en fonction pour pouvoir designer ceux qui animeront cette étape. Car c’est un tournant où le pays sera ultra dépendant de la communauté internationale qui d’ailleurs a le plus souvent trop de rivalité en son sein à cause des enjeux/intérêts particuliers. A titre d’exemple je vous invite à reprendre les différentes sorties du Président Macron sur la situation togolaise. Je suis même tenté de dire que son dernier crochet au Nigeria était pour demander au Président du Nigeria de s’occuper de ses affaires intérieures.

C’est en tout cas une présomption simple ; les transitions sont dominées par des choix de court-terme qui priment sur les décisions de long-terme politiques et sont préjudiciables à une sortie de crise durable. Prenant conscience de tout ça, il faudra dans l’identification des acteurs de la transition penser à privilégier ceux qui ne seront pas obnubilés par l’organisation d’élections bâclées et qui feront de la mise en place des reformes de l’administration (sécuritaire, judiciaire, territoriale et électorale) leur priorité. Et une telle mission je suis tenté de recommander que le lead soit confié à une femme. J’imagine votre surprise mais elle n’a pas besoin d’être.

« J’ai eu la chance de voir une femme incarner ses sœurs en faisant office de tampon entre les egos démesurés de plusieurs acteurs politiques de l’opposition. »

Les femmes togolaises ne se sont jamais désintéressées de la chose politique. Elles sont concernées à plusieurs titres et se sont toujours positionnées depuis la lutte pour l’indépendance comme des actrices potentielles dans toutes les phases de la lutte démocratique pour un Togo meilleur, en particulier dans les politiques de réconciliation, de refondation et de développement. Et depuis septembre 2017, j’ai eu la chance de voir une femme incarner ses sœurs en faisant office de tampon entre les egos démesurés de plusieurs acteurs politiques de l’opposition.

Je parle bien évidemment de Madame Adjamagbo. A sa façon et même si parfois je la critique, elle a su depuis le début de la crise, faire la coordination de 14 entités dont la cohabitation actuelle demeure un rêve pour nombre d’observateurs qui suivent l’histoire du Togo depuis l’adoption de la charte des partis politiques. Au centre des siens de l’opposition, en face de ses adversaires du pouvoir, elle a pris part à l’ensemble des processus décisionnels même si l’on tarde à voir du concret ou du tangible des multiples rendez-vous de l’hôtel du 2 Février.

Dans un contexte comme le nôtre où il est de plus en plus sûr que la CEDEAO proposera une transition avec un Premier Ministre issu de l’opposition aux côtés du Président de la République jusqu’à la fin de son mandat en 2020, je suis tenté de demander que le job soit confié à une femme qui saura faire preuve de fermeté et de compréhension à la fois. Selon les Nations Unies, lorsque les femmes dirigent et participent aux processus de paix, celles-ci durent plus longtemps. Il apparaît de plus en plus clairement que les femmes sont de fermes contributrices au maintien de la paix dans leurs communautés et nations. Comme je le disais il y a quelques jours sur une plateforme, il n’y a pas lieu pour les togolais d’attendre l’arrivée d’un prophète politique. Ils doivent se contenter de ceux qui sont déjà avec eux et se sont engagés pour la cause. Ils doivent donc essayer la formule féminine et laisser la femme qui joue déjà le rôle l’assumer car au moins elle a une idée des enjeux de son camp comme du camp d’en face. C’est pour cela qu’en réponse à certains de vous dans nos discussions privées, j’ai insisté sur le fait qu’il ne faut pas perdre le temps à dresser un profil de qui dirigera la transition pour créer une nouvelle guerre de chef qui fera perdre patience à l’opinion nationale et internationale. Il faut juste formaliser le mécanisme spontané qui est déjà en place et incarné par Mme ADJAMAGBO.

Dans un tout autre contexte, j’aurai proposé que le Premier Ministre provienne de la société civile pour dépassionner la transition. Mais quand je lis la météo politique, la C14 se braquera avec cette formule. Et je la comprends car craignant de se voir ravir la vedette d’une action initiée par l’un des leurs et entretenue par tous. Mais d’un autre côté il faut que le processus reste sous le contrôle de la C14 pour que leur responsabilité soit totale dans l’issue de la crise.

C’est pour éviter un enlisement de la transition que j’en appelle aux responsables des 13 autres Partis de l’opposition à faire bloc derrière la personne de leur cousine ADJAMAGBO. Dans tous les cas, elle a un CV qui n’a rien à envier aux 13 autres de l’opposition ou tout éventuel acteur de la société civile intéressé par le job. Pour reprendre Sartre, j’attire l’attention des 14 et de la société civile sur le fait que « le théâtre ne doit pas dépendre de la philosophie qu’il exprime. Il doit exprimer une philosophie, mais il ne faut pas qu’on puisse à l’intérieur de la pièce poser le problème de la valeur de la philosophie qui s’y exprime ».

Qui suis-je pour continuer par écrire après Sartre ? Je m’arrête ici.

Rendez-vous vendredi prochain Inch Allah.

Mohamed MADI DJABAKATE

Le Cousin d’Etat

N.B : Photo 228news.com

Source : telegramme228.com