L’apiculteur Mohamed Kourouma, membre de l’interprofession, dit tout sur le miel togolais, les difficultés que la filière rencontre et ce qu’il faut faire pour qu’il devienne compétitif. Il en parle dans une interview consultable dans La Lettre Agricole.
Le 20 mai de chaque année est dédiée à la journée internationale de l’abeille. Comment est-ce que vous préparez cet évènement ?
Le 20 m ai est décrétée journée mondiale de l’abeille par l’Organisation des Nations
Unies. Cette date fait référence à la date de naissance d’un chercheur apiculteur et en même professionnel (Anton Janša, l’apiculteur slovène reconnu aujourd’hui comme étant le père de l’apiculture moderne, Ndrl).
On n’a pas encore eu la chance d’organiser cet évènement au Togo mais cette année, on prévoit des manifestations afin d’attirer l’attention sur le monde apicole togolais, partager les problèmes et les inquiétudes des apiculteurs avec l’État ou les organismes qui peuvent apporter leur aide à la filière. Ça va être une première
édition au Togo.
Les préparatifs vont bon train ?
Oui. Je pense qu’il y a beaucoup de passionnées de l’abeille ou de l’apiculture au Togo. Je pense que ça va très bien ; parce qu’il y a beaucoup de partenaires en vue et qui peuvent nous accompagner. En plus l’État à travers les ministères en charge de l’Agriculture et de l’Environnement est disposé à no us assister.
Comment se porte la filière au Togo ?
En réalité, la filière apicole se porte pas mal. Il faut rappeler que c’est une
nouvelle filière puisqu’elle a été organisée il y a quelques années, le début de toute
chose étant toujours difficile. Ce n’est pas facile mais on croit en notre filière et on travaille pour que ça aille mieux.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez souvent ?
La filière est composée essentiellement de deux maillons : les producteurs et les commerçants. Très souvent en Afrique et par rapport aux structures associatives
ou coopératives, il faut passer par l’éducation et la formation. Car beaucoup
d’adhérents ne com prennent pas trop ce qu’est une association et cela est déjà un problème d’organisation. Beaucoup de producteurs ont appris l’apiculture sur le tas à
travers les parents. On peut dire que beaucoup ont appris l’apiculture ancestra le. Mais aujourd’hui, pour la protection de la nature, pour ne pas trop tuer les
abeilles, l’apiculture moderne est de plus en plus privilégiée. Elle exige la formation pour la pratiquer. Car aujourd’hui, très peu font le miel de qualité. Je n’ai pas encore dit le faux miel.
Alors, c’est quoi la différence entre le miel de qualité et le faux miel ?
Le faux miel n’est pas à base du miel produit par l’abeille. Il y a des gens qui le font à base du sucre et qu’ils mettent sur le marché. Il y a le miel produit par les abeilles. Il y a des apiculteurs qui ne sont pas formés mais qui récoltent, traitent et conditionnent, mais qui dégradent la qualité du m iel. Le miel de qualité dépend de l’apiculteur bien formé et qui intervient dans les processus de récolte, de traitement et de conditionnement.
Que dites-vous des obstacles auxquels l’apiculture togolaise fait face ?
Les abeilles sont célèbres pour leur rôle qu’elles jouent dans la fourniture d’aliments de haute qualité : miel, gelée royale et pollen, ainsi que d’autres produits tels que la
cire d’abeille, la propolis et le venin d ’abeilles mellifères.
Pourquoi les abeilles sont cruciales pour les personnes et pour la planète?
Lorsque les animaux et les insectes collectent et répandent le pollen des fleurs, ils permettent aux plantes, y compris de nombreuses cultures vivrières, de se reproduire.
Les oiseaux, les rongeurs, les singes et même les hommes pollinisent, mais les
pollinisateurs les plus courants sont les insectes et, parmi eux, les abeilles. Les pollinisateurs contribuent directement à la sécurité alimentaire. Près des trois quarts des plantes qui produisent 90% de la nourrit ure mondiale ont besoin de cette aide
extérieure. D’après les experts apicoles de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, un tiers de la production alimentaire mondiale dépend des abeilles.
Les abeilles sont célèbres pour leur rôle qu’elles jouent dans la fourniture d’aliments de haute qualité : miel, gelée royale et pollen, ainsi que d’autres produits tels que la
cire d’abeille, la propolis et le venin d’abeilles mellifères.
Elles font également partie de la biodiversité dont nous dépendons tous pour notre
survie. « Des passages sacrés sur les abeilles dans toutes les grandes religions du
m onde soulignent leur importance pour les sociétés humaines au fil des millénaires », indique un rapport de mai 2019 de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).
De plus, l’ apiculture est une source importante de revenus et assure un important moyen de subsistance en milieu rural. « L’abeille domestique occidentale est le pollinisateur en élevage le plus répandu au monde. Environ 81 millions de ruches dans le monde produisent environ 1,6 million de tonnes de miel par an », indique le rapport.
Cependant, même si la grande majorité des espèces de pollinisateurs sont sauvages, dont plus de 20 000 espèces d’abeilles, leur reproduction en masse et le transport à grande échelle des pollinisateurs présentent des risques en termes de transmission de pathogènes et de parasites.
Le risque non intentionnel pourrait être réduit par le biais d’une meilleure réglementation de leur commerce et de leur utilisation, souligne le rapport.
Les abeilles sont menacées en raison de la pollution de l’air et des pesticides
Les abeilles et autres pollinisateurs, tels que les papillons, les chauves-souris
et les colibris, sont de plus en plus menacés par les activités hum aines. Le
rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur
la biodiversité et les services écosystémiques cite « les changements d’affectation
des sols, la gestion agricole intensive et l’utilisation de pesticides, la pollution de
l’environnement, les espèces exotiques envahissantes, les agents pathogènes et le
changement climatique », comme principales menaces à l’ abondance, à la diversité et à la santé des pollinisateurs.
En mai 2018, l’Union européenne a confirmé l’interdiction partielle de trois insecticides, les néonicotinoïdes, afin d’atténuer la menace mortelle qu’ils représentent pour les abeilles et leur effet en chaîne sur la pollinisation
dans son ensemble.
On pense également que la pollution atmosphérique menace les abeilles. Des recherches préliminaires ont montré que les polluants atmosphériques
interagissent avec les molécules odorantes émises par les plantes dont les
abeilles ont besoin pour localiser leurs aliments. Les signaux mixtes interfèrent.
Pour ce qui concerne le maillon des commerçants, c’est juste le nom qui existe. Les
producteurs sont leurs propres commerçants. Le marché du miel au Togo n’est pas encore développé. La consommation prend aussi un sérieux coup ; puisque les
gens consomment plus du sucre que du miel. Ce qu’il faut faire pour inverser la
tendance est de faire connaître le miel et ses bienfaits, à la population. Il
ne faut pas seulement prendre le miel comme un produit qui rem place le
sucre dans nos consommations du thé. Le miel fait plus que ça. Les
gens doivent savoir son importance, ses bienfaits spirituels afin qu’ ils le
prennent autrement. Le miel n’est pas, à proprement parler, consommé au Togo. Ce qui fait qu’on a des difficultés à l’ écouler sur le marché local. Aussi n’est-on pas
encore arrivé à satisfaire la demande européenne qui s’évalue en conteneur. Il
faut donc revoir tous ces facteurs-là.
Le chef de l’État a effectué le mois passé des tour nées dans les cinq régions du Togo. C’était lors des Forums des producteurs agricoles du Togo (Fopat). Vous avez participé à l’étape de Sokodé dans la région centrale. Quelle place a été accordée à la filière apicole ?
Avant c’était le Forum national des paysans. Mais cette année on a changé la formulation ; c’est devenu Forum des producteurs agricoles du Togo (Fopat) qui s’est tenue dans chaque région. Ce qui ne se faisait pas avant. La manifestation de cette
année a permis de sortir les problèmes spécifiques de chaque région parce que
les régions n’ont pas les mêmes problèmes.
Certaines ont des terres fertiles que d’autres n’en ont pas. D’autres encore
ont besoin d’engrais alors que certaines n’en ont pas besoin. Le fait que le Fopat
ait pris en compte les problèmes spécifiques à chaque région est déjà une
très bonne chose. Aussi la présence du chef de l’État qui a touché certaines
réalités est à saluer et je souhaite que le forum des producteurs agricoles du
To go continue sur cette lancée.
Pour ce qui est de la place réservée à l’apiculture lors du Forum, je dirai qu’il n’y a pas une grande place. Aujourd’hui, les gens pensent plutôt manger que de prendre le
miel. Le miel pour d’autres personnes, c’est pour se faire plaisir. Le quotidien
pour le Togolais, c’est ce qu’il faut manger pour bourrer le ventre et c’est le
problème du maïs. Fopat amis plus d’accent sur les produits agricoles de base
que la production du miel. Donc, il n’y a pas vraiment une grande place accordée
à l’apiculture.
Vous êtes vous senti lésé qu’on n’ait pas accordé une place à l’apiculture?
Je ne me suis pas senti lésé parce qu’il y a beaucoup de filières par exemple le maïs qui est le produit de base au Togo. L’apiculture doit faire son petit chemin pour qu’o n
puisse lui donner une place.
Et c’est à nous les apiculteurs de travailler à cela. Les préparatifs concernant l’organisation de la journée mondiale de l’abeille sont une occasion pour nous de nous faire connaître. A nous de dire à l’État qu’on est là.
Peut-on avoir une idée du nombre de coopératives ou de membres que la filière regroupe ?
C’est difficile parce que tous les apiculteurs ne sont pas enregistrés au niveau du bureau national. Il y a en a plus que ceux qui sont connus. Il y a beaucoup d’apiculteurs qui ne sont pas dans les Coopératives ; et pourtant le bureau national est composé d’associations et de Coopératives. Si un apiculteur ne fait pas partie de ces groupements, il n’est pas reconnu. Chaque année le nombre d’apiculteurs augmente ainsi que la production mais on ne peut pas dire avec certitude le nombre
d’apiculteurs au Togo. Il va falloir faire une sérieuse enquête pour connaître
exactement le nombre de personnes qui exercent dans la filière.
En 2021, l’Union européenne (UE) a certifié le miel togolais. C’est un marché de 400 millions de potentiels acheteurs qui s’ouvre pour le miel togolais. Comment avezvous reçu cette bonne nouvelle ? Combien de litres la filière a déjà exporté vers l’Europe ?
On a travaillé sur le dossier depuis 2019 et la certification pour exporter le miel vers les 27 pays de l’ Union européenne a été donnée en 2021. Donc ça appris trois (03) ans avant que le miel togolais ne soit retenu comme un produit qui peut se vendre dans l’UE.
Mais cette autorisation est assortie d’une condition. L’exportation est conditionnée à certaines mesures que le Togo n’a pas encore rempli jusqu’à ce jour. Le miel togolais n’est pas encore vendu dans l’Union européenne. Personne ne remplit les conditions.
Et quelles sont les conditions ?
Si tu veux être un établissement ou une structure qui peut envoyer le miel de qualité vers l’Union européenne, il te faut une miellerie moderne de grande capacité de
production. Il faut respecter les normes comme, la récolte, le traitement, le
conditionnement du miel. Il faut ajouter que sur le marché européen ou
mondial, le miel ne se vend pas en litre, mais en kilogramme alors que chez
nous on le vend en litre. Par rapport à toutes ces paramètres, il y a beaucoup
de choses à revoir avant que le miel togolais puisse être exporté.
Comment se porte votre structure ?
Elle a été créée en 2019 pour l’agrobusiness et était au départ spécialisé dans la vente du soja, de l’anacarde, entre autres. Après ma nomination à la tête des commerçants du miel de la région centrale et suite à mon arrivée dans
l’ interprofession, certaines réalités m’ont rattrapé comme le problème du
marché du m iel. Je suis président des commerçants de la région centrale où 80% du miel est produit et chaque année on a un problème de mévente. J’ai été approché par des producteurs qui me demandaient des solutions pour l’ écoulement du miel.
Cette réalité m’a rattrapé et il fallait trouver une solution alternative aux normes requises par l’ UE. C’est de là que m’est venue l’idée de transformer le miel togolais à des sous-produits comme les compléments alimentaires, cosmétiques.
Cette réflexion m’a conduit à changer la vision de mon entreprise et je m e suis
retrouvé dans l’agroalimentaire et transforme le miel en seize produits et qui sont vendus au Togo.
Parlez-nous un peu de vos débuts.
Le début de toute chose est difficile. Je n’avais pas de référence et quand c’est comme cela, on devient autodidacte ; en fait on s’est fait face à un dilemme : se former ou aller chercher les compétences ailleurs. Ça a été m on cas. J’ai pris plus de six ans à me former et il fallait aller chercher des formations partout dans le monde
pour voir ce qui se fait dans la transformation de miel. Tout cela m ’a rendu professionnel. Je dois souligner l’apport d’un français spécialisé dans la cosmétique.
Quelle est votre position par rapport aux effets des pesticides sur les pollinisateurs ?
Je pense que c’est un véritable problème pour l’Afrique et ce n’est pas un problème pour les apiculteurs seuls. Les pollinisateurs ne pollinisent pas les apiculteurs seuls. Ils le font pour tout le monde et interviennent dans tout ce que nous mangeons. Par
exemple : s’il n’y a pas de pollinisateurs, on ne peut manger le m aïs. Vous comprenez que ce n’est pas un problème pour l’apiculteur seul. L’Europe s’est développée en ne tenant pas compte de tout ça et elle en souffre. Il n’y a plus d’abeilles. L’Afrique a une chance et c’est de regarder ce que l’Europe a fait sur les pollinisateurs pour ne pas com mettre les mêmes erreurs. La question doit être comment protéger les pollinisateurs et les agriculteurs. Et je pense qu’on a suffisamment des compétences pour trouver un bon équilibre.
Et pour conclure ?
J’interpelle l’Afrique et le Togo en particulier. On a suffisamment de surfaces pour développer l’apiculture. Chaque apiculteur est un protecteur de la nature. Si on aide, ou forme les apiculteurs à mettre les ruches dans des forêts classées ou dans
n’importe qu elle forêt, personne ne viendra couper du bois, mettre le feu.
Autrement dit, un apiculteur est un protecteur de la nature. J’exhorte les
autorités à regarder l’apiculture qui est une filière de l’avenir.
Source : icilome.com