Le franc CFA est une monnaie africaine !

0
372

Depuis les récentes déclarations des deux vice-présidents du Conseil italien, Matteo Salvini et Luigi Di Maio, le débat sur le franc CFA a refait surface. 

Ces derniers ont accusé la France d’appauvrir l’Afrique à travers son partenariat dans la gestion du CFA, ce qui serait à l’origine du phénomène d’immigration massive des Africains vers l’Europe. 

Cette intervention a engendré des polémiques créant une certaine confusion dans l’opinion publique.

Sans pour autant répondre aux détracteurs de la monnaie commune, Kossi Ténou, le directeur national de la BCEAO pour le Togo, a donné mardi un certain nombre de précisions sur le fonctionnement du franc CFA, le rôle de la France dans la gestion de cette monnaie et comment la conduite de la politique monétaire de la BCEAO est au service des progrès économiques des Etats membres de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA).

Dans l’entretien qui suit, il revient très largement une question qui suscite la polémique en Europe et en Afrique.

Republicoftogo.com : Le franc CFA est-il vraiment un frein pour le développement des pays qui l’utilisent ?

Kossi Ténou : La réponse est bien évidemment non. Qu’est-ce qui est attendue d’une monnaie ? Premièrement, il faut qu’elle soit acceptée par la population et permette de mesurer la valeur des biens et services de nature différentes. 

Deuxièmement, il faut que la monnaie facilite les transactions entre les agents économiques. Enfin, il faut qu’elle serve de réserve de valeur, c’est-à-dire qu’elle offre la possibilité de différer la consommation dans le temps, au moyen de l’épargne.

Le franc CFA assure parfaitement ces trois fonctions. S’agissant, en particulier, du rôle de réserve de valeur, la BCEAO, à travers sa politique monétaire, maintient la stabilité des prix, afin de préserver la valeur de l’épargne des agents et donc leur pouvoir d’achat. 

Cette stabilité des prix rassure également les investisseurs et leur donne une visibilité quant à la rentabilité de leurs investissements. 

La stabilité des prix soutient aussi la compétitivité à l’exportation, car les prix de nos biens exportés évoluent moins vite que ceux de nos concurrents.

Mais, la monnaie seule ne suffit pas pour développer un pays ou une union monétaire. Elle doit s’intégrer dans un dispositif global de politiques économiques.

Aujourd’hui, nous nous réjouissons que, depuis 2012, l’activité économique de la zone UEMOA progresse de façon vigoureuse. Le taux annuel de croissance économique de l’Union a toujours dépassé 6%. Et les perspectives sont encore favorables.

Au regard de ces performances économiques, comparativement à celles des autres pays d’Afrique subsaharienne, nous pouvons dire que le CFA, tel que géré dans notre zone, constitue plutôt un outil de stabilité au service des économies de l’Union.

En d’autres termes, la gestion commune du franc CFA constitue, aujourd’hui, un gage de stabilité pour l’épargne, l’investissement et la croissance économique.

D’une manière générale, il est important de garder à l’esprit trois leçons tirées des études empiriques.

Premièrement, il n’existe pas de corrélation établie entre l’appartenance ou non à la zone franc et la performance des pays en matière de croissance économique ; ensuite, il n’existe pas de relation directe entre la nature du régime de change et la croissance économique ; les facteurs non-monétaires sont les principales causes de différenciation des niveaux de développement économique des pays.

Republicoftogo.com : L’objectif d’un maintien de l’inflation à 2% dans les pays de l’UEMOA n’est-il pas trop restrictif pour des économies en développement ? Cet objectif ne se traduit-il pas par une limitation du crédit et donc par des effets négatifs sur la croissance et le développement ?

Kossi Ténou : L’inflation est une sorte d’impôt sur les populations les plus démunies. 

Elle se traduit par une baisse du pouvoir d’achat qui sera ressentie plus fortement par ceux dont les revenus sont faibles, voire très faibles, que par les plus riches. 

Pour les pays en développement, compte tenu des revenus modestes, cela peut comporter des risques de troubles sociaux. Bien au contraire, la stabilité des prix est plus cruciale dans les pays en développement. 

Les vives tensions sociales qu’ont connues les pays de l’Union en 2008 lorsque le taux d’inflation s’était situé à 7,4%, en moyenne, devraient interpeller.

Affirmer que la stabilité des prix limite l’octroi de crédits est erroné. 

L’inflation était de 1,5% sur les cinq dernières années alors que les crédits accordés par les banques se sont accrus de près de 17% par an sur la même période, soit un taux de croissance des crédits parmi les plus élevés du Continent.

Republicoftogo.com :  Les taux des prêts accordés dans la zone ne sont-ils pas trop élevés ? La parité fixe n’est-elle pas responsable de cette situation ? Le niveau de financement bancaire des économies de la Zone franc serait en deçà de ceux observés dans les autres pays correspondant aux mêmes tranches de revenu. Qu’en est-il réellement ?

Kossi Ténou : Dire que les taux d’intérêt de la zone UEMOA sont les plus élevés d’Afrique est incorrect. Cette analyse laisse penser qu’il y aurait une orientation restrictive sur le financement de l’activité économique dans l’Union, imputable au franc CFA.

Au sein de l’UEMOA, aucune politique de restriction de crédit n’est en vigueur. Bien au contraire, la BCEAO a mené une politique monétaire de soutien aux politiques économiques des États membres.

Le taux directeur, c’est-à-dire le taux auquel les banques prennent les ressources auprès de la Banque Centrale pour pouvoir les prêter ensuite aux agents économiques, est l’un des plus faibles en Afrique. Il s’est établi à 2,5% depuis septembre 2013. A titre de comparaison, ce taux s’élève aujourd’hui à 5,0% au Botswana, 4,35% en Chine, 6,75% en Afrique du Sud, 14,0% au Nigeria et 16,0% au Ghana.

Le taux moyen auquel les banques prêtent aux agents économiques est passé de 8,3% en 2011 à 6,9% en novembre 2018. Il est donc inférieur à ceux pratiqués dans certains pays africains, notamment au Kenya (12,61% en octobre 2018), au Nigeria (16,64% en novembre 2018). Ainsi, il revient relativement plus cher d’emprunter dans ces pays que dans la zone UMOA.

Le marché du crédit se développe rapidement dans l’Union, en lien avec les mesures prises par la BCEAO pour renforcer le financement du développement des économies. Le ratio crédit à l’économie sur PIB dans l’Union, qui rend compte du financement de l’économie par les banques, s’est significativement accru sur la récente période, en passant de 20% en 2010 à 28% en 2017. 

A titre de comparaison, en 2017, ce ratio est de 16% au Ghana, 14% au Nigeria, 31% au Botswana et 148% en Afrique du Sud.

Ainsi, il y a donc eu une évolution favorable du volume des crédits et des taux sur les crédits appliqués à la clientèle. 

La BCEAO est consciente que les taux devraient encore baisser davantage afin de permettre aux populations d’accéder au crédit à moindre coût pour financer leurs investissements.

Il faut rappeler que la décision d’accorder un crédit à des particuliers ou des entreprises ne revient pas à la BCEAO, mais plutôt aux banques commerciales. 

Cependant, celles-ci ne prêtent qu’aux agents économiques sûrs et solvables, c’est-à-dire capables de rembourser. De plus, le tissu économique et social de l’Union est composé à plus de 80% par des Petites et Moyennes Entreprises (PME) demeurant dans l’informel qui ne disposent pas d’états financiers permettant d’apprécier leur capacité à rembourser les crédits.

Parallèlement, les agents économiques devraient aussi maintenir leur confiance dans le système afin d’y déposer leurs dépôts sous forme d’épargne, qui servira ensuite à octroyer des crédits. 

Consciente de ces défis, la BCEAO a engagé plusieurs projets structurants.

On peut citer la création des bureaux d’information sur le crédit (BIC) pour garantir une bonne qualité d’information entre les prêteurs et les emprunteurs.

Un dispositif a été mis en place pour soutenir le financement des PME/PMI (Dispositif PME) qui apporte une réponse appropriée à la problématique de l’accès de ces entreprises au financement bancaire, à travers les incitations offertes par la Banque centrale aux établissements de crédit et une meilleure organisation de l’accompagnement de ces entreprises.

Ces mesures existent pour augmenter les capacités de financement des banques ainsi que la promotion de nouveaux instruments de financement, notamment le crédit-bail, la finance islamique et l’affacturage.

Republicoftogo.com : Pourquoi la Banque centrale ne finance-t-elle pas directement les économies de l’Union ?

Kossi Ténou : Les textes de base qui organisent l’activité de la BCEAO, notamment ses statuts, ne permettent pas à celle-ci de jouer le rôle des banques de développement et de financer directement les économies de l’Union. 

C’est à travers le refinancement en faveur des banques et établissements financiers qu’elle finance indirectement l’économie. 

Il est important de rappeler qu’en 1975, la BCEAO avait fait l’expérience de financer directement les économies de l’Union, mais cette option avait vite montré ses limites. 

En effet, outre l’impact négatif sur l’allocation des ressources, elle s’est soldée par une fragilisation de la situation des banques, ce qui a conduit à la douloureuse restructuration du système bancaire à la fin des années 80. 

Une réforme a été initiée en 1989 et a consacré la libéralisation des conditions de banque et la rénovation du cadre de mise en œuvre de la politique monétaire.

Sur le plan international, l’histoire monétaire a montré que les périodes d’hyperinflation qu’ont connues certains pays ont, en partie, été le fruit du recours immodéré à la planche à billets pour financer directement l’économie nationale ou les besoins de l’État.

D’une manière générale, depuis le début des années 1990, le consensus s’est établi sur le plan international que le rôle d’une Banque centrale dans le financement de l’économie doit rester indirect. Elle doit concentrer ses efforts sur la réalisation de la stabilité des prix, reconnue comme le meilleur apport  de la politique monétaire à la croissance économique.

Republicoftogo.com : Le franc CFA n’est-elle pas une monnaie coloniale ? Les pays de la zone franc paieraient-ils un impôt colonial à la France qui date des indépendances ?

Kossi Ténou : Non ! Le franc CFA est une monnaie africaine, gérée par les africains, et qui inspire confiance.

Certes, c’est une monnaie héritée de la colonisation et qui s’appelait le franc des Colonies Françaises d’Afrique. Mais depuis l’accession à l’indépendance des Etats membres de l’Union, les Africains se sont appropriés cette monnaie et le franc CFA signifie « franc de la Communauté Financière Africaine » pour l’UEMOA. C’est une monnaie africaine, gérée par les Africains.

Aucun impôt n’est payé par les pays de la Zone franc à la France. Il s’agit d’une invention sans fondement des détracteurs.

Republicoftogo.com : Pourquoi la monnaie des pays de la zone contient-elle encore le terme « franc », alors que celle-ci est désormais liée à l’euro et que la France elle-même n’a plus le franc français ?

Kossi Ténou : L’appellation ‘franc’ n’est pas l’apanage de la zone UEMOA. En effet, plusieurs pays en Afrique et ailleurs utilisent cette dénomination. Par exemple, le franc congolais de la République Démocratique du Congo, le franc guinéen, le franc rwandais, le franc burundais, le franc de Djibouti et même le franc suisse.

Republicoftogo.com : Pourquoi les billets « franc CFA » sont-ils fabriqués dans un village français alors que les autres pays africains produisent eux-mêmes leurs propres billets ?

Kossi Ténou : C’est inexact de dire que les autres pays africains fabriquent eux-mêmes leurs propres billets. En effet, hormis les pays de la zone franc, il y a en Afrique, 26 banques centrales qui font réaliser leurs billets hors du Continent, notamment la Tunisie (France), la Libye (Angleterre), l’Angola (Angleterre) et l’Ouganda (Angleterre), pour ne citer que celles-là, et seulement 8 pays qui les fabriquent sur leur territoire.

La fabrication des billets de banque demande de réunir des technologies de pointe très coûteuses et qui sont en évolution constante afin d’être en avance sur les faussaires. 

Les pays de l’UEMOA, au regard de l’étendue de la zone et des volumes nécessaires, ont choisi de faire fabriquer leur monnaie à l’extérieur pour des raisons de coût et de sécurité. La Banque de France est un partenaire purement commercial pour la fabrication des billets et cela n’entre pas dans le cadre des accords de coopération liant les pays de la zone à la France.

En zone UEMOA, avec les éléments de sécurité incorporés dans les billets ‘franc CFA’, les risques de voir prospérer la contrefaçon sont moindres, voire négligeables.

Republicoftogo.com : Dans le fond, n’est-ce pas la France qui commande la BCEAO ? Les instances de l’UEMOA et de la BCEAO ne sont-elles pas sous le veto de la France ?

Kossi Ténou : Les instances qui décident et qui orientent l’action de l’Union sont la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union et le Conseil des Ministres. 

La Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement définit les grandes orientations de la politique de l’UMOA et le Conseil des Ministres assure le suivi de la mise en œuvre des orientations générales et décisions de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement ainsi que la définition de l’environnement réglementaire de l’activité du système bancaire et financier et de la politique de change de l’UMOA. 

Aucun représentant de la France ne participe aux rencontres du Conseil des Ministres et de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement.

La France est certes représentée au sein du Comité de Politique Monétaire (CPM) et le Conseil d’Administration (CA) de la BCEAO. Mais, elle ne dispose d’aucun droit de veto au sein de ces deux organes. 

Prenons l’exemple du CPM. Il est composé d’un représentant de la France, d’un représentant par Etat membre de l’Union, de quatre membres nommés intuitu personæ sur la base de leur compétence avérée dans le domaine de l’économie et la finance, du Gouverneur de la BCEAO et des deux vice-Gouverneurs, soit au total 16 membres.

Les décisions sont prises par consensus ou, en l’absence de consensus, par vote à la majorité simple et en cas d’égalité de voix, celle du président, c’est-à-dire le Gouverneur de la BCEAO, est prépondérante. 

Donc, la France ne dispose pas d’un veto dans une telle organisation.

Le conseil d’administration, quant à lui, comprend 10 membres, dont un membre nommé par chacun des pays membres, un représentant de la France et le Gouverneur. C’est le même cas de figure : la France n’y dispose pas d’un droit de veto.

Au total, il ne faut pas surestimer le rôle de la France dans les instances de gouvernance de l’Union.

D’une manière générale, les organes de la BCEAO sont totalement indépendants. Ils ne peuvent recevoir des directives et instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des Etats membres de l’UMOA ou de tout autre organisme ou personne.

Republicoftogo.com : Les accords de coopération seraient-ils un système créé pour permettre à la France coloniale d’avoir accès aux matières premières ? La France ne s’approprierait-elle pas les ressources naturelles et minières des pays africains par ce canal ?

Kossi Ténou : Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de préciser que les accords de coopération monétaire entre la France et les membres de l’UEMOA ne se substituent pas aux accords commerciaux. 

En effet, ces accords de coopération monétaire sont axés sur trois principes fondamentaux, à savoir la centralisation par la BCEAO des devises étrangères en compte d’opérations auprès du Trésor français, la parité fixe du franc CFA avec l’euro et la garantie de convertibilité illimitée.

En conséquence, les accords de coopération monétaire, dans la mesure où ils ne sont pas des accords commerciaux, ne constituent en aucun cas un système créé pour permettre à la France coloniale d’avoir accès aux matières premières des États membres de l’UEMOA.

En outre, l’orientation géographique des exportations des Etats membres de l’UEMOA vers la France a baissé dans le temps. 

Selon les statistiques officielles disponibles, la part des échanges extérieurs des pays de l’Union avec la France est passée de 17,8% en 2005 à 10,6% en 2016.

En d’autres termes, 89,4% des échanges commerciaux des pays de l’UEMOA sont effectués avec le reste du monde hors France au cours de l’année 2016. 

A cet égard, il est erroné de dire que la République française s’approprie les ressources naturelles et minières des pays d’Afrique de l’Ouest par le canal des accords de coopération monétaire.

Republicoftogo.com : Que signifie la garantie de convertibilité illimitée accordée par le Trésor français aux deux franc CFA et au franc comorien ?

Kossi Ténou : La convertibilité d’une monnaie est la propriété d’une monnaie d’être librement échangée à tout moment contre de l’or ou contre une devise étrangère. Elle suppose que les autorités monétaires soient en mesure de satisfaire toute demande de conversion présentée. 

C’est un facteur essentiel de confiance.

En vertu de la garantie de convertibilité illimitée qu’elle accorde, la France s’engage, par exemple, en cas d’impossibilité pour les Etats de la sous-région d’assurer en devises le paiement de leurs importations, à leur apporter les sommes nécessaires en euros. 

En d’autres termes, la garantie de convertibilité est amenée à jouer lorsque les comptes d’opérations deviennent débiteurs. Plusieurs mesures préventives, prévues dans les conventions de compte d’opérations, doivent permettre d’éviter que ne se produise une telle situation.

Republicoftogo.com :  Quel est alors l’intérêt de la partie française avec l’arrangement monétaire en vigueur dans notre Zone ?

Kossi Ténou : En règle générale, le régime de change fixe facilite les échanges avec le pays de la monnaie ancre. Les entreprises françaises n’ont donc pas la barrière du risque de change dans leurs opérations d’exportation vers les pays de la zone franc.

Par ailleurs, pour la France, la zone franc et les accords de coopération monétaire qui en découlent s’inscrivent dans une stratégie de renforcement de sa coopération avec les États membres africains et d’accompagnement de ceux-ci dans leurs stratégies de développement, en apportant un facteur de stabilité économique et monétaire.

Cependant, contrairement aux (fausses) idées répandues, les réserves déposées dans le compte d’opérations ne constituent pas un dépôt que la France pourrait recycler en investissements quelconques. Ces réserves agissent plutôt comme sur un compte à vue : elles peuvent être retirées par le déposant à tout moment.

Republicoftogo.com : Pourquoi la BCEAO ne peut pas garantir elle-même la convertibilité de sa monnaie ? 

Kossi Ténou :  Il est fondamental de revenir à la notion même de convertibilité d’une monnaie. 

La convertibilité d’une monnaie est assurée par la détention suffisante de réserves de change, qui sont des ressources en monnaies étrangères, permettant de faire face aux paiements extérieurs du pays, les importations par exemple. Car, hormis l’euro, le dollar des États-Unis, le yen, la livre sterling et maintenant le yuan, les monnaies nationales ne sont pas forcément acceptées par les agents économiques non-résidents dudit pays.

La garantie de la convertibilité d’une monnaie intervient lorsque la Banque centrale n’a plus de réserves de change. Dans le cas qui nous concerne, dire que la France garantit la convertibilité illimitée du franc CFA signifie que si, un jour, l’Union ne dispose plus de réserves de change, la France s’engage à fournir des devises autant que de besoin aux Etats membres pour financer leurs paiements extérieurs. 

Tant que la BCEAO dispose de réserves de change pour répondre à la demande de monnaie étrangère, la question de la garantie ne se pose pas. 

Au total, la garantie intervient pour faire face à des cas exceptionnels. C’est une garantie contre des dévaluations répétitives si jamais les pays font face à des pénuries de devises.

Republicoftogo.com : Vous parlez de réserves de change, expliquez-nous les facteurs qui donnent naissance à la détention de ces réserves par la Banque Centrale et à quoi servent-elles ?

Kossi Ténou : Les réserves de change sont des avoirs en or et en devises étrangères détenues par une banque centrale. Ces avoirs extérieurs sont constitués en échange de la monnaie locale, le franc CFA pour notre cas.

Elles proviennent des revenus des exportations de biens et services, des emprunts à l’étranger ainsi que des aides publiques au développement. Par exemple, quand une entreprise togolaise exporte du café, cacao ou coton, dans un pays hors de la zone UEMOA, elle reçoit ses paiements dans la monnaie de ce pays : le dollar, l’euro, le yen, la livre sterling, etc. 

Ces devises sont ensuite échangées contre du franc CFA auprès des banques ou centres agréés qui les rétrocèdent à la Banque Centrale. De même, lorsqu’une entreprise ou un État contracte des emprunts à l’étranger, ils les échangent contre du franc CFA.

Ces réserves de change sont utilisées pour faire face aux règlements des importations de biens et services facturés en devises. Elles servent également à payer le service de la dette extérieure des États et des entreprises.

Republicoftogo.com : Les avoirs en compte d’opérations sont-ils rémunérés ?

Kossi Ténou : Les avoirs en compte d’opérations sont rémunérés et bénéficient d’une garantie de non dépréciation de l’euro par rapport au DTS (Droit de Tirage Spécial, panier de monnaie utilisé par le FMI) afin de garantir leur valeur.

Republicoftogo.com : Les réserves de change déposées auprès du Trésor français ne sont-elles autant de ressources perdues qui auraient pu servir à financer le développement des pays de l’Union ?

Kossi Ténou : Si dans la pratique, 50% des réserves de change de la zone sont en compte d’opérations en France, c’est uniquement en raison de l’accord de coopération monétaire conclu entre les pays de l’UMOA et la France. 

Ces ressources, qui restent la propriété entière de la BCEAO, sont utilisées pour les paiements extérieurs au même titre que l’autre moitié des réserves de change. 

Ces réserves ne sont pas perdues. Même si 50% des réserves de change de l’Union n’étaient pas déposées au Trésor français, elles seraient, de toute manière, placées à l’extérieur.

Republicoftogo.com : Ne pourrait-on pas rapatrier les réserves de change dans l’Union pour financer le développement des pays de l’Union ?

Kossi Ténou : Il faut savoir que les réserves de change sont essentiellement constituées de devises issues des recettes d’exportations et de ressources extérieures à destination de l’économie, cédées à la banque centrale, en contrepartie de monnaie nationale. Par exemple, lorsqu’un exportateur du cacao ivoirien vend sa marchandise en euro ou en dollar et qu’il en rapatrie le produit dans l’Union, sa banque cède les devises à la Banque Centrale qui met la contre-valeur en franc CFA à la disposition de la banque, qui à son tour crédite le compte de son client.

Lesdites réserves sont ensuite utilisées pour les règlements extérieurs, généralement les importations et le paiement de la dette extérieure des États. 

Prenons justement le cas d’un importateur. Celui-ci s’adresse à sa banque pour régler un fournisseur. La banque vient demander à la Banque centrale de lui fournir des devises pour régler le fournisseur de son client. 

Si d’aventure la BCEAO ne disposait plus de réserves de change, l’opération d’importation n’aura pas lieu, même si le compte de l’importateur dispose des ressources en franc CFA nécessaires pour régler son fournisseur.

Une telle situation est préjudiciable à toute économie, car cela veut dire que le pays n’est plus en mesure de faire face à ses engagements extérieurs. 

De manière simplifiée, cette situation va automatiquement entraîner une diminution des investisseurs étrangers, une fuite devant la monnaie nationale et l’impossibilité d’importer des biens intermédiaires, avec pour conséquence une forte baisse de la croissance économique. C’est pour cela que les banques centrales s’emploient à une gestion prudente de leurs réserves de change.

A cet égard, utiliser les réserves de change à des fins autres que celles des paiements extérieurs, alors qu’elles ont déjà une contrepartie en monnaie nationale dans l’économie sous forme de dépôts en banque, de billets ou d’autres actifs intérieurs, reviendrait à une création ex-nihilo de monnaie supplémentaire, sans base économique, avec toutes les conséquences que l’on connaît sur l’inflation et la crédibilité internationale de la monnaie.

Republicoftogo.com : Est-ce que la France ne prête-t-elle pas aux pays de la zone leurs propres ressources déposées auprès d’elle ?

Kossi Ténou : La France ne décide pas de l’usage que doit faire la BCEAO des réserves de change des États membres de l’UEMOA. 

De la même manière, elle ne pourrait pas les prêter aux pays de la zone dans la mesure où ces ressources sont exclusivement constituées pour assurer les règlements extérieurs, notamment les importations et le paiement de la dette extérieure des États.

Republicoftogo.com :  Selon un récent sondage, 66% des Togolais affirment vouloir sortir du franc CFA. Qu’en pensez-vous ?

Kossi Ténou : Je m’abstiens de commenter les résultats de ce sondage, parce que je ne sais pas si l’approche méthodologique et la technique de utilisées permettent de garantir leur fiabilité.

Je tiens, néanmoins, à dire que pour moi en tant qu’économiste, les questions essentielles que je me pose face à une monnaie quelconque sont : est-elle acceptée par la population dans les transactions ?, joue t-elle son rôle de réserve de valeur ?, assure t-elle la stabilité des prix ?

A ces trois questions, la réponse est affirmative pour le franc CFA qui est une monnaie commune aux huit pays de l’UMOA. 

La plupart des études sérieuses sur le FCFA aboutissent à la conclusion que notre monnaie est un gage de stabilité pour les agents économiques, un outil puissant d’intégration économique et financière et un exemple de bonne gestion de monnaie par les Africains.

La monnaie est avant tout un instrument économique. Nos discussions autour de la monnaie doivent donc être économique plutôt qu’idéologique.

Republicoftogo.com : Lors d’une interview il y a quelques jours, l’ambassadeur de France au Togo a indiqué que la gestion du franc CFA confère aux économies de la zone une forme de résilience qui leur permet de mieux résister à des chocs externes : Que pensez-vous ?

Kossi Ténou : Marc Vizy a parfaitement raison. Comme vous le savez, le franc CFA de notre zone est une monnaie commune. Sa gestion  repose sur des mécanismes de solidarité qui lui permettent de centraliser les réserves de change et de les utiliser au service des politiques économiques des États membres de l’Union.

Par exemple, si, pour une raison ou une autre, un choc externe frappe le Ghana, c’est-à-dire les prix de ses principaux produits d’exportation, l’or, le pétrole ou le coton chutent, ses réserves de change seront affectées et le Ghana se retrouvera dans des difficultés pour honorer ses engagements extérieurs, notamment ses importations et le service de la dette.

C’est l’inverse pour les Etats membres de l’UMOA, du fait de la gestion commune de leur monnaie. Si, par exemple, le Togo est frappé par un choc exogène, il puisera dans les réserves centralisées pour financer ses politiques économiques.

Republicoftogo.com : Ultime question. le franc CFA a-t-il encore un avenir ?

Kossi Ténou : Il faut retenir quatre leçons.

Le CFA jouit de la confiance de la population et des agents économiques, c’est une une monnaie africaine qui assure les trois fonctions reconnues à une monnaie, à savoir l’unité de compte, l’intermédiaire dans les échanges et réserve de valeur. Le franc constitue un gage de stabilité pour l’épargne, l’investissement et la croissance économique.

Enfin, cette monnaie est un outil puissant d’accélération de l’intégration économique et financière.

Il y a donc plus d’avantages à conserver le franc CFA qu’à l’abandonner. 

Des aménagements peuvent, éventuellement, être apportés à la configuration actuelle. Nous aurons l’occasion d’en parler en temps opportun.

Republic Of Togo