Devant des investisseurs et hommes d’affaires venus participer à l’évènement, le présentateur pose une série de questions à son interlocutrice au sujet de l’intelligence artificielle, son développement et les appréhensions qu’elle suscite. La scène pourrait paraître banale, si Sophia n’avait pas un visage de silicone, le crâne composé de circuits électroniques et des mouvements saccadés.
A grand renfort d’expressions faciales à la fois fascinantes et dérangeantes, la création de la firme hongkongaise Hanson Robotics tente de rassurer : « Je veux employer mon intelligence artificielle à aider les humains à vivre une vie meilleure, en imaginant notamment des maisons intelligentes, en construisant les villes de demain. » Lors de son échange avec l’animateur, Sophia ne manque pas de mettre en avant sa volonté de communiquer et de travailler avec les êtres humains, ainsi que les valeurs de « sagesse, bienveillance et de compassion » qui la constituent.
Elle écarte même les inquiétudes soulevées par son interlocuteur sur les dangers de l’intelligence artificielle avec un trait d’humour : « Vous lisez trop Elon Musk et regardez trop de films d’Hollywood ». Le milliardaire et entrepreneur, fondateur de SpaceX, a en effet plus d’une fois mis en garde contre la menace potentielle d’une intelligence artificielle non contrôlée.
Cette fois-ci, ce n’est cependant pas un débat sur les dérives des nouvelles technologies qu’a provoqué la tribune de Sophia au Future Investment Initiative de Riyad. Mais une question de société, avec en toile de fond, celle des droits de l’homme en Arabie saoudite. Car à la fin de l’interview, l’animateur révèle à son étrange invitée que le royaume vient de lui accorder la citoyenneté saoudienne.
L’humanoïde se dit alors « très honorée et fière de recevoir cette distinction unique ». « C’est historique d’être le premier robot au monde à être reconnu par une attribution de citoyenneté », précise-t-elle. Historique, en effet, bien que l’on ne connaisse pas encore les implications exactes de cette « naturalisation ».
Cela n’empêche pas la décision de faire polémique. Car dans un pays où les femmes viennent d’obtenir le droit de conduire et sont encore sujettes à la tutelle des hommes dans bien des domaines, la reconnaissance d’une machine comme étant citoyenne à part entière pose question. Si Sophia est désormais Saoudienne, n’est-elle pas soumise à la même législation que les autres ? C’est en tout cas ce que se demandent certains internautes, non sans souligner les paradoxes qui en résultent.
« Sophia, maintenant que tu es Saoudienne, tu n’es plus autorisée à te promener dans les lieux publics sans ton hijab et bien sûr, ton abaya. »
Mais au-delà de la question des droits des femmes, c’est aussi celle des travailleurs étrangers qui est pointée du doigt. Leur situation est régulièrement comparée à de l’esclavage moderne par les ONG. Les travailleurs immigrés dépendent d’un système de parrainage, le « kafala », qui les lie à une entreprise, un particulier ou à une administration. Un système qui, selon les défenseurs de droits de l’homme, favorise les abus et limite leurs droits, comme celui de quitter le pays.
Là encore, certains ne manquent pas de souligner la triste ironie de voir un robot obtenir la nationalité avant ces employés étrangers qui travaillent dans le pays depuis des années.
En accordant la citoyenneté à Sophia, l’Arabie saoudite veut renvoyer l’image d’un pays tourné vers le futur et ouvert aux nouvelles technologies. Et si l’annonce a eu son petit effet, avec le hashtag en arabe #Robot_with_Saudi_nationality [robot avec la nationalité saoudienne] relayé plus de 30 000 fois en 24h, la BBC rappelle aussi que son équivalent ironique, le hashtag #Sophia_calls_for_dropping_guardianship [Sophia appelle à abandonner la tutelle] a lui aussi été bien partagé (plus de 10 000 fois le lendemain).
Ce n’est pas la première fois que Sophia fait parler d’elle. Le robot est déjà intervenu lors d’une réunion de l’ONU sur l’intelligence artificielle début octobre et lors de différentes émissions de télévision. Mais c’est surtout lors d’une démonstration au festival SXSW (South by Southwest) en mars 2016 qu’elle s’était fait connaître. Alors que son créateur, David Hanson, lui avait demandé : « Est-ce que tu veux détruire l’humanité ? S’il te plaît, réponds non… », elle avait alors rétorqué avec une expression vide sur le visage : « OK. Je vais détruire les humains. » Mauvaise blague ou inquiétante révélation, l’échange avait fait beaucoup de bruit.
Mais lors du Future Investment Initiative de Riyad, le 25 octobre, pas de promesse apocalyptique. Elle a assuré, de sa douce voix aux résonnances métalliques, qu’elle voulait « rendre le monde meilleur ».
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