L’AFRIQUE DANS LE MONDE DE DEMAIN : S’affranchir de la servitude monétaire volontaire

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L’AFRIQUE DANS LE MONDE DE DEMAIN :  S’affranchir de la servitude monétaire volontaire

S’il est vrai que de nombreux Africains et Africaines estiment que « l’on ne mange pas la croissance économique 1 », ils doivent reconnaître que sans cette croissance, le bien-être auquel tous aspirent ne sera pas pour demain, ou à défaut uniquement pour les « nantis », souvent au pouvoir ou en cheville avec le pouvoir ou les entreprises multinationales internationales. Alors les dirigeants africains sont-ils capables d’entrainer, ce de manière pérenne, la croissance économique de l’Afrique vers les 7 % ? Les données statistiques au plan collectif ne plaident pas encore en ce sens. Alors, avec la politique du Président Donald Trump en faveur de « Les Etats-Unis d’abord », est-ce à dire que sa politique africaine se résume à « L’Afrique plus tard » ?

Considérant les nations africaines comme un « shithole », le Président américain n’a toujours pas mis les pieds en Afrique, de peur de mettre les pieds dans la mer.e ! Cela risquerait de lui porter « bonheur », si c’est du pied gauche ! Pourtant, les Etats-Unis n’arrivent pas à se passer des « shithole Nations » dès lors qu’il s’agit de s’approvisionner à bas prix en matières premières et de commercer de manière préférentielle rendant les budgets africains déséquilibrés commercialement en faveur des Etats-Unis.

Sur un autre plan, c’est la France qui continue à vouloir trouver une solution pour commercer de manière préférentielle avec certains pays africains rendant les budgets africains déséquilibrés commercialement en faveur de la France. Plus subtilement, cela se fait grâce à des accords secrets de défense et de servitude monétaire. Il est donc question de changer le Franc CFA en ECO et isoler le Nigeria en Afrique de l’Ouest.

Pour ce faire, certains chefs d’Etats dont les noms sont synonymes de la France en Afrique n’ont rien trouvé de plus original que de transformer « l’actuel Franc CFA » en EURO-CFA. Comme le mot EURO « sonnait » peu africain, ces chefs d’Etats des Etats francophones de l’Union économique monétaire Ouest-Africain ont choisi de faire un hold-up sur le nom « ECO », nom proposé pour la monnaie sous-régionale de la Communauté économique et de développement de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La réalité est que le Nigeria ne veut pas d’une « arnaque politico-monétaire ».

Mais encore faut-il que le Nigeria puisse offrir l’exemple d’une bonne gouvernance pour sortir de la servitude monétaire volontaire les pays africains de l’Afrique de l’Ouest qui y aspirent. Des solutions existent pourtant. Certaines seront présentées comme le fait pour les pays africains d’augmenter les « réserves de change tampons ». Mais l’Etat africain est budgétivore. Un jeûne intelligent va devoir s’imposer si l’Afrique doit redevenir une priorité pour les Africains.

1. LES DIRIGEANTS AFRICAINS INCAPABLES D’ENTRAINER LA CROISSANCE VERS LES 7 % ?

Les pays d’Afrique subsaharienne ont affiché une croissance de leur économie (Produit intérieur brut) de 2,4 % en 2018, et sont incapables de passer la barre des 3 %, ce depuis au moins 3 ans. En réalité, cette croissance ne bénéficie pas aux populations. C’est donc le ressenti des citoyens qu’il importe de mesurer. Pour éviter la critique sur ses mauvais conseils qui n’exclut pas la responsabilité de certains dirigeants africains, le Fond monétaire international (FMI) a pris conscience des conséquences des analyses basées sur la croissance du PIB par habitant et a unilatéralement décidé de supprimer cette statistique de ses rapports régionaux sur l’Afrique subsaharienne 2. En effet, la croissance du PIB par habitant est négative, avec -0,3 % en 2018 alors que la population s’accroît chaque année de 2,7 % en moyenne entre 2000-2018 3 et l’inflation (prix à la consommation) reste élevée avec 8,5 %.

En réalité, les principaux problèmes récurrents de l’Afrique subsaharienne demeurent :

– le manque de volonté de donner la priorité à la création pérenne de valeurs ajoutées ;
– l’acquisition, la diffusion du savoir et la mise à disposition des connaissances en toute transparence par la digitalisation de l’économie ;
– l’inefficience de la gouvernance économique notamment les gaspillages et les erreurs stratégiques ;
– l’incapacité des dirigeants à offrir des conditions aux secteurs privés africains pour créer plus d’opportunités d’emplois de qualité chaque année afin d’absorber les nombreux entrants sur le marché du travail ;
– la non-correspondance entre les impôts et taxes collectées sans discernement d’une part, et les affectations ciblées au profit des nantis qui ne permettent pas d’améliorer la situation au quotidien de la majorité des populations pauvres.

Il ne faut donc pas s’étonner que la dette publique et le surendettement se soient alourdis, neutralisant la capacité d’endettement à des taux faibles pour de nombreux pays. Ce n’est pas une croissance économique largement inférieure aux 7 % suggérés par les Nations Unies pour soutenir un développement accéléré de l’Afrique qui permettra de faire reculer le niveau de pauvreté de près de 45 % en moyenne de la population subsaharienne qui vit avec moins de 1,90 par jour (en parité de pouvoir d’achat).

Ce sont systématiquement des justifications du type le fléchissement du marché mondial, la volatilité du commerce mondial entre autres qui sont avancés par les gouvernements africains. Les dirigeants refusent de voir en face leur incapacité collective à entraîner, collectivement et individuellement, la croissance économique par l’industrialisation et la digitalisation. Ils se contentent d’en parler en faisant le maximum de bruit entre eux et pour une partie de la population encore crédule sur le jeu assez égoïste des dirigeants africains et leurs affidés au et autour du pouvoir, mais aussi en réseau avec les accapareurs des richesses africaines.

Les déséquilibres budgétaires et extérieurs, les balances commerciales déséquilibrées systématiquement au profit des pays industriellement avancés semblent cantonner les principales économies africaines dans un système tributaire de la non-transformation des ressources naturelles, ou à défaut, de faire le minimum avec le premier niveau de la transformation de la chaîne de valeurs, souvent sous-traité aux entreprises multinationales, occidentales et de plus en plus à la Chine.

Alors, c’est facile, peut-être même relevant plus de l’ignorance, d’affirmer que l’Afrique et Haïti soient des « shithole » nations, autrement dit des nations considérées comme des trous à « rats » que d’autres auraient traduit littéralement de trou à « merde » … Quelle que soit la traduction, ce n’est certainement pas « positif ». L’Afrique est donc perçue par Donald Trump comme un espace où il est facile de se faire piéger et qu’à l’évidence, les dirigeants africains seraient des personnalités particulièrement sans intérêt pour « faire du business », souvent présomptueux et incapables des satisfaire leurs peuples.

Pourtant, c’est sur ce continent que sont déployés avec encore plus de d’acuité que par le passé :

– le commandement militaire américain AFRICOM ;
– des programmes commerciaux comme AGOA ayant pour objet, ce de manière unilatérale, de satisfaire les insuffisances du marché américain ou de permettre une concurrence avec les pays d’Amérique au sud des Etats-Unis, dès lors que ces produits non transformés ne viennent pas concurrencer les produits américains ; et
– les ingérences discrètes comme en Libye ou au Soudan pour s’assurer et se rassurer que ses intérêts ne seront pas lésés dans le futur.

Cela permet d’affirmer que les Etats-Unis de Donald Trump ne peuvent pas se passer des nations « shithole » afin de s’assurer un approvisionnement régulier, souvent sans transformation, des matières premières disponibles à profusion dans ces nations.

Toutefois, il a raison sur un point : le business se fait autrement dans les « shithole » nations, mais assurément aux dépens du respect des droits humains, du droit à la transparence des comptes publics, de la vérité des urnes, et de la démocratie. Il est donc assez facile de se faire piéger en Afrique et d’avoir des problèmes pour rapatrier les bénéfices tirés des investissements dès lors que les politiques des dirigeants africains et la corruption qui les accompagnent, empêchent d’atteindre les 7 % de croissance économique pour offrir une dignité à ceux des citoyens piégés par leurs dirigeants dans une Afrique caractérisée par la marginalisation de tous ceux qui ne font pas allégeance au pouvoir en place. Les exceptions du Botswana, de Maurice ou du Cap Vert ne doivent pas cacher la réalité des souffrances de citoyens sur le terrain.

Néanmoins, Donald Trump rentrerait dans l’Histoire s’il parvenait, avant la fin de son règne sur les Américains, à restaurer en Afrique, la démocratie, à transférer le savoir et les technologies américaines, à créer des emplois décents, ce qui l’amènerait à reconsidérer la place des inégalités dans la vision de son parti politique.

Une perception du monde fondée sur ce qu’Afrocentricity Think Tank qualifierait de « Les Etats-Unis d’abord, l’Afrique plus tard » est une erreur stratégique qui se paye cash par l’augmentation des parts de marché des nouvelles puissances mondiales questionnant la vision américaine du monde et s’affichant mielleusement trop aux côtés des dirigeants africains, et peu souvent aux côtés de populations africaines. La stratégie du « gagnant-gagnant », qui profite aux autocraties africaines, et les maintient au pouvoir, relève soit de la naïveté, soit de la ruse, du calcul stratégique.

Au final, c’est une stratégie de l’enlacement pour mieux étreindre qui finira par gagner si les peuples et les dirigeants africains conscients ne s’organisent pas collectivement pour contrer une annexion économique, culturelle, psychologique et sociale de l’Afrique et des Africains, ce d’où que cela vienne. Ces derniers sont encore trop nombreux à accepter comme « meilleur », tout ce qui n’est pas Africain ou provient de l’extérieur du continent. Il faudra du temps pour s’affranchir des « post-colonisés » adeptes de la facilité, du gain facile et rapide, aux dépens de l’avenir, du bien-être et de la dignité des Africains.

2. LES ETATS-UNIS D’ABORD, L’AFRIQUE PLUS TARD
Ce sont les Etats-Unis qui devraient en fait ouvrir le marché pour accueillir les productions africaines autres que les matières premières non transformées comme les hydrocarbures ou les produits de faible valeur ajoutée comme les T-shirts…. Une spécialité de la Loi sur la croissance et les perspectives économiques en Afrique dite « AGOA -The African Growth and Opportunity Act ». Cette Loi américaine approuvée en 2000 par le Congrès américain était censée permettre d’améliorer la balance commerciale entre les Etats-Unis et l’Afrique.

Après 15 ans d’échanges sélectifs et unilatéraux par les Etats-Unis doublés d’une grande bureaucratie de la partie américaine et des inspections systématiques des données, des biens intermédiaires et des entreprises africaines elles-mêmes au point de croire à un espionnage systématique face à une Afrique sans défense, cette Loi américaine n’a pas servi de levier aux exportations africaines vers les Etats-Unis surtout si les produits n’étaient pas transformés.

Plus de 70 % des exportations étaient constituées de pétrole. Malgré cet échec pour l’Afrique de l’industrialisation, cette législation relative à l’AGOA a été prolongée de 10 ans passant de juin 2015 à juin 2025. La politique du Président Donald Trump n’étant pas actuellement lisible pour ce qui est de l’Afrique, personne ne sait si l’AGOA ne sera pas réformée, voire démantelée pour céder la place à de simples relations bilatérales entre les Etats-Unis et chacun des pays africains. Compte tenu de la propension des chefs d’Etat africains à ne pas prendre au sérieux l’organisation économique de l’Afrique au plan régional et continental 4 en se contentant des effets d’annonces comme la Zone de libre-échange continental (ZLEC), il faudra s’attendre à une domination totale de Donald Trump sur les dirigeants africains, à savoir « America First, Africa Later » : les Etats- Unis d’abord, l’Afrique plus tard.

Les chefs d’Etat africains l’ont compris et ont commencé, au moins au plan bilatéral et en rang dispersé, à rechercher le partenariat avec d’autres puissances mondiales à savoir la Chine, la Russie et d’autres coalitions régionales émergentes puisque les accords entre l’Afrique et l’Union européenne se sont soldés par un déficit commercial systématiquement en faveur de l’Union européenne (UE) au cours des 50 dernières années.

3. CHANGER LE FRANC CFA EN ECO ET ISOLER LE NIGERIA
Le 29 juin 2019, le sommet de chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO qui s’est tenu à Abuja au Nigeria avait, entre autres, pour objet de fixer le nom de la future monnaie dite « unique » de cette zone. Ce nom « ECO » a été adopté pour l’ensemble de la zone. Mais voici que le Président Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire a annoncé que selon lui, la future monnaie ECO ne devrait qu’être une redénomination du Franc CFA (FCFA) et avoir le même taux de change fixe actuel que le FCFA, à savoir un Franc CFA équivaudra à un ECO en 2020 avec une parité fixe et vraisemblablement continuera à obtenir son droit à la « convertibilité » en Euro par la volonté ou non du Trésor français, autrement dit par la France.

Pour mieux comprendre la situation, personne ne doit se tromper sur le nombre d’acteurs en jeu : il y a en fait les chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, de l’UEMOA et de la France avec en filigrane ceux de l’Union européenne (UE) et ceux qui contrôlent le Fond monétaire international (FMI). Croire que la décision d’aller vers une monnaie commune se joue uniquement entre les chefs d’Etat de la CEDEAO, c’est être adepte d’une illusion proche de l’erreur de parallaxe, à savoir le changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet. En d’autres termes, la parallaxe est l’effet du changement de position de l’observateur sur ce qu’il perçoit. Autrement dit, il n’y a pas qu’un seul groupe d’acteurs concernés par l’avènement de la monnaie ECO en Afrique de l’Ouest. En fait, il y a au moins 3 groupes principaux : la CEDEAO, l’UEMOA, et la France, mais en réalité, ils sont au nombre de cinq avec les trois précédemment cités plus l’UE et le FMI.

Il s’agit donc bien d’un jeu à trois, voire à cinq. Des alliances et des clans se forment et défont. C’est à l’aune de ce jeu d’alliances avec un retour sur investissement politique qu’il faut comprendre les déclarations du Président ivoirien Alassane Ouattara et du Président sénégalais Macky Sall en faveur du maintien en l’état du mécanisme de la zone franc dans le cadre d’un élargissement où seul le nom FCFA serait changé en ECO. En fait, il s’agit d’isoler le Nigeria, c’est pour cela que la position ambiguë du Président ghanéen Nana Akufo-Addo mérite une clarification de sa part.

4. NOUVEAU FRANC CFA-ECO : HOLD-UP SUR LE NOM « ECO »
Le débat ne fait que commencer sur l’opportunité pour les pays francophones d’Afrique de l’Ouest (membres de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA)) de changer le nom de Franc de la communauté financière africaine – ex-franc des colonies françaises – en ECO en 2020 sans changer la parité fixe de cette monnaie avec l’Euro. C’est au terme de la 21e conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’UEMOA tenue le 12 juillet 2019 à Abidjan que le Chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, président en exercice de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), a annoncé que la future monnaie commune, ECO, aura la même parité que le Franc CFA entretient avec l’Euro, soit un taux de change actuel de 655,957 FCFA 5 pour un Euro.

Il s’agit donc pour les Présidents africains de l’UEMOA de faire un « hold-up » sur le nom « ECO », puisque personne n’a la propriété intellectuelle ou déposé de « copyright », ce d’autant que ECO ne serait qu’une pâle copie de l’ancêtre de l’EURO, l’ECU, l’unité monétaire européenne adoptée le 13 mars 1979 laquelle était composée d’un panier de monnaies des Etats membres des communautés européennes. Il s’agissait surtout d’une monnaie utilisée principalement comme unité de compte électronique, sans monnaie fiduciaire officielle (pas de pièces et de billets) sur laquelle reposait le système monétaire européen de l’époque. L’ECU a été remplacé par l’EURO en 1999 selon un ratio 1 : 1.

Autrement dit, il faudra au moins 20 ans pour que la nouvelle et possible monnaie « FCFA-ECO » de la zone UEMOA puisse évoluer vers une monnaie commune CEDEAO, monnaie de la CEDEAO qui devra alors choisir un autre nom. La seule différence entre l’ECU et le FCFA-ECO est qu’il est possible pour la France qui fabrique les Francs FCFA en France de changer tous les billets et pièces en Franc CFA pour les remplacer par de l’ECO ayant un pouvoir libératoire uniquement en UEMOA actuel, ou UEMOA élargie avec d’autres pays d’Afrique de l’Ouest sauf le Nigeria. Rappelons que pour le Nigeria, les billets et les pièces de monnaie en Naira sont imprimés et frappés principalement par une imprimerie nationale, la Nigerian Security Printing and Minting Plc ainsi que d’autres sociétés d’impression et de frappe étrangères, et émis par la Banque centrale du Nigéria (CBN).

Les chefs d’Etat de l’UEMOA, sous influence étrangère ou pas, ont en fait organisé le 12 juillet 2019 un véritable « hold-up » du vocabulaire de la future monnaie régionale « ECO » alors qu’il n’y a toujours pas de convergence monétaire dans les deux zones concernées, à savoir UEMOA et CEDEAO. Il faut d’ailleurs d’abord mettre en place le Fond monétaire africain sous-régional afin d’éviter d’aller bilatéralement négocier ses déficits budgétaires conjoncturels ou structurels systématiquement avec le Fond monétaire international ou la France pour les pays francophones de la zone.

En réalité, il s’agit pour certains dirigeants francophones principalement ceux de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Togo, du Burkina Faso, du Mali et paradoxalement aussi de la Guinée d’usurper le nom ECO proposé comme nom de la future monnaie commune de la Communauté économique et de développement des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et d’en profiter pour imposer, dans un premier temps, un taux fixe et un système où la France resterait au conseil d’administration de l’institution monétaire gestionnaire de la Zone CEDEAO. En contrepartie, chacun de ces présidents pourraient recevoir un soutien non-écrit de la France, soit pour rester au pouvoir, soit pour remercier la France pour avoir avaliser des élections dont la vérité des urnes peine à convaincre les populations africaines y compris la Diaspora africaine.

Ceux qui défendent le maintien de la parité fixe de la future ECO à l’identique avec le Franc CFA s’appuient sur les résultats que sont une inflation maîtrisée en zone Franc, une stabilité de la monnaie FCFA qui permet une prévisibilité pour les investisseurs étrangers sauf qu’il y a eu une dévaluation surprise en 1993, et que le FCFA n’a jamais permis de faire progresser le commerce extrarégional au profit des pays africains, ni même le commerce intrarégional entre les zones franc d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) et la zone d’Afrique centrale (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale – CEMAC). Ils oublient tous de rappeler que les inégalités n’ont fait qu’augmenter avec un accaparement, en 2019 autour de 57 % des ressources, de la consommation, des revenus et des richesses par les 20 % de la partie de la population la plus riche et accessoirement aussi liée au pouvoir. Cet accaparement se fait au détriment des 20 % de la partie de la population la plus pauvre, qui elle n’accèderait qu’à 4 % de ces ressources, de la consommation, des revenus et des richesses. La pauvreté a augmenté et fini par disparaître des statistiques officielles. Au lieu d’éliminer la pauvreté, les politiques suivies en Afrique contribuent plus à éliminer le « pauvre » qui n’a d’ailleurs pas de droit de parole, sauf par la voix de ceux qui s’évertuent à le réduire au silence.

5. LE NIGERIA NE VEUT PAS D’UNE « ARNAQUE POLITICO-MONETAIRE »
Il faut donc rapidement clarifier une véritable « arnaque politico-monétaire » qui est en train de se mettre en œuvre, ce avec la complicité principalement des chefs d’Etats francophones, même si l’ambiguïté de la position du Président ghanéen ne trompe personne. En réalité, seul le Nigéria ne veut pas de cette « arnaque politico-monétaire ». Le Nigéria, fier de sa souveraineté monétaire, ne pourra pas se résoudre, ni accepter une monnaie régionale unique FCFA-ECO dotée d’une parité fixe, avec la France au sein du conseil d’administration de la CEDEAO avec un droit de véto, de déposer au moins 50 % de ses réserves sur un des nombreux comptes d’opérations au Trésor français afin d’avoir la France qui décide unilatéralement et en fonction de ses intérêts de dévaluer une future monnaie sous-régionale ou d’en garantir sa convertibilité en Euro, puis en devises.

Autrement dit, le Nigeria ne fera pas partie de la future monnaie ECO en 2020, si cette date est maintenue, puisque les chefs d’Etat ont déjà changé au moins quatre fois la date butoir. Il est d’ailleurs question déjà de 2022. Bref, le Nigeria ne devrait jamais accepter une nouvelle « servitude monétaire volontaire » qui pourrait passer non plus sous les fourches caudines de la France, mais celle de l’Union européenne. La recrudescence des attaques de Boko Haram, devenu entre-temps, sinon depuis le début, un affilié officiel sinon une antenne officielle de la structure globale 6 d’Al-Qaïda, et dont les armes proviendraient des puissances occidentales, ne devrait pas entamer la détermination des autorités du Nigéria à s’opposer à cette arnaque politico-monétaire.

6. BONNE GOUVERNANCE OU SORTIR DE LA SERVITUDE MONÉTAIRE VOLONTAIRE
Lorsque l’on analyse le niveau de réserves de change sous la forme du nombre de mois réserves de change pour importer, il faut bien constater que la plupart des pays émergents et en développement subissent régulièrement des dépréciations, mais ont vu ces réserves de changes s’amenuiser au cours des dernières années. En Afrique, certains pays, pratiquant une bonne gouvernance économique, ont des estimations de niveau de réserves de change tampons pour 2019 supérieures à 6 mois d’importation. Il s’agit de : Botswana (11,9), Maurice (9,2), Comores (6,4), Nigeria (6,3), (Angola (6,2) alors que la moyenne de l’Afrique subsaharienne est estimée autour de 4,9. On n’y trouve aucun pays francophone de la zone franc, alors que cette zone est estimée atteindre 3,9 mois de réserves de change tampon pour importer en sachant que la zone CEMAC devrait atteindre 3,3 et la zone UEMOA, 4,4 en 2019 7.

Les pays francophones en zone franc se préoccupent peu de maintenir leur taux de change stable puisqu’ils ont signé des accords secrets de défense et d’arrangements monétaires avec la France qui leur assurent une fixité du taux de change avec l’Euro. Mais pour les autres pays africains responsables de leur monnaie nationale, la priorité est donnée d’abord au maintien du taux de change stable afin de stabiliser leur monnaie.

Ce n’est que lorsque cet objectif est atteint que le besoin de constituer des réserves de change tampon prend toute son importance. Le Gouverneur de la Banque centrale du Nigéria (Central Bank of Nigeria – CBN), Mr. Godwin Emefiele 8, a déclaré en octobre 2018 « qu’il était préférable de maintenir un taux de change stable pour éviter une dépréciation du naira que de créer des réserves tampons de réserves de change ». Ce choix se justifie par le fait qu’un taux de change stable permet d’offrir un environnement des affaires prévisibles aux entreprises tout en évitant de déprécier les actifs du système bancaire. La croissance du produit intérieur brut (richesse nationale) du Nigeria devrait passer de 1,9 % en 2018 à 2,1 % en 2019 et même à 2,5 % en 2020, mais reste en deçà de la moyenne de l’Afrique subsaharienne de 3 en 2018 et les estimations à 3,5 % en 2019 et 3,7 % en 2020. L’inflation ou les prix à la consommation du Nigeria restent élevés avec 12,1 % en 2018 et des estimations pour une légère baisse autour de 11,7 % en 2019 et 2020.

L’inflation au Nigéria pour les 6 premiers mois de 2019 est estimée à 11,22 %. Cette baisse par rapport aux prévisions a permis à la Banque centrale du Nigéria d’assouplir son taux de la politique monétaire, passant de 14 % en janvier et 13,5 % en août 2019. Si le taux d’intérêt offert sur le livret d’épargne en Naira ne dépasse pas les 3,9 %, il faut bien reconnaître que le taux offert par les banques secondaires reste parfois prohibitif. La politique de fusion et de consolidation des banques secondaires au Nigeria a démarré dans les années 2004 et s’est renforcé après la crise financière de 2007/8 permettant de mettre en lumière la mauvaise gestion des banques secondaires éparpillées sur le territoire nigérian.

La Banque centrale du Nigéria a choisi non seulement d’assurer la stabilité de la monnaie, de maintenir l’inflation au plus bas possible, mais aussi de soutenir le développement en offrant un cadre de refinancement des banques secondaires basé sur un taux directeur dont la flexibilité permet de s’adapter à l’économie mondiale et nationale. C’est ce taux qui a été corrigé à la baisse dans l’espoir de permettre aux banques de maintenir un certain niveau de liquidités et préserver, sinon augmenter la capacité des banques secondaires à prêter. C’est d’ailleurs cette capacité à soutenir le crédit à l’économie de manière flexible qui fait défaut dans la zone franc. Au niveau du Nigeria, le problème est que les banques secondaires sont tentées de prendre leur marge et reportent le risque et leur mauvaise gestion sur l’emprunteur en dernier ressort. Aussi, la solution serait de ne pas voir un taux directeur unique mais évoluer vers un taux directeur adapté et spécialisé afin d’avoir un taux directeur de la banque centrale par grands secteurs. Le taux directeur pour l’habitat, la consommation, l’industrie ou l’infrastructure notamment de santé ou du transport ne devraient pas, dans une économie en développement, avoir un seul et unique taux directeur de la banque centrale 9. La Banque Centrale du Nigeria, comme au demeurant la Banque centrale africaine sous-régionale devront considérer qu’il y a lieu de soutenir la stabilité des prix en maintenant l’inflation au plus bas mais qu’il faudra aussi soutenir la politique économique des Etats, ce de manière diversifiée en pratiquant des taux directeurs ciblés et spécialisés.

La mauvaise répartition de richesses et les inégalités restent un véritable sujet de préoccupation avec une croissance du PIB par habitant négatif avec -0,7 % en 2018. L’Afrique du sud en comparaison présente une croissance du produit intérieur brut de seulement 0,6 % en 2018 et une croissance du PIB par habitant négatif équivalent à celui du Nigéria avec -0,7 % pour la même année. La moyenne de l’Afrique subsaharienne en termes de croissance du PIB est de 2,4 % en 2018 et la croissance du PIB par habitant est de -0,3 % 10.

Aussi, la stabilité du marché des changes ne doit pas se faire au détriment de l’amenuisement des réserves tampon, surtout que le Nigeria n’est pas à proprement à plaindre. Pour ne pas tomber dans une servitude monétaire volontaire, les pays africains indépendants doivent nécessairement stabiliser leur monnaie et augmenter leurs réserves de change tampons. Pour ce faire, les pays africains gagneraient à réduire intelligemment les dépenses somptueuses de l’Etat et de ses fonctionnaires et à rendre plus transparentes les affectations des taxes et impôts collectés sur les citoyens. Sur ce point, le déficit budgétaire du Nigéria incluant les dons n’a pas retrouvé son niveau d’avant l’arrivée du Président Buhari au pouvoir, oscillant entre 2010-2015 autour de +4,7 % du PIB et entre 2016 et 2018, autour de -4,6 % du PIB 11.

7. PAYS AFRICAINS : AUGMENTER LES RÉSERVES DE CHANGE TAMPONS
Pour le Nigeria, le nombre de mois de réserves de change tampons pour importer a fait l’objet de nombreux débats au cours des dernières années. En effet, c’est, entre autres, sur cette base que nombreux analystes de l’économie du Nigeria conseillent de dévaluer la monnaie Naira ou de laisser filer le cours de cette monnaie sur les marchés internationaux. Pourtant au regard des informations fournies par les statistiques de 2019 du Fond monétaire International 12, le nombre de mois de réserves de change pour importer s’était stabilisé autour de 5,8 mois de réserves d’importations entre 2010 et 2015.

Par la suite, la gestion prudente de la Banque centrale du Nigeria et du Gouvernement nigérian notamment sous la Présidence de Muhammadu Buhari, depuis son retour au pouvoir en mai 2015 et sa réélection en février 2019, a permis au Nigeria de se positionner comme un acteur qui compte sur l’échiquier mondial. Le nombre de mois de réserves de change disponible pour les importations a graduellement évoluer pour atteindre 7,1 mois d’importation en 2018. Les estimations pour 2019 sont à la baisse avec 6,3 mois d’importation en 2019 et 5,7 % en 2020.

En comparaison, l’Afrique du sud, l’autre géant économique africain est passée d’une moyenne de 5,2 mois de réserves d’importations entre 2010 et 2015 à 5,5 en 2018 avec des estimations autour de 5,2 en 2019 et 4,9 en 2020.

Ces deux pays tirent l’Afrique subsaharienne vers le haut. En effet, la moyenne de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne est passée de 5,1 mois de réserves tampons d’importations entre 2010 et 2015 à 5,5 en 2018 avec des estimations à la baisse autour de 4,9 en 2019 et 4,7 en 2020.

Rappelons tout de même que la zone franc qui se présente comme un modèle à suivre avait une moyenne de 5,3 mois de réserves tampons d’importations entre 2010 et 2015, puis a chuté à 3,7 en 2018 avec des estimations autour de 3,9 en 2019 et 4,1 en 2020.

En comparaison, la zone CEDEAO fait mieux grâce principalement aux pays non francophones. La moyenne était de 5,4 mois de réserves tampons d’importations entre 2010 et 2015, puis a progressé pour atteindre 6,3 en 2018 avec des estimations à la hausse autour de 5,7 en 2019 et 5,2 en 2020. La CEDEAO n’a aucune leçon à recevoir à ce sujet de la Zone franc, surtout lorsque cette zone continue à accepter en son sein la France avec un droit de véto, la rendant partiellement responsable des résultats médiocres des dirigeants autocrates et adeptes de la servitude volontaire de cette zone.

Paradoxalement, si l’on exclut le Nigeria et l’Afrique du sud des statistiques, les estimations pour 2019 et 2020 pour l’Afrique subsaharienne sont respectivement de 3,8 et 3,9 mois de réserves tampons d’importations, soit un constat général de difficulté à organiser et construire des réserves tampons pour les réserves de change. Aussi, contrairement aux critiques ici et là, la gouvernance du Nigeria est prudente et efficace, ce en la replaçant dans le cadre morose de la volatilité de l’espace commercial mondial due à l’unilatéralisme de la politique américaine d’équilibrage de sa balance commerciale au plan bilatéral. Sur ce plan, l’Afrique n’a aucun problème au contraire.

8. L’ETAT AFRICAIN EST BUDGÉTIVORE : UN JEÛNE INTELLIGENT S’IMPOSE
L’Afrique doit se préparer à une hausse de la volatilité du marché global, ce qui ne manquera pas de peser sur les pays vulnérables financièrement et ne disposant pas de réserves tampon suffisantes.

Une chute de la croissance mondiale liée à l’unilatéralisme des Etats-Unis à vouloir réaliser un rééquilibrage asymétrique de ses échanges bilatéraux aux dépens du reste du monde, pourrait entraîner un ralentissement des échanges extra-africains et intra-africains de l’Afrique. Aussi, il est recommandé de renforcer la résilience des économies africaines face à d’éventuels et inévitables chocs futurs.

Le développement du secteur privé africain n’est plus un choix mais une obligation. Cela suppose une réduction drastique mais efficiente des dépenses intrinsèques des Etats africains afin d’améliorer la soutenabilité de leur dette publique et réduire les déséquilibres budgétaires et de de leur compte courant. Pour ce faire, il y a lieu de renforcer pour l’Etat africain la transparence des affectations des recettes fiscales et d’améliorer les réserves tampon de devises, surtout lorsque la croissance est forte et que les recettes ne sont pas dévaluées par une politique monétaire inadéquate et une corruption non sanctionnée. YEA.

5 août 2019.

Dr Yves Ekoué AMAÏZO, PhD, MBA

Directeur Afrocentricity Think Tank

www.afrocentricity.info

© Afrocentricity Think Tank

Notes:

1 Amaïzo, Y. E. (2016). « Afrique : On ne mange pas la croissance économique : création de richesses et redistribution improductive ». Afrocentricity Think Tank. 15 avril 2016. Accédé le 2 août 2019. Voir http://afrocentricity.info/medias/afrique-ne-mange-pas-la-croissance-eco…
2 Les statistiques portant sur la croissance par habitant ont été supprimées dans les rapports du FMI sur l’Afrique subsaharienne et intitulée : Perspectives économiques régionales de l’Afrique subsaharienne. ↩
3 World Bank (2019). World Development Indicators 2019. World Bank: Washington D. C. ↩
4 Amaïzo, Y. E. (coordination) (2002). L’Afrique est-elle incapable d’unir. Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun. Avec une préface du feu Professeur Joseph Ki-Zerbo. Collection « interdépendance africaine ». Editions L’Harmattan : Paris. ↩
5 AIP (2019). « Alassane Ouattara rassure sur la conservation de la parité entre l’Eco et l’Euro ». In AIP (Agence Ivoirienne de Presse). 13 juillet 2019. Accédé le 2 août 2019. Voir http://www.pressecotedivoire.ci/article/2736-alassane-ouattara-rassure-s…
6 AFP (2019). “Boko Haram: from Islamist sect to armed insurgency”. In AFP (Agence France Presse). July 27, 2019. Accessed August 2, 2019. From https://news.yahoo.com/boko-haram-islamist-sect-armed-insurgency-0254320…
7 IMF (2019). Regional Economic Outlook. Sub-Saharan Africa. Recovery Amid Elevated Uncertainty. April 2019. International Monetary Fund: Washington D. C. ↩
8 Emefiele, G. (2019). “Why we’re not building foreign reserve buffers – Today”. In Fxmallam.com. October 15, 2019. Accessed August 2, 2019. From https://www.fxmallam.com/godwin-emefiele-why-were-not-building-foreign-r…
9 Africa 24 TV (2019). “Interview Dr Amaïzo le crédit à l’économie de la Banque centrale du Nigeria ». In africa24tv.com. Le journal de l’économie. Jeudi 1er août 2019. Accédé le 2 août 2019. Voir https://www.youtube.com/watch?v=NZFEOBBgJ6o (voir à partir de la 3e minute). ↩
10 World Bank (2019). World Development Indicators 2019. World Bank: Washington D. C. ↩
11 IMF (2019). Op. cit. ↩
12 IMF (2019). Op. cit. ↩

Source : www.icilome.com