L’ACAT se positionne et appelle à des actions fortes contre sa généralisation

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DOCUMENT DE POSITION DE L’ACAT TOGO SUR LA VINDICTE POPULAIRE AU TOGO

« Ouvrir le livre de la vie, au chapitre de la vindicte populaire c’est prendre conscience du caractère sacré, inviolable de la vie. »

Bruno HADEN

Secrétaire Général de l’ACAT TOGO

Introduction

La pratique de la non-exécution de condamnation à mort depuis trois décennies, l’adoption en juin 2009 de la loi abolissant la Peine de Mort et la ratification en décembre 2015 du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques abolissant la Peine de mort viennent conforter la volonté du gouvernement togolais de protéger le droit à la vie. Ce droit à la vie est inscrit dans la Constitution togolaise en son article 13 qui stipule « L’Etat a l’obligation de garantir l’intégrité physique et mentale, la vie et la sécurité de toute personne vivant sur le territoire national(…) ».

En effet, le constitutionnaliste togolais en proclamant ce droit à la vie s’est référé à plusieurs textes internationaux à savoir la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (article 3), le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (article 6). Ainsi, cette disposition de la loi fondamentale de l’Etat togolais est accompagnée par la mise sur pied de la police de proximité, lancée en Août 2015 dans l’optique de rapprocher les services de police des populations. Toutes ces mesures sont d’ailleurs corroborées par le principe juridique qui interdit la vengeance et la justice privée : « Nul n’a le droit de se faire justice soi-même ».

Malgré cette volonté du gouvernement de protéger le droit à la vie garantie par la Constitution togolaise et les instruments internationaux dont il est partie, on rencontre un phénomène social qui prend de plus en plus de l’ampleur : le phénomène de la vindicte populaire.

Définition de la vindicte populaire

La vindicte populaire est un acte d’exécution extrajudiciaire par lequel un groupe d’individus porte volontairement atteinte à la vie d’une ou des personnes humaines du seul fait que celle (s)-ci est (sont) présumée (s) coupable (s) d’avoir commis un fait ou posé un acte.

Ce phénomène se nourrit de crime et plus choquant le crime des innocents. La vindicte populaire même si elle existe dans les zones urbaines où elle est pratiquée sur les présumés auteurs de vol, de meurtre ou d’accidents de circulation ; elle est aussi présente dans les zones rurales. Dans ces zones, les personnes victimes sont souvent celles accusées de magie noire ou sorcellerie. Elles sont parfois conduites dans une forêt ou dans la brousse par des individus souvent connus de la population pour être tuées ou lynchées. Ce phénomène existe et persiste et tend à devenir un modèle ou une habitude encrée dans la mentalité de certains togolais.

A titre illustratif, nous avons pu relever quelques cas parmi tant d’autres d‘actes de vindicte populaire qui ont été commis sur le territoire national. Dans la nuit du 04 novembre 2015 à Nukafu (Lomé), un présumé voleur arrêté par la foule a été brûlé vif. Cette information a fait le tour des journaux dont l’ALTERNATIVE, dans son numéro 472 du 06 novembre 2015. De même, ce journal dans son numéro 445 du 04 novembre 2015 a également reporté le cas d’un ivoirien Kwamé N’Dri qui a été brûlé par une foule qui l’accusait d’avoir volé une moto. L’ALTERNATIVE dans son numéro 472 du 06 novembre 2015 a fait cas d’un gendarme tué par des individus non identifiés. On peut aussi retrouver dans cette parution, le cas du militaire en civile gravement blessé dans le quartier Doumassessé (Lomé) aux environs de 23 heures. Cette information a été reprise par le quotidien privé LIBERTE dans son numéro 2065 du vendredi 06 novembre 2015. Dans la nuit du 04 novembre 2015, dans le quartier Gbossimé (Lomé), deux individus accusés d’avoir soustrait le sac à main d’une dame le 03 novembre 2015, ont été roués de coups (lynchés) par un groupe de jeunes et sont décédés.

En cours de l’année 2017, l’ACAT Togo a pu répertorier du 18 janvier au 25 avril 2017 huit cas de vindicte populaire dans les quartiers suivants : 18 janvier 2017 à Takpamba (OTI), 03 février 2017 Kégué Zogbédi (Lomé), entre le 09 et le 11 février 2017 à Takpamba (OTI), le 12 février 2017 à Takpamba, le 27 février 2017 à Cacavéli carrefour BODJONA (Lomé), 25 mars 2017 Tokoin Wuiti (Lomé), 25 avril 2017 Tokoin Casablanca (Lomé).

En 2018, l’ACAT TOGO dans son rôle de contrôle citoyen de l’action publique, a relevé des cas de vindicte populaire à Lomé : Djifa-Kpota, Anfamé, Tokoin Wuiti et à Kara dans le canton de Yadè.

Pour le compte de cette année 2019, on a constaté des cas de vindicte populaire dans le quartier Adidogomé (Lomé), à Dalavé aux environs de Tsévié, à Hédzranawoé le 17 juin sur cinq (05) individus présumés auteurs d’un meurtre, et récemment le 23 juin, celle d’un présumé voleur de moto, lynché et brûlé vif dans une ruelle à Avepozo.

Par ailleurs, le bilan 2018 de la situation sécuritaire au Togo fait mention de 155 meurtres par lynchages.

Ce phénomène de plus en plus grandissant dans notre société, concerne à la fois le gouvernement, la population et les victimes qui ont chacun une part de responsabilité non négligeable en ce qui concerne les causes de la vindicte populaire.

Documentation sur un cas de vindicte populaire

Faits

Le lundi 17 juin 2019, le quartier de Hédranawoé (Lomé) a connu un cas de vindicte populaire sur cinq (05) individus d’origine Nigériane. Dépêchés sur les lieux, les observateurs de l’ACAT TOGO ont pu recueillir diverses versions des causes du lynchage ou de la vindicte populaire sur ces derniers.

Ainsi, pour la première version recueillie, les cinq (05) individus de communauté Ibo (Nigéria) auraient été soupçonnés d’avoir violé et vidé de leur sang trois (03) jeunes filles togolaises. Donc, alertée par cet acte, la population a pris en partie ces derniers pour les lyncher. Mais ils ont été sauvés de justesse par les forces de l’ordre et de sécurité et sont évacués pour les soins.

D’une autre version, des trois (03) filles violées et vidées de leur sang, deux (02) sont décédées et c’est la troisième survivante qui a pu dénoncer les faits, ce qui a amené la population à s’en prendre aux présumés auteurs.

D’après une autre version, un Ibo aurait poignardé sa petite amie togolaise la nuit. Malheureusement, la jeune togolais a succombé à ses blessures. Pour retrouver le présumé responsable du crime, un groupe de jeunes a pris d’assaut la maison où ce dernier habite ce lundi dès l’aube. Arrivés dans la maison, le principal auteur du meurtre de la jeune fille aurait pris la clé des champs. Dans l’intérêt de se venger de la mort de la jeune fille, les jeunes ont pris pour responsables de ce crime, cinq (05) frères de l’homme qui est présumé poser cet acte criminel et les ont passés à tabac.

De même suivant la parution ©AfreePress-Lomé, le 18 juin 2019 qui est revenu sur les propos de la Vice-présidente du Comité de développement du quartier (CDQ) de Hédzranawoé, Mme Afi Amevo qui était invité lundi 17 juin 2019 sur radio Zéphyr, une station de radio implantée dans le quartier Hédzranawoé à Lomé pour une émission. Occasion pour elle de revenir sur l’affaire de cinq (5) hommes de nationalité nigériane qui selon la rumeur, auraient échappé à un lynchage dans le quartier pour avoir tué trois (3) jeunes filles togolaises et prélevé leur sang. Une information que réfute Mme Afi Amévo, confortée dans cette position par la brigade de gendarmerie du quartier Hédzranawoé joint au téléphone. D’après les informations obtenues par cette responsable du Comité de développement de quartier (CDQ) de Hédzranawoé, il était plutôt question d’une jeune fille. Une péripatéticienne avec qui un jeune homme de nationalité nigériane avait négocié des services sexuels rémunérés. « Arrivée chez le monsieur à la maison, la jeune fille a constaté le confort dans lequel vivait son client et a décidé de revoir à la hausse le prix négocié ensemble au départ. Un peu frustré, le Ibo a refusé de payer le nouveau prix. Ainsi, la fille est sortie ameuter les jeunes du quartier en criant que le Ibo voulait lui faire du mal. C’est ainsi que la foule est descendue dans la maison où vivaient d’autres locataires qui sont tous des nigérians pour les tabasser tous. Pendant ce temps, la jeune fille a disparue. La preuve, aucune image ne montre la plaignante ou celles qui sont victimes », a laissé entendre, Mme Afi Amevo. Mais indique-t-elle, la police est en train de faire ses investigations pour retrouver la jeune fille par qui le problème est arrivé. « Nous avons appris qu’il n’y a pas eu de mort. Mais c’est plutôt la population qui a tabassé les Ibo et pillé les meubles et autres de leurs chambres. D’après nos rapports et investigations, aucun corps n’a été retrouvé à la morgue et la jeune fille qui se dit blessée n’a laissé aucune trace à l’hôpital », a indiqué, Mme Amevo.

Notre analyse

Au regard de ce qui précède, il y a lieu de relever l’atteinte à deux droits fondamentaux de l’homme dans ce scénario qui a eu lieu dans le quartier Hédzranawoé :

Atteinte au principe de la présomption d’innocence

Aux termes de l’article 18 de la Constitution togolaise : « Tout prévenu ou accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d’un procès qui lui offre les garanties indispensables à sa défense. Le pouvoir judiciaire, gardien de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

Cet article nous rappelle le principe de la présomption d’innocence. Ceci étant, nul ne doit se rendre justice soi-même, il appartient à une juridiction compétente, lorsqu’un individu commet un acte présumé délictueux, de trancher sur sa culpabilité ou non. On se rend plutôt coupable d’infraction lorsqu’on se rend justice soi-même comme le cas de la vindicte populaire.

Atteinte au droit à la vie : vindicte populaire

Aux termes de l’article 13 de la Constitution togolaise : « L’Etat a l’obligation de garantir l’intégrité physique et mentale, la vie et la sécurité de toute personne vivant sur le territoire national. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa liberté. Nul ne peut être privé de sa vie. La condamnation à la peine de mort, à vie ou à perpétuité est interdite ».

Cet article nous rappelle le caractère sacrée et inviolable.de la vie. De ce fait, nul n’a le droit de porter atteinte à l’intégrité physique et mentale, la vie et la sécurité d’une autre personne humaine quel que soit l’acte posé par ce dernier ou de tout autre motif. De même, quel que soit le motif d’accusation, il n’appartient pas aux individus ou à un groupe d’individus de se rendre justice.

Notre positionnement

Notre positionnement, c’est de voir le gouvernement togolais ordonner l’ouverture des enquêtes poussées dans un bref délai afin de communiquer suffisamment pour éclairer l’opinion public sur ce qui s’est passé réellement dans le quartier Hédzranawoé le lundi 17 juin 2019.

Source : telegramme228.com