Editorial. Si, avec la réforme du franc CFA, Emmanuel Macron, a fait un pas que ses prédécesseurs n’avaient pas osé franchir, Paris doit maintenant tout mettre en œuvre pour aider les Etats africains francophones à acquérir une vraie émancipation économique et monétaire.
A l’approche du 60e anniversaire des indépendances de ses anciennes colonies africaines, il était grand temps que la France réforme le franc CFA, cette monnaie créée en 1945 et toujours en vigueur dans quatorze pays du continent. Emmanuel Macron, en annonçant, samedi 21 décembre à Abidjan, la disparition prochaine de cet « oripeau » d’un passé révolu, a fait un pas que ses prédécesseurs n’avaient pas osé franchir.
Agacé de voir la monnaie « françafricaine » servir d’exutoire aux colères antifrançaises, le président de la République a, au côté du président ivoirien, Alassane Ouattara, lancé un aggiornamento négocié avec huit pays d’Afrique de l’Ouest : remplacement du « franc CFA » par l’« éco », nom de la future monnaie commune à quinze pays de la région ; fin de l’obligation pour les Etats africains de verser 50 % de leurs réserves de change au Trésor français et de la présence française au conseil d’administration de la Banque centrale à Dakar ; maintien de la garantie de la France et de l’arrimage à l’euro. En bref, la France cesse d’être cogestionnaire mais demeure garant financier.
Pour ses partisans, dont M. Ouattara lui-même, l’union monétaire garantie par la France assure la stabilité, y compris pendant les crises comme la guerre civile ivoirienne de 2002-2007. Selon ses détracteurs, le système maintient la parité avec une monnaie trop forte, l’euro, empêche toute dévaluation compétitive, décourage la production locale, entrave l’industrialisation et enferme les pays dans une économie de rente de matières premières.
Que des Etats indépendants depuis plus d’un demi-siècle ne disposent pas de cet attribut fondamental de la souveraineté qu’est la monnaie apparaît comme une anomalie. L’arrangement avec Paris peut être vu comme un cadeau aux élites francophones africaines, dont le pouvoir d’achat est gonflé. A cet égard, la vraie-fausse disparition du franc CFA annoncée par M. Macron ne changera rien. « J’ai voulu engager cette réforme », a souligné le président, comme pour souligner que la France conserve les rênes.
Cette insistance à s’attribuer la paternité du changement, si elle renvoie à une certaine inertie des dirigeants concernés, n’est pas de bon augure alors qu’il s’agit d’inciter les Etats ouest-africains à prendre leurs responsabilités.
Indépendance financière à conquérir
Au fond, la monnaie commune symbolise l’ambiguïté persistante des relations entre Paris et son ancien pré carré, la fameuse « Françafrique » : elle sert d’exutoire commode aux colères africaines et d’alibi pour les insuffisances du continent – immobilisme politique, corruption endémique et climat des affaires déficient. Pour les dirigeants africains, le maintien du lien monétaire avec la France est à la fois une assurance de stabilité et un aveu de faiblesse.
La rupture partielle annoncée par M. Macron sonne comme un appel à une véritable émancipation économique et monétaire des Etats africains francophones. Les anciennes colonies anglophones, elles, ont depuis des lustres des monnaies autonomes, avec des succès contrastés, il est vrai. A l’heure où la Chine, grâce à sa puissance financière, inonde l’Afrique de projets d’infrastructure au prix d’un endettement et d’une sujétion accrue, l’indépendance financière du continent reste à conquérir.
Si la France veut être crédible dans sa volonté proclamée de tourner pour de bon la page coloniale et de conserver les relations de proximité façonnées par l’histoire, elle doit à la fois tenir un langage de vérité et tout faire pour aider les Etats africains à prendre en main leur propre monnaie.
Source : Le Monde
Source : 27Avril.com