L’importation du riz, au détriment de la production locale de la denrée, est l’un des business les plus florissants au Togo. Ils sont puissants et influents, les seigneurs qui, tapis dans l’ombre, tiennent la plus grande part dans cette activité. La plupart d’entre eux sont connectés au pouvoir politique. Mais qui sont-ils ?
« Puisque nous aimons le riz, produisons-en », avait déclaré l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo. Le riz vient en deuxième position des céréales les plus consommées après le maïs, selon l’Institut togolais de recherche agronomique (ITRA). Cependant, le Togo reste fortement dépendant du riz importé d’Asie, notamment de Thaïlande, du Japon, de l’Inde ou de la Chine. Sur le marché local, on retrouve plusieurs noms de ces riz en emballages de 5, 25, 45, 50 kg qui livrent une rude concurrence à la production locale.
Les sociétés OLAM International Limited, Louis Dreyfus (sociétés étrangères), les Ets Mawuynon, Elisée Cotrane, entre autres, sont les maîtres de l’importation du riz et détenteurs pour la plupart de plusieurs marques à la fois. Si les marques Farida, Sister Grace et Gino sont importées par l’Établissement Mawuynon, la Société OLAM importe le riz Royal Orchid, Tasty Tom, Festin, Akadi, Bijou, Bonheur, Meme. Avec des spots publicitaires conçus dans le cadre de puissantes stratégies marketing, ils imposent le riz asiatique dans les assiettes des consommateurs togolais.
Julie Béguédou, dans l’ombre du pouvoir
Julie Béguédou, détentrice de la société Elisée Cotrane, était, à ses premières heures, l’une des premières grandes importatrices de riz au Togo. Elle détient, en plus, le monopole de l’importation des engrais et d’autres intrants agricoles.
Détentrice de la marque de riz Obama, elle surfe sur ses relations supposées ou avérés avec plusieurs caciques du pouvoir, dont l’ex-ministre de l’Agriculture Ouro-Koura Agadazi. Tous deux ont été cités dans une affaire de livraison d’engrais des vivriers togolais. C’était en 2016.
« L’historique Cagia (Ndlr : Centrale d’Achat et de Gestion des Intrants Agricoles du Togo) n’organisera pas cette année d’appels d’offres d’engrais NPK et d’urée de septembre à décembre, comme elle le fait traditionnellement avant de redistribuer ces produits aux agriculteurs. Depuis la fin 2015, et en vue de la disparition programmée de la Centrale, une dizaine de distributeurs privés ont émergé. Parmi ceux-ci, seuls quelques-uns sont réellement actifs, dont Elisée Cotrane, l’entité de Julie Béguédou, une intime du président Faure Gnassingbé qui se positionne dans les affaires depuis une dizaine d’années. Au Togo, Elisée Cotrane est connue des institutions financières comme la Banque Atlantique, UTB ou encore Orabank où la société enregistre un imposant passif se chiffrant à des milliards de FCFA.
A l’instar des autres nouveaux distributeurs privés comme Fredo Vanos, une société fondée par Kokou Devenou, l’ancien mécanicien en charge de l’entretien des véhicules présidentiels, Elisée Cotrane est désormais chargée de couvrir les besoins en engrais des vivriers togolais. Ceux-ci sont essentiellement des cultivateurs de maïs. Leurs besoins sont estimés à environ 40 000 t/an. Mais l’insatisfaction monte chez ces derniers, car depuis la désactivation du réseau de magasins de la Cagia, ils ne savent plus où aller pour s’approvisionner en engrais. D’où la piètre performance de leurs cultures et l’envolée des prix.
Afin d’éviter une pénurie durable d’engrais, le ministre Agadazi (un proche de Julie Béguédou) qui est en charge de la sécurité alimentaire du pays et qui est à l’origine de la réforme de la Cagia, va devoir se pencher sur le non-fonctionnement du nouveau système. D’autant que sur le front de l’approvisionnement en engrais de la Nouvelle Société Cotonnière du Togo (NSCT), l’un des poumons économiques du pays sur lequel Julie Béguédou est également positionnée, la situation n’est pas brillante non plus », révélait notre confrère La Lettre du Continent dans sa parution n°374 du 30 août 2016.
Proche du chef du régime UNIR (Union pour la République), le parti au pouvoir, Julie Béguédou rafle, par les passations de marchés gré-à-gré, d’importants marchés d’intrants agricoles. Mais c’est une affaire de riz toxique déversé au Port autonome de Lomé en 2011 (dans laquelle sa société a été mise en cause) qui l’a sortie de l’ombre. Bien que les investigations de certains journaux de la place comme Indépendant Express et le quotidien Liberté attestent que le riz importé était couvert en sa surface de produits de fumigation, ce dossier a été classé sans suite.
A l’époque l’affaire a fait grand bruit et a semé la psychose au sein de la population. Mais la patronne d’Elisée Cotrane qui, lors d’une conférence de presse, avait reconnu que les services phytosanitaire ont diagnostiqué le produit de fumigation, indiquait que « les Américains, à partir d’un volume, préfèrent envoyer le riz en vrac parce que c’est plus rapide pour le chargement ». Et d’ajouter : « Pour nous, quand le riz est en vrac, c’est beaucoup plus rapide, et on a moins de sacs déchirés après. C’est pourquoi nous avons opté pour que cela vienne comme cela. Il n’y a pas de problème sur le riz. Nous avons toujours l’habitude, dans toutes les céréales, de mettre les insecticides pour tuer les charançons; c’est ce qu’on a mis sur le riz et c’est ce que nous mettons toujours. Lorsque les services phytosanitaires sont arrivés, comme c’est la première fois qu’ils ont vu un bateau comme ça en vrac, ils étaient déjà étonnés. Etant donné que le riz n’est pas dans le sac, ils ont vu que quelques parties du riz ont été détachées par le produit ». Le gouvernement, dans un communiqué, avait laissé entendre qu’« au terme des investigations, il est apparu que les informations diffusées sont fausses et reposent, sans doute, sur des interprétations fantaisistes émanant de personnes non qualifiées ».
En amont de la présidentielle du 4 mars 2010, la puissante dame avait mis en vente sur le marché un riz labélisé « Riz c’est mon Faure ». Mais depuis quelque temps, sa brillante étoile s’assombrit devant la montée sans bruit, mais avec une sobriété trompeuse, de l’établissement Mawunynon, avec qui elle partage le giron des seigneurs.
« Si certaines figures comme Julie Béguédou, patronne de la société d’importation d’intrants agricoles Elisée Cotrane, sont moins visibles au Palais de Lomé II, d’autres ont au contraire gagné en influence. C’est le cas de l’ex-ministre béninoise Reckya Madougou. Actuelle conseillère à la présidence, celle-ci a l’entière confiance de Faure Gnassingbé, tout comme la directrice du cabinet présidentiel Victoire Sidémého Tomégah-Dogbé, même si cette dernière est inquiétée par l’influence grandissante de Florence Yawa Kouigan, ancienne du groupe Ecobank et cadre du parti majoritaire, l’Union pour la République (Unir) », lit-on dans La Lettre du Continent N°775 du 25 avril 2018.
Norman Bayi Flora, le soft power
Etablissement Mawunyon ; ce nom n’est pas inconnu des Togolais. Ils le voient chaque jour sur leurs petits écrans au moment des heures de réclame. Ces spots publicitaires qui mettent en scène des humoristes ivoiriens vantant ses marques. Derrière ce conditionnement à l’addiction du paddy asiatique, se cache Mme Norman Bayi Flora. Une richissime femme d’affaires. Elle fait fortune dans le commerce de riz et d’autres produits, surtout cosmétiques. Sur certaines gammes de riz importées, elle détient le monopole dans la sous-région. Très discrète, elle est la patronne de la société Mawunyon. Elle a su imposer son commerce dans le milieu très select des importateurs de riz au Togo.
D’après les informations recueillies auprès de son entourage et de ses anciens employés, Mme Norman Bayi brasse des centaines de millions de FCFA de chiffres d’affaires annuels. Elle importe de la société thaïlandaise Watamol trois marques de riz : Gino, Sister Grace (du nom de sa fille) et Farida. A en croire les mêmes sources, la patronne de l’Établissement Mawunyon commande plusieurs conteneurs de pieds remplis de riz qu’elle met sur le marché. Elle s’est bâti un nom, sinon une référence dans le lobby du riz. Et dans ce domaine, elle côtoie le milieu politique togolais.
D’abord, c’est son époux Pierrot Kokou Akakpovi, patron de la société de transit Mono-Trans, propriétaire de l’Hôtel Novelas star, qui l’a véritablement lancée. Ce dernier est proche du pouvoir. « Elle a longtemps profité des largesses de la douane. Elle était exemptée des frais de douane », nous a révélé un ancien employé de Mawunyon. Tombé en disgrâce avec le pouvoir en place, Akakpovi a dû traverser la frontière pour echapper aux poursuites, contraint à un redressement fiscal évalué à de plus 4 milliards de FCFA. Il a eu des démêlés fiscaux avec Ingrid Awadé, alors Directrice des Impôts (aujourd’hui à la tête de la Caisse nationale de sécurité sociale).
Même après la disgrâce du sieur Akakpovi, les cargaisons de son épouse Norman ne se sont pas « noyées ». Bien au contraire, elles continuent d’écumer les mers d’Asie pour choir dans les assiettes des Togolais. On lui prête une forte proximité avec un autre poids lourd du pouvoir en place. Il s’agit de l’Inspecteur de douanes, Anani Yao Kpegba. Même si la relation n’est pas véritablement établie, les soupçons sont renforcés du fait qu’un fils de l’Inspecteur de douane, Delali Kpégba, occupe un poste stratégique dans sa société. Il en détient la caisse de la société.
Mme Norman Bayi ne veut pas attirer les regards, d’où le recours aux humoristes ivoiriens gracieusement payés pour ses pubs. « Elle dit que les humoristes togolais ébruiteront leurs cachets si elle recourt à eux», nous a révélé notre source. C’est à Paris en France que sa patronne exhibe sa richesse. Hôtels et salons de coiffure de luxe sont ses lieux privilégiés.
Sous l’œil-gardé
Ces puissantes dames sus-citées gardent bien un œil sur l’importation du riz par souci de protectionnisme, et pour cause.
En mars 2012, lorsqu’il était en voyage avec le Premier ministre d’alors Gilbert Fossoun Houngbo, l’ancien ministre du Commerce, Seth Kokou Gozan, était informé de son limogeage du gouvernement. Sa faute est d’avoir autorisé un nouveau concurrent dans le cercle très fermé des importateurs de riz. Un concurrent de trop. Et donc pas le bienvenu ! Ce qui lui a valu son éjection du gouvernement d’alors puisque Mme Julie Béguédou, patronne de la société « Elisée Cotrane » et gros importateur de riz asiatique ne supporte pas la concurrence.
Les Indiens d’OLAM
Installée à Lomé depuis 2014, OLAM Togo Sarl au Capital de 150 millions F CFA est une société appartenant à des Indiens. La gérance a été assurée au prime abord par les sieurs Munish Gupta et Amit Agarwal avant d’être confiée à un autre Indien du nom de Ravi Pokhriyal, selon les termes des procès-verbaux de décision de l’associé unique enregistrés au RCCM le 20 juillet 2014.
Gupta, un nom qui est souvent cité au cœur des affaires mafieuses au Togo, en Australie ou en Afrique du Sud avec une complicité au plus haut sommet de l’Etat. Jacob Zuma, l’ancien président sud-africain avait perdu le pouvoir pour avoir accepté des pots-de-vin de cette famille.
Au Togo, les Gupta sont propriétaires de l’Hôtel du 02-Février, détiennent le monopole du phosphate et sont souvent cités dans l’exploitation clandestine de l’or, l’accaparement des terres à Aného, Kpalimé, Badja et autres localités du Togo. Ils ont déployé leurs tentacules dans plusieurs domaines en s’associant avec les gouvernants.
Leur société (OLAM) est éclaboussée, depuis décembre 2018, par une affaire d’importation de riz impropre à la consommation. Elle est le propriétaire de la cargaison à bord du navire Ocean Princess contenant 18 104 550 tonnes de riz myanmar de qualité douteuse en provenance de la Birmanie via Conakry (Guinée), accosté aux côtes togolaises. Interdit de débarquement en Guinée Conakry, il a mouillé dans les eaux togolaises où il a passé plusieurs jours en rade.
Après des tentatives de débarquement infructueuses au Port autonome de Lomé, Ocean Princess a levé l’ancre pour se retrouver au Port autonome d’Abidjan en Côte d’Ivoire où la cargaison a été déchargée du 11 au 18 mars dernier, selon les autorités de ce pays.
Déclaré impropre à la consommation par les résultats des analyses des échantillons, le ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Promotions des PME, à travers un communiqué de presse, a procédé « à la saisie réelle et la mise sous scellés de ces 18 000 tonnes de riz birman et au déclenchement de la procédure de destruction ».
Notes :
Au cours de notre enquête, nous avons entrepris des démarches auprès des autorités togolaises pour avoir des informations relatives au sujet, en adressant deux correspondances au ministère chargé du Commerce qui ne nous a pas donné suite.
Aussi avons-nous adressé un questionnaire à Mme Norman Bayi Flora, Directrice Générale de la société Mawuynon qui est citée dans cette enquête. Mais sans réponse. Une deuxième fois, c’est le bureau de la CENOZO sis à Ouagadougou au Burkina Faso qui l’a contactée. Jointe au téléphone, elle a souhaité qu’on lui envoie un protocole de questionnaire via son email. Ce qui a été fait. Jusqu’au moment où nous publions les résultats de cette enquête, Mme Norman Bayi Flora ne nous est toujours pas revenue.
NDLR : Des compléments d’enquêtes dans les prochains numéros de votre journal
Par Pierre-Claver avec CINOZO
Source : www.icilome.com