« C’est par la force des images que, par la suite des temps, pourraient bien s’accomplir les «vraies» révolutions ». André BRETON, dans Les Nouvelles littératures, Hommage à Saint Pol-Roux, 1925, reconnaît les facteurs adjuvants d’une véritable érection de coscience des peuples frustrés, privés de liberté, de leurs droits. Ils arrivent toujours à trouver en eux-mêmes les inspirations et les ressources à mesure que l’étau de l’esclavage ravage leur vie, leur avenir, celle de leurs progénitures. Les mutations les plus significatives en faveur du présent et pour de nouveaux horizons arrivent à point nommé, quand l’exaspération atteint une intensité seuil.
Les efforts populaires de libération peuvent être férocement réprimés. Mais, tant que les privations demeurent, les rebonds des forces nouvelles surgissent, parce que la puissance populaire est irréversible tant que les conditions d’existence des citoyens les clouent à l’ivresse de l’indigence, de la pauvreté, de la souffrance et des privations de petits bonheurs.
Dans notre pays, le Togo, où règne une oligarchie militaro-clanique, les crimes du sang, les crimes judiciaires, les crimes économiques sont les armes de la gouvernance et de la rapine électorale. Elles n’ont jamais réussi à imposer les verrous de la soumission à notre peuple.
Quand les institutions de remplissage politique ne donnent aucune solution pour répondre aux exigences et réclamations de la grande majorité, de sursaut populaire en sursaut populaire, les peuples franchissent les limites de leur confinement administratif parce que la liberté finit par s’éclater dans leur âme. Les projets creux, les solutions d’encombrements médiatiques, les artifices politiques n’ont que la force de la désuétude et des actions tronquées auxquelles ne s’associent jamais les consciences qui s’élèvent des ténèbres de la liberté. Quand la vie des peuples est en lambeaux et dans les fers de la brutalité administrative, le renoncement au souffle vivifiant de la liberté est quasi impossible, parce que les hommes sont nés pour la liberté et se sont constitués en Etat pour bien l’exercer.
De nos villes laissées à l’abandon à nos campagnes aux airs médiévaux, le cynisme politique des cinquante-deux ans a préparé les Togolais à la résistance incisive. Même si le régime dynastique croit avoir retrouvé un souffle pour perpétuer, après la nomination des députés d’Assemblée nationale fantoche, sa spoliation aggravée par le véreux d’un renchérissement farfelu du prix du carburant et de l’électricité, le fouet d’une effervescence de rebond de la contestation est chauffé au rouge au coeur de la cité pour une détonation aux inconnus multiples.
L’autonomie de la souveraineté populaire n’est-elle pas la force historique dont disposent tous les peuples pour faire triompher leurs aspirations à tout moment?
1) Les aiguillons de l’histoire des peuples
Il est des événements constants qui font tourner la roue de l’histoire. Les grands ennemis du pouvoir, quel qu’il soit et quelles que soient les précautions dont il se pare pour se conserver sont: les injustices flagrantes, les abus d’autorité, les répressions féroces, les privations effroyables, les crimes de masse, les crimes économiques, la délinquance judiciaire, les escroqueries d’Etat, la démolition des droits des citoyens et des peuples, les souffrances extrêmes imposées aux populations, la faim, la soif, la cruelle absence des loisirs, le flux effréné du chômage, la chute drastique de la santé et de l’éducation, l’effrondrement de la question civique, morale, l’introuvable pouvoir d’achat des citoyens…
Dans cet écheveau des conditions des malheurs et des heurts des peuples, le Togo est dans une vraie collection et aucun élément de ce relevé ne manque à la situation de notre pays. Nous sommes dans toutes les pourritures et les souillures de l’histoire des chamboulements politiques qui sèment de nouveaux espoirs. Nous avons lamentablement raté l’occasion de nous redresser, surtout parce que nous ne jouons jamais franc-jeu dans une réconciliation qui nous coûte des fortunes et de précieux temps pour nous basculer dans les ravins de la récidive. Les initiatives de façade, les parjures et les remplissages ont lessivé toutes nos institutions pour en faire des pacotilles trop molles et trop paillassons pour ordonner la concorde civile.
Une fois que les institutions sont gravement tronqués, fossilisées, la nausée qu’elles inspirent éloigne la population d’un accompagnement des projets qu’elles sont sensées porter. L’ankylose du fonctionnement de nos institutions fait tourner à vide le concept du vivre-ensemble, les audaces masquées de restauration de l’espérance et les innovations les plus souhaitées par les citoyens. Une fois qu’un régime, dans ses méandres de combinaisons fausses, dans ses simulacres perd la confiance des administrés, il lui est quasi impossible de mériter l’onction et l’aval dont il a besoin pour prouver son engagement, son efficacité dans la gouvernance.
La faillite des gouvernants alimente des ressentiments les plus sourds et les plus ouverts dont les répliques de convulsions sociales expliquent largement les grandes déceptions collectives. Ceux qui n’ont pas trouvé les facteurs de la fronde républicaine, animée par Tikpi ATCHADAM le 19 août 2017 dont les larves incadescentes dévalent encore nos pavés, ont manqué de justesse d’esprit pour retracer les péripéties des faussetés étatiques et d’une réconciliation de la grande mascarade politique. Les artifices se démentent toujours et n’emmènent nulle part ceux qui s’en abreuvent avec des rêveries de résoudre les questions qui sollicitent leur responsabilité et leur position sociale. La spontanéité fédérée des forces vives de la nation et des partis politiques jusqu’aux confins de la diaspora qui se dresse contre la minorité « fauriste » à la louche des appétits voraces, illustre l’accumulation de la souffrance des privations de notre peuple.
Ceux qui pensent que l’Assemblée nationale de traficotage électoral suffit à la paix civile se trompent lourdement, parce que le vécu des populations n’a besoin d’aucun vernis, d’aucun badigeon de façade pour traduire l’abîme insoutenable qui détruit tout soupçon d’espoir et de bonheur.
Nous ne comprenons pas l’outrecuidance de la dynastie des rapines qui brûle, par le supplice du collier, ce peuple qui baigne déjà dans l’indigence. L’option véreuse d’une augmentation du prix de l’énergie, carburant et électricité, est le sermon de la bêtise à la chapelle de la provocation. Les réactions populaires contre les grandes brûlures de la gouvernance ne sont pas toujours instantanées. Toutefois, elles ne vont jamais mourir dans l’inconscient collectif des peuples. C’est pour cette raison que dans Du Contrat Social, Jean-Jacques ROUSSEAU écrit : « C’est une prévoyance nécessaire de sentir qu’on ne peut tout prévoir ».
La tactique de verrouillage et de répression n’a certainement pas de puissance de faire renoncer à un peuple l’expression d’un mal-être ou d’un vrai malaise. Ceux qui sont en quête de leur libération dans un Etat esclavagiste ont plus d’esprit et de force pour avancer avec les armes de leur inspiration au moment où des solutions collectives et incisives se forment d’elles-mêmes avec leur volonté propre ou à leur insu.
2) Les échelles de la résistance civile
Ceux qui règnent par la force ont constamment la peur au ventre de se voir submerger par un réveil populaire. Ils sont en permanence sous pression, parce que leurs méthodes tyranniques est un piège sans fin pour leur propre sécurité. La terreur à elle seule ne suffit pas à rendre docile un peuple et à maîtriser l’irruption populaire.
Le ciel des rêves des peuples piétinés est le pôle le plus sûr de leurs aspirations, de leur combat parce qu’ils ne peuvent pas s’endormir sur les braises de leurs souffrances et s’abandonner au hasard du vent comme s’ils n’ont rien à redire de leur privation pour acquiescer les conditions épouvantables dans lesquelles ils se trouvent. La force populaire de réclamation est comme un torrent. Il contourne les obstacles et creuse son lit en attendant les confluents de drainage des eaux nouvelles pour étonner le monde. C’est pourquoi, il est inconcevable que la répression puisse contenir à tout moment la puissance déferlante de l’autonomie de conscience des peuples en action contre l’arbitraire.
La vérité des peuples est emballante. Elle remorque dans la spontanéité les citoyens, parce qu’elle intègre une âme civique, une conscience républicaine, l’esprit d’un temps, une socialité active. Elle provoque aisément des désistements spectaculaires et grossit, dans la durée, ses rangs. Les princes font plus d’hypocrites que de dévots. Aux heures troublantes de l’histoire où la vérité des peuples s’enfle, le libre choix de conversion de ceux que l’on percevait comme des dignitaires d’un régime est étonnamment récurrent.
Par conséquence, vivre de la mauvaise conscience n’est pas la meilleure manière de faire la politique. Tant que les peules se sentent dans l’insécurité, tant que les institutions sous lesquelles ils sont administrés n’ont que la misère à leur faire, ils finissent par réussir l’épée de leur propre libération.
Ce qui se passe aujourd’hui en Algérie est la conséquence des accumulations d’abus de pouvoir, des confiscations des libertés fondamentales par un clan qui use de tous les recours pour faire triompher ses privilèges. Sans les compromis politiques pour un apaisement qui relance véritablement la concorde civile, les soubresauts les plus inattendus renversent l’ordre de sérénité de façade longtemps entretenu pour faire croire à une normalité acquise. Pourtant, les autorités algériennes pensaient qu’elles étaient à l’abri des grands changements politiques et racontaient que l’Algérie n’est pas la Tunisie, ni l’Egypte ou la Libye. De même, on assiste au même discours au Togo où nous avons entendu de la bouche du clan GNASSINGBE dire que le Togo n’est pas le Burkina Faso.
Nous devons savoir une fois pour toutes qu’il n’y a pas d’artifice possible pour éloigner les peuples de ce qui les concerne et de leur propre histoire en entretenant la répression, la peur. Le rêve de liberté est inextinguible où que les peuples se trouvent. 2020 ne va pas être l’année des plaisanteries politiques pour écarter les Togolais une fois encore de leur option d’alternance politique. Les enjeux de la présidentielle dans un an portent un autre esprit national autrement plus important que toutes les simagrées de gouvernance auxquelles nous assistons. Les Togolais veulent donner une âme à la République, comme l’écrit Germaine NECKER dans, De la littérature : « Une nation n’a de caractère que lorsqu’elle est libre »
Source : www.icilome.com