La lutte contre le terrorisme dans une dictature? Bonjour les dégâts!

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«Le fond du problème du terrorisme, c’est l’injustice, la pauvreté, l’exclusion. Il faut le traiter en supprimant ces causes.» De Francis Ford Coppola / Le Figaro Janvier 2015.

L’emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique, par des attentats, des destructions de biens publics ou privés, par des prises d’otages. Voilà à peu près la définition classique du terrorisme. Mais depuis que l’alibi religieux est entré en jeu, depuis que le terrorisme est devenu l’arme favorite des fous de dieu, ce nouveau mal du siècle a pris d’autres formes encore plus ravageuses concernant les modes d’opération. Et comme il s’agit d’un fléau insaisissable qui peut frapper à tout moment et n’importe où, à l’improviste, il est très difficile de le prévenir ou de le combattre efficacement. Ceci dit, la lutte contre le terrorisme est une guerre de tous les jours qui ne se mène pas comme on le ferait dans une guerre classique; mais avec des stratégies intelligemment peaufinées, faites de renseignements et d’infiltration au sein des populations et surtout au sein des milieux potentiellement suspectés comme foyers du terrorisme. On ne prend pas le dessus sur le terrorisme parce qu’on a la meilleure armée du monde; si c’était le cas, on ne parlerait plus de terrorisme aux États-Unis d’Amérique.

La lutte contre le terrorisme peut se retrouver sous plusieurs formes, selon qu’on vit en démocratie ou en dictature. Pendant qu’en démocratie les décisions concernant les mesures de sécurité renforcée, de déploiement de la police ou de l’armée sont prises par consensus au sein du gouvernement ou au parlement avec la prise en compte du point de vue de l’opposition, dans un régime autoritaire ou de dictature comme au Togo, c’est le dictateur, « chef suprême des armées » qui décide de tout; ayant toujours en tête le souci de contrôler tous les leviers du pouvoir pour ne jamais le perdre. Le chef d’état-major ou le ministre de la sécurité sont dans ce cas rélégués au rôle de simples faire-valoir, contraints d’essayer de justifier à la radio ou à la télévision les dérives de la police, de la gendarmerie ou de l’armée.

C’est pourquoi, revenant justement sur le cas de notre pays, le Togo, nous estimons que, vu la fébrilité dans le comportement des autorités politiques et militaires, la lutte contre le terrorisme est mal engagée. Depuis que ce fléau existe et depuis que les pays du monde concernés s’organisent pour y faire face, il ne nous a jamais été communiqué qu’une armée, quelque part, ait tué par drone ses propres citoyens, les confondant à un groupe de terroristes; ça sent de l’amateurisme. Et le fait pour l’armée togolaise d’avoir avoué la sanglante bavure n’est aucunement un signe de transparence, mais plutôt acculée par des preuves et surtout des témoignages accablants. Le risque que de tels dérapages de la part de nos forces de l’ordre et des éléments de l’armée, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, se répètent, est très élevé; la police, la gendarmerie et l’armée étant habituées aux méthodes de répression sur les populations du fait du manque de l’état de droit, doublées d’une garantie d’impunité. Le sanglant incident du grand marché de Lomé le 2 juin 2022 où un gendarme, au cours d’une dispute, fut mortellement poignardé par un homme d’une cinquantaine, qui serait d’origine tchadienne, et la vindicte populaire qui s’en était suivie malgré la présence de la force publique, nous renvoient au visage le manque de professionnalisme et de sang-froid de nos gendarmes et policiers. Alors que de telles qualités sont plus que nécessaires pour pouvoir faire la différence entre un acte vraiment terroriste et un comportement lié à la délinquance ordinaire.

Et nous ne le répéterons jamais assez; la composition même de l’armée togolaise et des autres entités de sécurité comme la police et la gendarmerie, qui est très loin d’être nationale, ethniquement parlant, ajoutée au fait qu’au Togo, l’armée et le peuple se regardent en chiens de faïence pour des raisons évidentes, n’est pas de nature à arranger les choses dans la lutte contre le terrorisme où les autorités ont besoin de la collaboration des populations.Bien avant la commission d’actes terroristes dans le nord de notre pays, le régime avait procédé à la diabolisation de certains partis politiques de l’opposition légalement constitués, parce qu’acculé par les manifestations des populations. Le Parti National Panafricain (PNP) est pratiquement interdit de façon tacite, ses militants taxés de djihadistes, dont plusieurs sont encore en prison, son chef traqué et contraint à l’exil. Maintenant que nous avons probablement de vrais djihadistes à nos portes ou dans nos murs, la question qui se pose aujourd’hui est celle-ci: quels sont les vrais terroristes? Les militants des partis politiques de l’opposition qui s’organisent pour manifester contre le régime de dictature, ou ceux qui ont commi et commettent des actes barbares dans la partie du Togo frontalière au Burkina-Faso?

Quand le 13 juillet dernier le peuple sri-lankais, excédé par la mauvaise gouvernance, envahit la présidence, obligeant ainsi son président Gotabaya Rajaksa à prendre la fuite, personne n’a parlé de terrorisme, et ce n’était pas du terrorisme, mais plutôt un droit légitime pour tout peuple écrasé sous un régime inhumain. Victor Hugo n’avait-il pas bien vu en écrivant à ce sujet?: «Quand la dictature est un fait, la révolution devient un droit.»Le terrorisme constitue de nos jours un danger trop sérieux pour l’utiliser pour la conservation du pouvoir. Après celui du coronavirus, l’alibi du terrorisme est aujourd’hui l’arme du régime aux abois des Gnassingbé pour espérer mettre l’opposition et toutes les voix dissidentes sous éteignoir. Toutes les manifestations des partis politiques de la vraie opposition sont interdites pour cause de terrorisme, alors que la lutte des Évalas, par exemple, et d’autres manifestations pro-régime, elles, ne seraient la source d’aucun danger. Nous doutons fort que le régime togolais actuel puisse prendre des mesures appropriées pour combattre ce mal que constitue le terrorisme. Nous craignons une trop grande politisation des décisions qui seront prises pas de façon démocratique. Un régime qui agit pour résoudre les grands problèmes du pays, comme aujourd’hui le terrorisme, en pensant à l’exclusion d’autres Togolais de la gestion du pays, donc à la conservation à tout prix du pouvoir,ne peut pas être efficace.

Depuis quelques jours nous lisons sur les réseaux sociaux que le président de fait de notre pays Faure Gnassingbé veut rencontrer des partis de l’opposition pour des discussions. Il parait que ces discussions tourneront autour du phénomène terroriste qui s’est déplacé sur le sol togolais depuis novembre 2021. Connaissant bien notre régime de dictature et connaissant bien Faure Gnassingbé qui s’est choisi son opposition, qui sait si bien le lui rendre en le caressant dans le sens du poil, nous nous demandons ce que peuvent bien faire une fausse opposition composée de plaisantins et un chef de l’état contesté par une grande partie des Togolais face au terrorisme. Ce fléau qu’est le terrorisme n’est pas le problème auquel notre pays fait face depuis un demi-siècle. Le grand problème togolais est surtout politique et a pris ses racines dans la malgouvernance, avec son corollaire de violations des droits de l’homme, de corruption endémique, de refus d’alternance. L’agitation politique qui consiste à jouer à la politique de l’autruche et à feindre d’ignorer les vrais problèmes du pays n’est pas ici la meilleure manière si on veut vraiment s’investir pour que les Togolais sortent définitivement de l’ornière sur tous les plans.

Samari Tchadjobo
Allemagne

Source : 27Avril.com