« La CEDEAO n’a pas voulu toucher aux choses sérieuses »-Nathaniel Olympio

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Crédit: aLomé

Invité de la semaine sur votre site icilome.com, le président du Parti des Togolais, Nathaniel Olympio, membre de la Coalition des 14 partis de l’opposition, décrypte l’actualité politique. Il est revenu sur les prochaines manifestations publiques de la Coalition, la feuille de route que s’apprête à rendre publique la CEDEAO pour une sortie pacifique de la crise au Togo et la transition politique que le peuple togolais appelle de tout son vœu. Pour lui, « l’Etat est dans la démission de sa fonction de protection des citoyens en interdisant des manifestations » à Mango, Bafilo et Sokodé. Lisez plutôt !

IciLome : Etes-vous prêts aujourd’hui à manifester à Mango, Sokodé et Bafilo ?

Nathaniel Olympio : La Coalition des 14 et le peuple togolais ont toujours été prêts à manifester partout sur le territoire national. Vous observez certainement que ce sont les interdictions et les violences de l’Etat qui n’ont pas permis que nous puissions manifester dans ces villes-là, comme la constitution nous le donne le droit. Aujourd’hui plus que jamais, la Coalition est disposée à exprimer et à faire exprimer le peuple à Bafilo, à Mango, à Sokodé et sur toute l’étendue du territoire national.

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Pourtant le gouvernement estime que les mesures de sécurité ne sont pas réunies pour que vous puissiez manifester dans ces trois villes assiégées

Le régime n’a pas une position qui présente une certaine logique. On ne peut pas sous prétexte qu’aux mois de septembre et octobre 2017, qu’il y a eu disparition d’armes et que les lieux où ces disparitions auraient eu lieu (je le mets au conditionnel) seraient frappés d’une interdiction de manifestation. Cela n’a pas de sens. Comme si le régime a la certitude que ces armes seraient toujours en ces lieux. Pourquoi ces armes ne seraient pas à Dapaong ou à Lomé ? Ça n’a aucun sens. Cela montre bien que ce sont des arguments fallacieux, simplement pour interdire. Si on devait empêcher que les Togolais sortent de chez eux parce qu’un Togolais a été agressé dans la rue quelque part, l’Etat est dans la démission de sa fonction de protection de citoyens. C’est le cas aujourd’hui. L’Etat est dans la démission de sa fonction de protection de citoyens en interdisant les manifestations dans ces villes-là sous prétexte qu’il aurait eu un acte de vol commis quelque part. C’est un manque de responsabilité, c’est aussi un acte politique pour empêcher les opposants et le peuple de pouvoir s’exprimer dans ces villes-là.

Quelle appréciation faites-vous du communiqué final de la Facilitation ?

Oui c’est un communiqué de haute voltige en ce sens que la CEDEAO s’est bien gardée de trancher les choses sérieuses. On peut comprendre qu’ils sont à une étape de collecte d’informations. Mais de toute évidence, le peuple togolais et la Coalition, nous ne sommes pas très enchantés par ce communiqué insipide qui ne donne aucune perspective de satisfaction aux revendications du peuple. Oui, c’est vrai qu’ils ont demandé que les prisonniers politiques soient libérés. Ce qui n’est pas nouveau. C’est vrai qu’ils ont demandé que les villes assiégées soient libérées, ce n’est pas nouveau non plus. Ils ont dit que le processus unilatéral des élections soit stoppé, ce qui n’est pas nouveau. Au final, qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans ce communiqué ? Une indication de date des élections qui, ma foi, est beaucoup plus un sujet à polémique qu’une contribution à la résolution de la crise togolaise. Au total, moi j’estime que ce communiqué vient davantage diviser les Togolais. C’est pour cela peut-être que le chef de l’Etat guinéen, Prof Alpha Condé, s’est senti obligé de venir rectifier un peu le tir en précisant que c’est une date à titre indicatif.

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Mais parfois, ce qui est simplement indicatif peut être le facteur qui met le feu aux poudres. Donc la CEDEAO doit être extrêmement prudente, extrêmement attentive à la souffrance du peuple togolais. Et je ne suis pas certain que le peuple togolais accepterait une solution de la CEDEAO ou de toutes autres institutions, qui ne répondrait pas aux préoccupations des Togolais aujourd’hui. Nous sommes dans une phase où la lutte du peuple togolais est très dense, très active. Et les Togolais n’attendront pas, cette fois-ci, se laisser conduire dans les voies qui ne leur apportent pas l’épanouissement et le développement.

Entre la CEDEAO de 2005 et la CEDEAO d’aujourd’hui, pensez-vous qu’il y a une évolution ?

La CEDEAO de 2005 a posé des actes que les Togolais n’oublieront pas. La CEDEAO de 2005 a ignoré le peuple togolais et donné quitus à une dictature naissante, même s’ils, semble-t-il, ont été bernés par leur interlocuteur qui leur a fait des promesses mirifiques qu’il n’a pas tenu finalement. Donc les Togolais n’ont pas oublié cela, c’est pour cela que les Togolais sont encore plus exigeant avec la CEDEAO aujourd’hui. On ne pouvait pas empêcher la CEDEAO d’intervenir dans cette crise. Mais les Togolais sont vigilants et n’accepteront pas que la CEDEAO, encore une fois, se fourvoie sur le cas togolais.

D’ailleurs, je crois que les dirigeants de la CEDEAO ont compris que les Togolais ne sont laisseront pas faire. Mais il faut toujours garder une porte d’espoir, d’espérance ouverte quant à la prise de conscience de la solution la plus appropriée et qui tranche définitivement cette question de crise togolaise, notamment la question de l’alternance à la tête de l’Etat qui est la pomme de discorde. On ne peut pas continuer d’aborder la question togolaise sans véritablement affronter ce débat qui, certes, met en jeu un de leurs pairs. Mais c’est le passage obligé, pour que la CEDEAO retrouve une certaine crédibilité aux yeux des Togolais. Et partant de là, retrouver une certaine crédibilité au sein de l’Afrique de l’ouest.

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Lorsque le cas de la Gambie s’était posé et que la CEDEOA a été vigoureuse, les populations ont apprécié à sa juste valeur les actes posés par la CEDEAO pour résoudre cette crise-là. Bien entendu, toutes les situations de la CEDEAO ne seront pas identiques à celle de la Gambie. Donc qu’on ne nous dise pas que ce n’est pas pareil. Qu’on ne nous dise pas qu’il faille reproduire le même schéma avant que la CEDEAO ne puisse intervenir de manière vigoureuse. Nous avons une situation qui est propre au Togo. Nous avons un chef d’Etat qui est en train de finaliser trois mandats. Les Togolais n’accepteront pas que ce chef d’Etat puisse encore prétendre participer à une élection présidentielle.

Quand on prend aujourd’hui la Communauté internationale, la France et les Etats Unis ont la même position. Ils se rangent sur la décision que prendra la CEDEAO le 31 juillet prochain. Au cas où la CEDEAO ne répond pas aux aspirations du peuple togolais, quelle sera la réaction de la Coalition des 14 ?

Vous parlez bien des aspirations du peuple togolais. Vous ne parlez pas des aspirations de l’Etat français. Vous ne parlez pas des aspirations de l’Etat américain. Donc, ils peuvent se ranger sur la décision de la CEDEAO. Mais le peuple togolais n’acceptera que ce qui répond à ses préoccupations, ce qui va dans son intérêt. Mais si tel n’était pas le cas avec les décisions de la CEDEAO, le peuple togolais se dressera contre, comme il le fait contre l’Etat togolais depuis plus de 10 mois, il rejettera toutes propositions qui n’incluent pas l’ouverture sur une alternance, il rejettera toutes solutions qui ne garantissent pas la liberté et la démocratie.

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En quoi faisant concrètement ?

En luttant, comme le peuple togolais le fait depuis déjà beaucoup d’années. C’est-à-dire que nous allons continuer de revendiquer en utilisant tous les moyens que la Constitution met à notre disposition pour faire comprendre ce que nous voulons. Et pour obtenir ce que nous voulons. Les gens se méprennent peut-être, mais le peuple Togolais est déterminé à ne pas laisser cette occasion passée. Et la Coalition ne fera rien d’autre que de suivre ce que le peuple veut.

Des manifestations publiques sont-elles possibles avant le 31 juillet ?

Nous avons toujours manifesté depuis le mois d’avril et il n’y a pas de raison qu’aujourd’hui nous ne puissions manifester. On peut donc revenir sur ce communiqué qui a demandé à l’Etat togolais de pouvoir laisser les manifestations publiques pacifiques se dérouler tout à fait normalement. Donc oui, la Coalition ne restera pas les bras croisés d’ici le 31 juillet.

Que peut-on retenir de votre déplacement la semaine dernière en Allemagne ? Qu’avez-vous dit aux autorités allemandes ?

Tout le monde sait aujourd’hui que la lutte togolaise est sortie des frontières du Togo portée par la diaspora. Et il faut saluer ici les efforts que cette diaspora fournit pour que la lutte reste active et vivante à l’extérieur du Togo. Nous avons toujours au niveau de la diaspora gardé exactement les mêmes revendications et à chaque fois que l’occasion le permet, on l’exprime à l’extérieur. Ceci a été fait aux États-Unis, en France et aujourd’hui, c’est ce que la délégation est allée faire en Allemagne.

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Le message principal que nous avons passé, c’est d’une part rappeler les fondements de la lutte togolaise, c’est-à-dire la nécessité d’avoir une alternance au sommet de l’État, ce qui passe pour nous par des réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales et ce qui surtout passe par une réalisation dans le cadre d’une transition politique. Je pense que personne au Togo, que ce soit le peuple togolais lui-même, que ce soit la Coalition ou la diaspora, la société civile, personne ne conçoit qu’il puisse avoir des réformes qui ne soient opérées dans le cadre d’une transition politique.

 Ce message-là, nous l’avons porté à l’endroit des autorités allemandes qui ont été très attentives et qui, ma foi, sont bien impliquées pour la recherche de solutions à travers le groupe des 5 à Lomé. Notre démarche s’inscrit dans le sens de la démarche où il est impérieux que les acteurs politiques de l’opposition puissent partager leurs points de vue avec les partenaires pour que les gens mesurent notre degré de détermination. Les éléments de notre argumentaire, de notre revendication pour que nous puissions aussi partager la force de nos convictions avec eux.

Certes, ils ont des ambassades, ils ont des informations, mais cela ne suffit pas et ne remplacera jamais le fait que des acteurs politiques de l’opposition puissent aller partager avec eux leurs visions de sortie de crise. C’est ce que nous sommes allés faire aux ministères des Affaires étrangères allemand. 

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C’est quoi la prochaine cible de la Coalition?

La Coalition mène beaucoup d’actions de diplomatie. Certaines sont publiques et d’autres un peu moins. Il n’y a pas de chronogramme figé puisque les personnes que nous rencontrons sont aussi dépendantes de leurs disponibilités et leurs agendas. Donc il est difficile aujourd’hui de dire que la prochaine étape sera tel pays ou tel autre. En revanche ce que je vais vous dire, c’est que la Coalition est dans une intense activité de diplomatie actuellement, ce que nous considérons comme la dernière ligne droite avant que la Cedeao ne se prononce.

Le communiqué de la Facilitation a demandé la libération des détenus. Comment régira la Coalition au cas où le gouvernement togolais refuse de s’exécuter ?

Elle sera ce qu’elle est jusqu’à présent, elle sera intensifiée. Ce que j’ai toujours préconisé, c’est d’intensifier la pression à l’intérieur du pays et mettre la pression à l’extérieur. Nous avons le souci que tout se déroule dans la paix. L’alternance n’est plus pour moi une préoccupation parce que je sais qu’elle va arriver de toute façon, ce n’est qu’une question de temps et c’est inévitable. Ce n’est plus pour moi un sujet de préoccupation.

Ce qui me préoccupe davantage, c’est comment faire pour que l’après alternance soit un environnement paisible pour les Togolais, comment faire pour que le gouvernement qui sera en place après l’alternance ne passe pas son temps à se battre pour des questions sécuritaires et comment l’alternance sera suivie d’une étape de stabilité pour pouvoir s’attaquer aux problèmes du Togo. Ça c’est ma préoccupation. Et je crois que la réponse à cette préoccupation passe par la manière dont l’alternance se fera. Et cela passe par la manière dont le régime va se comporter dans cette phase de crise et sur la manière dont les forces de sécurité vont se comporter.

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Je crois qu’il faut qu’à un moment donné que chacun puisse prendre ses responsabilités en ce sens que nul n’ignore, quand on prend le régime en place, les politiques, ce sont des individus comme vous et moi qui n’ont pas la force de s’imposer aux Togolais. Le régime exerce sa force à travers les forces de sécurité et de défense. Au final, c’est la manière dont les forces de sécurité et de défense vont se comporter et comprendre la pertinence de la crise et la nécessité d’en sortir de manière pacifique. Voilà, c’est ce qui déterminera la suite des événements après l’alternance.

Nous également dans l’opposition, nous devrons œuvrer dans ce sens-là pour écarter toute attitude belliqueuse pour poser les actes qu’il faut pour amener nos frères et sœurs des forces de sécurité et de défense à comprendre que le fonctionnement qui a pu exister dans le passé dans un environnement donné n’est plus en adéquation avec notre époque d’aujourd’hui et que pour se tourner tous vers l’avenir, il est temps que les forces de sécurité soit davantage proche des populations que de quelques individus.

Monsieur Nathaniel Olympio, Premier ministre de la transition, est-ce possible ?

Je pense que lorsqu’on pose toujours des questions en ces termes-là, c’est la meilleure manière de figer les choses dans l’évolution. Et au Togo, nous avons énormément de compétences capables d’assurer des fonctions de ce niveau. Que ce soit au sein de la Coalition, que ce soit au sein de la société civile, que ce soit au sein de la diaspora, les compétences n’en manquent pas et Nathaniel Olympio en fait partie bien entendu.

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Mais ce qui est important pour ma part, c’est de rester ensemble dans la Coalition, c’est de se battre ensemble pour obtenir cette transition. Nous ne pouvons pas commencer à parler, je ne dis pas qu’on ne réfléchit pas, mais nous ne pouvons pas commencer à porter l’attention sur les questions de personne alors que les rôles que ces personnes sont amenées à jouer ne sont pas encore acquis. Il faut donc que nous ayons obtenu le principe de la transition, ensuite nous discuterons de cette question, parce que cette question concerne aussi nos adversaires politiques puisque la recherche de solutions doit se faire dans un cadre de discussions et il faut également que nos adversaires politiques se prononcent sur cette question. Il faut que les forces de sécurité se prononcent sur cette question parce qu’on connait la réalité des forces sur le terrain et il faut tenir compte de tout cela. Mais pour nous, c’est d’abord d’arriver à obtenir cette indispensable période de transition.

Le parti des Togolais n’est plus senti sur le terrain surtout avec les activités de la coalition. A quoi cela est dû ?

Les Togolais sont aujourd’hui plus attentifs à une démarche collective, notamment à travers la Coalition que les activités partisanes qui puissent être menées par un parti ou un autre. Vous verrez des gens même dire que si vous venez en tant que parti politique, on ne vous reçoit pas. L’action majeure que le parti des Togolais mène aujourd’hui, c’est au sein de la Coalition. Mais cela n’enlève pas le fait que nous ayons nos activités propres que nous continuons de mener même si nous ne communiquons pas largement sur ces activités.

Ce sont nos activités de formation qui continuent régulièrement. C’est vrai que nous ne le faisons plus dans les espaces hors de chez nous. Depuis cette crise, nous n’avons cessé de le faire parce que la période la crise est plus propice pour les formations sur les questions d’engagement politique, de capacités d’analyses politiques, les questions relatives aux élections à venir tôt ou tard… Ce sont autant de sujets que nous abordons avec les jeunes à travers nos programmes de formations.

Merci Monsieur Nathaniel Olympio

C’est moi qui vous remercie.

icilome.com

Titre modifié

Source : www.togoweb.net