Longtemps reportée, la première mission du comité de suivi de la Cedeao s’est finalement effectuée lundi 10 et hier mardi 11 septembre, dans la capitale togolaise. Pour l’essentiel de ces travaux ayant réuni autour d’une même table, majorité présidentielle et coalition des 14 formations (C14), il est a retenir le recrutement des experts de diverses compétences dont les missions seront de surveiller, aux côtés des acteurs locaux, le processus électoral et les réformes constitutionnelles. Une avancée à pas de caméléon et au goût amer en ce sens que la question sensible de la CENI est toujours reléguée aux calendes grecques. Au point de susciter interrogations et courroux au sein de l’opinion.
Que retenir de cette première réunion de travail du comité de suivi ?
Au sortir de ces deux jours de travaux, on retiendra le recrutement, par les soins de la Commission de la Cedeao, de plusieurs experts notamment juristes, constitutionnalistes et d’audit du fichier électoral. Lesquels, à en croire Brigitte Kafui Adjamagbo, assisteront les acteurs togolais tout au long du processus électoral. Aussi, doit-on retenir, le recrutement de 20 observateurs électoraux qui observeront la régularité du scrutin du 20 décembre prochain. Tous prendront fonction à Lomé le 14 septembre prochain. Quant au sujet brûlant de l’heure ayant trait à la Ceni, la mission conduite par le Président de la Commission, Jean-Claude Kassi Brou estime qu’un tel sujet de fond est du ressort des deux facilitateurs attendus à Lomé dans une semaine. Rien de plus.
Questionnements et courroux
Si l’opinion se félicite de ces quelques avancées, il n’en demeure pas moins vrai que zones d’ombre persistent toujours, au point d’agacer nombre de togolais. En premier, les responsables de la C14 qui ne semblent pas comprendre le silence de la communauté sous-régionale sur un sujet aussi important que celui de la Ceni qui, à l’antipode des recommandations de la feuille de route, poursuit, de façon unilatérale et tête basse, les travaux de refonte du fichier électoral. Et ce, malgré les nombreuses interpellations de la coalition. Ceci, au point de supputer, d’ores et déjà, une «complicité passive» de la Cedeao contre le peuple togolais qui aura déjà payé le lourd tribu dans la lutte pour un Togo plus démocratique.
Dans la foulée, le Président du Comité d’action pour le renouveau (Car), en homme averti, n’a pas hésité à porter haut sa voix et crier sa déception. « Le problème clé du moment, c’est le fait que la CENI soit en train de fonctionner et d’accomplir les tâches comme si elle était normale. Nous sommes dans une situation de crise et ce à quoi on s’attendait, c’est que cette rencontre soit un moment de recherche de solution. Mais j’ai constaté le long des débats qu’on a tourné autour du pot », a expliqué le bélier noir pour qui, il est inadmissible que la CEDEAO tourne autour du pot en ce qui concerne la question de la CENI en se contentant d’annoncer l’arrivée des experts pour réparer les dégâts. Et d’appeler ensuite ses camarades de lutte à réfléchir sur la nécessité d’une réorientation de la lutte qui, selon lui, reste entière. « Ce n’est pas du côté de la facilitation qu’il faut poser le diagnostic. Il est temps que nous-mêmes, en tant qu’opposition, sachons ce que nous voulons et que nous puissions le démontrer à travers nos gestes », a-t-il précisé, avant de lever le voile : «Mais globalement, j’ai le sentiment que nous sommes dans un marché de dupes».
Finalement un marché de dupes ?
Loin d’être prise à la légère, cette sortie de l’ancien Premier ministre, du haut de ses expériences en politique togolaise amène à se questionner sérieusement sur la démarche de la Cedeao dont tous les acteurs ont pourtant salué la justesse de sa feuille de route. En qualifiant justement la première réunion du Comité du suivi d’une «amorce angoissante d’échec», Me Agboyibo renvoi la Cedeao face à ses responsabilités, devant un peuple togolais déjà meurtri et dont la souffrance sur le chemin de l’alternance politique aura trop duré. Surtout quand la Commission, explicitement, renvoi le sort de la Ceni que rien ne semble arrêter dans les mains des facilitateurs qui se font malheureusement et toujours attendre, il y a vraisemblablement anguille sous roche. Ou alors, l’espace communautaire ouest africaine prend toutes ses responsabilités pour donner un coup d’accélérateur à la lutte démocratique au Togo, ou alors il cautionne l’injustice en se mettant du côté de l’oppresseur contre le peuple.
Tout compte fait, le Cedeao a encore le temps de rectifier le tir. Si tant est qu’elle est décidée à aider le Togo à se remettre définitivement sur les rails démocratiques, rien ne saurait alors justifier sa passivité devant la scène qui se joue à la Ceni. S’agit t-il vraiment d’un marché de dupes orchestré par la Cedeao en laissant le pouvoir de Lomé causer des dégâts que ses experts viendront, ensuite, «réparer», comme l’insinue Me Yawovi Agboyibo. Tout compte fait, c’est une sorte de jeu à la con et le peuple souverain du Togo attend encore de voir clair, pendant que rien n’est encore perdu.
Mais pour l’heure, il se demande toujours, qui pour écouter ses cris de détresse.
Cyrille Pessewu
Source : Fraternité No.284 du 12 septembre 2018
27Avril.com