Komla Kpogli : « Détruire la peur et la méfiance érigées entre Togolais par le régime Franco-Gnassingbé »

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komla Kpogli Moltra

Connu pour sa franchise, le Secrétaire général du Mouvement pour la libération totale et la reconstruction de l’Afrique (MOLTRA), Komla Kpogli dit, dans un entretien à accordé au journal L’Alternative, ce qu’il pense des élections au Togo et spécifiquement de l’élection présidentielle du 22 février 2020. Lire.

Bonjour Komla Kpogli, vous êtes SG du Mouvement pour la libération totale et la reconstruction de l’Afrique (MOLTRA). Quelle analyse faites-vous de la situation politique actuelle au Togo ?

Komla Kpogli : Rien ne change. Après l’assassinat de Sylvanus Olympio, le 13 janvier 1963, par la France et ses petits couteaux togolais, le Togo est livré à une situation de terreur sans cesse renouvelée. La situation politique du Togo relève donc de la continuité coloniale dans laquelle tout le continent africain se trouve depuis les fausses indépendances octroyées par les colonisateurs qui avaient pris le soin de neutraliser et de liquider très rapidement les véritables leaders pour une véritable indépendance, remplacés par des marionnettes issues des rangs de l’armée coloniale ou des écoles coloniales locales et métropolitaines. Équipées d’une machine de répression et de corruption, ces marionnettes qui se reproduisent depuis lors, ont pris en otage les populations africaines. Le Togo des Gnassingbé et de leurs copains s’inscrit parfaitement dans cette tradition que les colonisateurs français ont appelé « une élite indigène formée dans le but de continuer l’œuvre coloniale entamée par les missionnaires et les administrateurs européens. »

Cette situation politique est méthodiquement ou brutalement construite dans un but économique très clair : garder une mainmise sur les richesses du pays en faveur des multinationales des pays colonisateurs et en faveur de cette minorité locale qui agit comme des métayers prenant leur part de la moisson. Le pays produit d’énormes richesses minières, minéralières, maritimes, agricoles. La dette du Togo est passé de 310 milliards fcfa en 1991 à 2300 milliards fcfa en 2019. Où est passé cet argent quand on voit l’état des routes, des écoles, des hôpitaux, des conditions de vie et de travail des paysans, des infrastructures de nos villages, de nos villes, des universités, de la vie des fonctionnaires ?

Le Togo se prépare à organiser le 22 février prochain l’élection présidentielle. Votre avis sur ce scrutin.

Nous avons fait des recherches dans toute l’Histoire de l’humanité depuis la haute Antiquité. Jamais un gouvernement héréditaire de type colonial n’a organisé des élections. Des mascarades électorales violentes par contre, oui. Les togolais auront donc une nouvelle mascarade électorale violente en lieu et place d’une élection.

Le Togo sous le régime Franco-Gnassingbé a organisé depuis 1993 des mascarades électorales sanctionnées par des morts, des blessés, des exilés forcés, des viols, des destructions de toutes sortes pour s’imposer au choix populaire exprimé dans les urnes. Tout le monde a vu ce qui s’est passé au Togo lors des 6 rendez-vous électoraux des présidentielles en 1993, 1998, 2003, 2005, 2010, 2015. Il en est de même pour des législatives. A chacune de ces légendaires élections, le régime RPT qui se fait appeler maintenant UNIR a perdu sèchement dans les urnes. Les togolais ont toujours voté pour une « alternance » en vue d’une reconstruction du pays. Comme une tyrannie héréditaire de type colonial ne se fonde pas sur la volonté populaire qui est son ennemi mortel, les Gnassingbé 1er et 2ème et leurs alliés ont toujours ignoré les urnes et imposé leur volonté propre en activant tout le temps la violence et la corruption. La comédie électoraliste du 22 février 2020 s’inscrit nettement dans cette logique. Il n’y aura pas élection présidentielle mais mascarade présidentielle le 22 février 2020. Le RPT s’en fout de ce que les togolais diront dans les urnes. Il attend juste l’épreuve de force qui aurait lieu dans les rues pour, une fois encore, forcer le passage.

En novembre 2019, le RPT et ses petites béquilles réunis dans ce qu’ils appellent l’Assemblée nationale ont voté une loi de finances rectificative portant le bugdet national voté en décembre 2018 de 1457 milliards fcfa à 1498 milliards fcfa, soit 41 milliards de plus. Tous les budgets relatifs à l’éducation, à l’eau, à la santé, aux transports avaient été baissés. Seul le budget militaire a reçu une augmentation de 38 milliards fcfa sur les 41 milliards. Soit une augmentation d’environ 62% qui le fait passer de 61,945 milliards fcfa à 99,945 milliards. Les électoralistes forcenés doivent se poser la question du pourquoi de cette augmentation du budget militaire à la veille d’une année électorale. Là est la nature véritable du régime.

Voilà pourquoi ceux qui s’activent pour conduire une nouvelle fois le peuple togolais sur cette fausse piste électoraliste devront rendre des comptes à l’Histoire.

Faure Gnassingbé, comme il fallait s’y attendre, s’est déclaré candidat à cette élection. Êtes-vous surpris et que pensez-vous de cette candidature ?

Le RPT n’a pas modifié la Constitution, mis en place une CENI sur mesure, installé une Cour constitutionnelle maison, quadrillé le pays par un dispositif militaro-policier et piégé son opposition institutionnelle avec des élections locales truquées pour que Faure Gnassingbé ne soit pas candidat. En réalité, par cette candidature, Faure Gnassingbé et ses amis ont adressé officiellement aux togolais un message sans aucune ambiguïté le 7 janvier dernier: ils conservent le pouvoir. En se déclarant candidat ce jour-là, Faure Gnassingbé a dit solennellement qu’il reste au pouvoir. Dans son esprit et celui de ses amis et courtisans réunis dans cette salle, le 22 février 2020 c’est juste une formalité. Ils pensent déjà à 2030 sur comment réécrire la fameuse constitution si d’ici là Faure Gnassingbé est toujours vivant et jouit d’une bonne santé. Voilà pourquoi, il faut redire qu’un système comme celui des Gnassingbé ne peut organiser des élections. L’Histoire démontre à suffisance que l’élection n’est pas la solution adaptée à un problème colonial. Nous défions quiconque pouvant nous apporter un seul exemple dans l’histoire de l’humanité où un régime tyrannique héréditaire de type colonial a été défait par des élections dont l’organisation relève de sa compétence. C’est une absurdité que des togolais se laissent conduire de manière répétée dans cette voie par une opposition institutionnelle en mal de repères historiques, stratégiques et intellectuelles. La voie adaptée au système Franco-Gnassingbé est donc populaire par la mobilisation, l’organisation, la formation, la structuration des masses populaires autour de la seule et unique idée d’une révolution sous la forme d’un puissant Tsunami populaire contre lequel aucun bastion tyrannique ne peut résister. C’est là la clef contre ce régime. Toute autre considération n’est que fuite en avant et manifestation d’un désir illusoire de trouver un raccourci menant à la liberté. Les togolais n’échapperont pas à cette loi incontournable de l’Histoire qui impose aux peuples dominés l’obligation d’une douloureuse mais salvatrice lutte de libération.

La Cour Constitutionnelle a validé les candidatures. 6 leaders de l’opposition prennent part à ce scrutin. Quelle analyse vous en faites ?

Il n’y a qu’en Afrique qu’on peut voir des gens considérés comme des leaders d’Opposition vendre et revendre la fausseté selon laquelle un problème de colonisation peut être résolu par des élections. Des élections dont l’organisation est absolument maîtrisée, de bout en bout, par les régimes en place par l’intermédiaire d’un appareil répressif appuyant une gigantesque machine à fraude alimentée par une loi électorale taillée sur mesure, un fichier électoral truqué, une justice constitutionnelle misérablement inféodée, des bureaux de votes fictifs…etc. Ces fausses élections sont organisées au Togo au nez et à la barbe de ces opposants institutionnels qui, depuis 30 ans, s’interposent entre le régime Franco-Gnassingbé et les masses populaires qu’ils font balader d’impasse en impasse allant de fausses élections aux faux dialogues en passant par des contestations-manifestations mal ficelées qu’une répression du régime vient très rapidement neutraliser. Puis, on recommence le même cycle. Les togolais doivent, à présent, se détourner de ce schéma pour prendre leurs propres responsabilités devant l’Histoire.

Est-il encore utile de prendre part à un scrutin dont toutes les structures d’organisation sont aux mains du régime ?  

Le régime respecte son agenda. C’est son droit le plus absolu. Encore une fois nous disons que l’élection, plus précisément la mascarade électorale, n’est pas la solution adaptée au régime Franco-Gnassingbé. Ce régime a le secret de fabrication de ses fausses élections. Sinon depuis 1993 déjà, le Togo aurait connu « l’Alternance ». Que des politiciens commerçants veuillent aller à ces fausses élections, libre à eux. Ils ont des raisons propres à eux d’y aller. Mais, les masses populaires, elles, doivent se déconnecter de l’agenda de ce régime et de son opposition institutionnelle qui l’accompagne dans ses manouvres criminelles. Les togolais ne doivent pas se laisser entraîner pour longtemps encore sur ce chemin électoraliste que l’Histoire n’indique absolument pas aux peuples dominés et soumis. Notre peuple doit enfin ouvrir les yeux pour s’inscrire dans la réalité historique de tous les peuples neutralisés et anéantis sur une période plus ou longue de leur parcours terrestre par une tyrannie placée à leur tête par des puissances étrangères avec le soutien d’une minorité locale antipeuple. Aucun de ces peuples ne s’en est sorti par des élections, par des dialogues, par l’attente d’une réforme sous la houlettes d’organisations sous-régionales ou internationales, par la prière et le jeûne ou le carême, par l’espérance illusoire d’une conversion du tyran en un homme normal ayant des sentiments tels que la pitié et l’amour du peuple. Ces peuples-là n’ont pas confié leur sort et leur destin à des aventuriers de tout acabit. Ils n’ont ni attendu Dieu, ni Allah. Ils n’ont pas passé leur temps à pleurnicher que tel ou tel opposant les a trahis ou à faire de savants calculs à longueur d’années et à attendre un chevalier blanc chargé de les délivrer. Bien au contraire, dans un élan patriote ponctué de grands et héroïques sacrifices, ces peuples ont courageusement pris la décision de sortir de la peur qui les a jusque-là tétanisée ainsi que du mur de la méfiance que les dominateurs ont érigé astucieusement entre les différentes composantes de ces peuples pour affronter victorieusement la tyrannie. Les togolais, les africains n’échapperont pas à cette réalité historique s’ils envisagent de reprendre la maîtrise de leur espace géographique en vue de reconstruire leur histoire pour redevenir un grand peuple. Ils ont intérêt à examiner très lucidement, et le plus tôt c’est le mieux, l’histoire des peuples devenus de grandes puissances (Les colonies américaines libérées des Anglais pour devenir les Etats-Unis d’Amérique ; la France libérée des rois dictateurs ; l’Allemagne libérée des petits gouverneurs manipulés de l’extérieur ; l’Italie libérée des dictateurs ; la Chine libérée des brigands chefs de guerre dirigés de l’extérieur….) après s’être libérés des tyrans obscurs qui les régentaient pour en tirer des leçons pour eux-mêmes. Autrement, les togolais, les africains resteront ce petit peuple accroché à la remorque des autres qui leur dictent ce qu’ils doivent être et ce qu’ils doivent faire tout en étant dans un état de misère dynamique sur des terres pourtant scandaleusement riches. L’Histoire est impitoyable avec les peuples qui retardent leur libération par leur propre effort.

Quelle analyse faites-vous de l’opposition togolaise dans son ensemble ?

L’opposition institutionnelle au Togo, comme dans tous les autres enclos coloniaux en Afrique abusivement appelés Etats africains, est née dans les parages des années 1990. Sans rien oublier des difficultés énormes que leur posent les tenants actuels du pouvoir colonial, il faut dire que l’ambition de la plupart des opposants institutionnels c’est de conquérir le pouvoir colonial et de l’exercer dans les limites géographiques fixées à l’Afrique depuis la conférence de partage de Berlin en 1884-1885 et dans les normes institutionnelles, politiques, économiques, sociétales, culturelles, spirituelles et philosophiques ordonnées aux africains depuis les razzias négrières arabo-musulmanes et surtout transatlantiques, c’est-à-dire depuis la Mondialisation occidentale. Les opposants institutionnels veulent être calife à la place du calife. Seuls quelques rares personnes au sein de ces oppositions institutionnelles africaines ont comme projet la déconstruction du cadre colonial africain en vue de reconstruire un nouvel environnement socio-économique et politique autour des valeurs africaines à redécouvrir depuis l’Egypte antique pharaonique, la plus brillante réussite des Africains.

Les opposants institutionnels africains pensent à la prochaine élection alors qu’il fallait penser la prochaine génération ou même le prochain siècle. Fiers de leurs cursus scolaire colonial, ils sont pressés de jouir du pouvoir colonial. Ils veulent ici et maintenant un retour sur investissement. D’où les faux chemins qu’ils prescrivent aux peuples tout le temps. Devons-nous vraiment porter un jugement sur ces gens ? Pas vraiment, puisque l’histoire les a déjà jugés et condamnés. Leurs résultats parlent pour eux. Beaucoup de ces gens ont agi et agissent comme ils ont pensé et comme ils pensent. Ils continueront dans cette logique. Ils font partie de « l’élite indigène » qui raisonnent en terme de changement et d’alternance et non en terme de renaissance et de reconstruction du pays. Le temps d’une alternative radicalement visionnaire et armée des lois de l’Histoire doit sonner en vue d’une réorientation des masses populaires qui n’en peuvent plus d’attendre dans cette opposition où il n’y a rien à attendre, en fait.

Selon-vous, comment peut-on relancer la lutte contre la dynastie Gnassingbé ?

Nous avons une large production de vidéos sur Youtube, sur Facebook et un nombre incalculable d’articles sur des sites internet où nous indiquons la voie. Celle que l’Histoire montre aux peuples dominés et soumis qui veulent vraiment renaître. Il n’y pas d’alternative à la voie populaire face au régime Franco-Gnassingbé. Cela veut dire qu’il faut redéfinir la nature de ce régime en la considérant depuis son acte de naissance entachée du sang de Sylvanus Olympio. Ce régime a capturé l’idée de l’indépendance du pays par ce fait criminel fondateur. Cette redéfinition du régime a pour finalité de lui attribué un nom. Et ce nom c’est une tyrannie héréditaire de type colonial. A partir de ce nom, on parvient à déceler comment fonctionne réellement ce régime dont la stratégie est la conservation du pouvoir colonial par deux instruments incontournables à savoir la Violence militaro-policière et milicienne d’une part, et l’Argent d’autre part. A partir de la découverte de ces deux moyens fondamentaux qui lui permettent de vivre et de survivre à tous les coups ( la violence et la corruption), il est devient évident qu’on ne peut plus considérer ce régime comme un pouvoir classique qui serait en crise ou un partenaire égaré accidentellement avec qui il faut « dialoguer », aller aux « élections », tenter des « réformes institutionnelles et constitutionnelles »… Ce régime pratique depuis 57 ans la stratégie du fou avec le peuple togolais noyauté par une opposition institutionnelle à qui il fait croire à des moments précis qu’il est prêt à faire des concessions, à lâcher du lest ou à faire des réformes. Il gagne du temps et casse astucieusement les dynamiques populaires en cours par des appels au dialogue ou à des élections avant de relancer la machine à violence.

On ne réforme pas les fers, on ne dialogue pas avec une tyrannie et on ne défait pas la colonisation par l’élection. Si ces fausses solutions sont découvertes enfin comme inadaptées à notre problème, alors, loin des agitations, dans un calme puissant et résolument déterminé, chaque togolaise et chaque togolais doit s’engager dans une démarche patriote de construction d’un mouvement de libération du pays et de sa reconstruction.

C’est un travail de chacun et de tous de mobilisation, d’organisation, de structuration des masses populaires dans les quartiers, les villages, les villes, les préfectures, les régions qui doit absolument démarrer en dehors des partis politiques électoralistes, dialoguistes et inutilement querelleurs. Il n’y a rien à attendre de la fameuse élection présidentielle de février 2020, une nième mascarade du RPT. Candidat unique ou candidats multiples de l’opposition institutionnelle, candidat transfuge du RPT ou pas, Monseigneur Kpodzro ou pas, Faure Gnassingbé et sa cour n’en ont rien à cirer. Ils ont leur CENI, leur fichier électoral, leurs bureaux de vote fictifs, leurs observateurs, leur cour constitutionnelle, leurs résultats déjà fixés. Le tout appuyé par leur armée dans l’armée. C’est ça la réalité.

Chaque patriote du Togo où qu’elle soit, où qu’il soit sur cette terre, doit se mettre au travail et se mettre en lien avec d’autres togolais animés par la douleur de voir le pays dans cet état de destruction et de souffrance depuis 57 ans. Cela demande que les togolais brisent absolument le mur de la méfiance et de la peur construit depuis de nombreuses années entre nous pour éviter qu’ils se retrouvent et convergent sur l’idée de PATRIOTISME, condition sine qua non de l’action libératrice disciplinée. Il faut créer un autre état d’esprit populaire dans le pays. Nous insistons là-dessus : détruire la peur et la méfiance entre togolais érigés par le régime Franco-Gnassingbé. L’objectif de ce nouvel élan c’est de construire le Tsunami populaire, seule arme que craint et redoute ce système tyrannique héréditaire de type colonial. Ce régime ne craint rien si ce n’est le peuple organisé et soulevé et qui n’a plus peur de payer définitivement le prix de sa libération. Voilà pourquoi, ce régime fait tout pour maintenir la peur et la méfiance entre togolaises et togolais aussi bien à l’intérieur qu’à l’étranger. Commencer par détruire ces deux murs stratégiques construits par ce régime c’est entamer la bataille finale. Lorsque ce moment sera là, la minorité soldatesque violente sur laquelle s’appuient le RPT et ses alliés sera contrainte, sous peine d’être emportée par le Tsunami populaire, de déposer les armes, de fuir ou de rejoindre le peuple. Nous verrons, à ce moment-là, des patriotes jusqu’ici muselés et émasculés au sein de l’armée s’élever et agir pour le peuple avec qui ils concluront une nouvelle alliance car ils auront retrouvé leurs liens de filiation avec ce peuple dont ils sont issus. Telle est la loi de l’Histoire.

Propos recueillis par la Rédaction

L’Alternative N°859 du vendredi 24 janvier 2020

Source : 27Avril.com