Kanté ou le rappel du besoin des élections locales au Togo

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Kanté ou le rappel du besoin des élections locales au Togo


Elles ont passé une journée de samedi assez mouvementée. Pour avoir osé réclamer le développement de leur préfecture, les populations de Kanté ont goûté à la folie répressive du pouvoir Faure Gnassingbé, avec des agents des forces de l’ordre déployés appuyés par des militaires qui ont étouffé la manifestation légitime et apolitique prévue, à coup de gaz lacrymogène et de matraque. Mais au-delà de cette folie répressive du régime qui met en exergue sa frilosité et sa phobie maladive de l’alternance à la tête du pays, la levée de boucliers des populations de Kanté actualise la nécessité de la mise en œuvre de la décentralisation et de l’organisation urgente des élections locales.

Folie répressive et phobie de l’alternance

Policiers, gendarmes et militaires déployés en grand nombre, grenades lacrymogènes tirées sans ménagement pour disperser tout attroupement, bastonnade générale…On en parlait déjà dans la parution d’hier, Kanté a passé un samedi assez agité. La ville ressemblait, l’instant de ce week-end, à Sokodé, assiégée par des militaires, des bérets rouges armés jusqu’aux dents et prêts à dégainer. Des éléments étaient positionnés sur les principales artères et aux différents carrefours de la ville, d’autres la sillonnaient pour disperser tout attroupement. Tout ce dispositif, pour une simple manifestation des populations prévue par le Mouvement des indignés de la Keran (MIK) en vue de réclamer le développement de la ville et de la préfecture en général. Impossible pour les habitants de se regrouper pour débuter la marche. Tout attroupement était systématiquement dispersé à coup de gaz lacrymogène et de matraque. Les témoins affirment que c’est un nuage de gaz qui s’élevait sur la ville ce samedi.

« Notre manifestation est légitime. Le chantier de la nationale N° 1 abandonné par la Société EBOMAF est source d’accidents. Nous sommes indignés, mais nous sommes encore plus indignés qu’au lieu de prendre en considération nos revendications, le Préfet de la Kéran a choisi la force pour réprimer la population. Nous sommes encore plus indignés qu’avant, car nos frères et sœurs ont été bastionnés pour avoir réclamé un hôpital avec bloc opératoire», déplorent les organisateurs qui promettent remettre la manifestation sur les prochains jours.

Le commun des citoyens ne peut qu’être surpris que l’on aille jusqu’à déployer les forces de défense, des hommes formés à faire la guerre et défendre le territoire lorsque son intégrité est violée, pour une manifestation non politique, mais de réclamation du développement de la préfecture. Au-delà d’une simple répression, dira-t-on du côté du pouvoir, pour ramener l’ordre dans la ville, ce recours à la soldatesque illustre simplement la phobie du pouvoir Faure Gnassingbé de l’alternance à la tête du pays. Visiblement, le régime voit en toute manifestation publique, la revendication de l’alternance. L’objectif de cette répression est de maintenir une chape de plomb sur le pays tout entier et étouffer toute tentative de revendication. « La logique est simple, pour le pouvoir, toute manifestation, fût-elle pour des revendications d’ordre social ou toute autre apolitique, peut être une ruse pour aboutir sur des revendications de l’alternance au pouvoir ; et donc il faut tout empêcher », schématise un compatriote. Manifestement, ce sont peut-être les initiatives de soutien à Faure Gnassingbé seules qui seront autorisées. Comme pour légitimer cette assertion, pendant que la soldatesque empêchait les populations de la Kéran de manifester contre le retard de développement de la préfecture et réclamer ce développement, le pouvoir laissait manifester celles de Tohoun, soi-disant pour remercier Faure Gnassingbé pour la construction de la route Notsè-Tohoun.

Urgence de la décentralisation et des élections locales

Protester contre le retard de développement de la Préfecture de la Kéran, tel est l’objectif de la marche initiée par le MIK. Par cette manifestation, le mouvement entendait simplement dénoncer le retard du chantier de la nationale N°1 au niveau de la ville de Kanté, le délabrement avancé et l’abandon des principales routes de la préfecture sources de nombreux accidents et de morts, le chômage des jeunes du milieu, l’état déplorable des infrastructures éducatives, sanitaires, des marchés, l’insuffisance d’enseignants, du personnel soignant et du personnel administratif, réclamer des centres de loisirs, etc. « Nous exigeons que les routes de la Kéran soient aménagées », « Il faut clôturer le terrain de foot », « Nous exigeons une maison des jeunes », « Ebomaf doit reprendre le chantier de la nationale n°1 qu’il a abandonné », « La Tribune du Stade Aniko Palako coule depuis de longues dates », « Pourquoi c’est seulement à Kanté que Ebomaf doit abandonner les travaux ? », « Nous voulons un bloc opératoire dans notre hôpital », « Notre hôpital de Kanté est un mouroir », voilà pêle-mêle quelques-uns des messages formulés sur des pancartes qui devraient être brandies à l’occasion.

Au-delà de la réclamation du développement de leur préfecture, cette initiative des populations de Kanté et de la Kéran actualise la problématique de la mise en œuvre urgente de la décentralisation et de l’organisation des élections locales au Togo. C’était une promesse du pouvoir RPT à l’époque depuis avril 2004, dans le cadre des 22 engagements pris devant les instances européennes à Bruxelles. Quatorze (14) ans après, la décentralisation n’est pas encore effective. L’opposition a toujours réclamé sa mise en œuvre, en vain. Entre-temps l’Union Européenne, sous le mandat de Patrick Spirlet était prête à mettre la main à la poche pour aider le Togo à réaliser ce chantier et organiser les élections locales. Son successeur Nicolas Berlanga-Martinez a repris le flambeau, incité dans ses différents discours les gouvernants à faire avancer le processus. Mais le régime est allé à son rythme, à pas de tortue.

Il se fait que le Togo est le seul pays de la sous-région ouest-africaine où la décentralisation n’est pas encore effective et où les élections locales ne sont pas organisées, pour permettre aux populations de choisir des représentants locaux et prendre en mains le développement des localités. Les dernières élections locales remonteraient aux années 89. Le pouvoir se contente de nommer des délégations spéciales et des présidents-liges pour gérer les communes, avec toutes les anomalies que cela entraine. Il n’est guère pressé de conclure ce processus de décentralisation décrit pourtant comme l’instauration de la démocratie à la base, et cela l’arrange manifestement car la situation lui permet de régenter encore les collectivités locales et maintenir les populations sous sa coupole afin de pouvoir les manipuler à sa guise à des fins électorales. La preuve ultime, les élections locales sont absentes de l’agenda électoral déroulé actuellement par le pouvoir Faure Gnassingbé dans une course folle de la Commission électorale nationale dite indépendante. En tout cas, le Prof Kodjona Kadanga et ses collabos ne font de la fixation que sur les élections législatives qu’ils mettent tout en œuvre pour tenir le 20 décembre 2018, pas un mot sur les locales attendues par les populations depuis plusieurs décennies.

Au demeurant, les populations de Kanté, à travers leur initiative de marche, se sont en fait illustrées comme le porte-parole de toutes les communautés territoriales du Togo pour rappeler au pouvoir RPT/UNIR l’urgence de la mise en œuvre de la décentralisation et de l’organisation des élections locales. Vivement que les gouvernants, traditionnellement sourds, entendent cette fois-ci l’appel lancé…

Tino Kossi

Source : www.icilome.com