Kangni Alem : « Les Noirs ont été victimes et acteurs de la traite »

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À travers une fresque historique fort documentée, le Togolais évoque l’esclavage au Brésil et les résistances africaines.

Rompant avec sa narration moderniste et plutôt difficile d’accès, le Togolais Kangni Alem livre avec son dernier roman, Esclaves, un récit historique grand public sur la traite négrière entre l’Afrique et le Brésil au XIXe siècle. Il retrace le parcours d’un Africain, Miguel, déporté au Brésil. Alors que depuis le congrès de Vienne, en 1815, la traite est interdite, des bateaux négriers continuent de sillonner clandestinement les océans. Paradoxalement, le drame de Miguel réside autant dans la déportation que dans son rapatriement en Afrique vingt-quatre ans plus tard, à la suite de sa participation à la grande révolte des esclaves à Bahia. Avec brio, Alem dépeint une époque de brutalités et de déshumanisation, mais également peuplée de héros tels que le roi Adandozan du Dahomey qui, s’élevant contre l’esclavage, entraîne à sa perte toute sa famille. 

JEUNE AFRIQUE : Comment est née l’idée d’un roman sur l’esclavage ?

KANGNI ALEM : Au départ, il y a eu des raisons floues liées à la particularité de la position de mon pays, le Togo, durant la période de la traite clandestine des populations du golfe de Guinée vers le Brésil, et aussi la présence massive de patronymes portugais dans l’histoire politique du pays. Je me suis souvent demandé : quel est ce point sombre de notre mémoire sur lequel nous faisons silence, mais qui nous poursuit toujours ? Ne serait-il pas temps de l’explorer ? Les défis étaient nombreux : éviter la récupération idéologique et ne pas se laisser impressionner par les faits qui ne sont pas toujours à la hauteur de l’imagination poétique. J’ai donc délibérément mélangé les faits d’archives et la fiction ; ce qui fait d’Esclaves une fiction historique. 

Pourquoi y a-t-il si peu de romans africains sur la traite négrière ?

Peut-être parce que le sujet n’est pas facile, il déchaîne trop de passions, en Afrique comme en Europe. Ces derniers temps, la complexité du sujet a été aggravée par le débat sur les complicités réelles ou supposées des Africains eux-mêmes, et la puérile question des réparations financières aux victimes. 

Vous vous êtes documenté pendant sept ans. Qu’avez-vous appris de nouveau sur l’esclavage ?

L’ antériorité d’un système esclavagiste que les conquérants arabes ont découvert à leur arrivée, et que les Européens ont exploité sans pitié. Quant aux Afro-Brésiliens, ils ont connu une destinée paradoxale, à la fois victimes et acteurs de la traite après leur retour du Brésil. 

Votre roman raconte l’histoire du roi du Dahomey, Adandozan. En quoi ce roi est-il emblématique des contradictions et des ambiguïtés de l’histoire de la traite ?

On le dit opposé à la traite, c’est faux, il voulait juste que les esclaves soient exploités sur place. 

Votre personnage principal, Miguel, est emmené comme esclave au Brésil, avant d’être rapatrié en Afrique. Pourquoi le parcours de ce « déporté à l’envers » vous a-t-il intéressé ?

Ce qui est arrivé à Miguel se poursuit aujourd’hui : son sort rappelle celui des émigrés modernes. La fin de l’esclavage pose la question de la place des Noirs dans les sociétés occidentales. Qui sont-ils ? Doivent-ils aimer le pays où leur mémoire fut humiliée, ou le quitter ?

 

 

Jeune Afrique