Kako Nubukpo : « Le franc CFA est un verrou qui empêche l’Afrique francophone de mûrir »

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Engagé contre le franc CFA, l’ancien ministre togolais Kako Nubukpo plaide pour trouver une alternative à cette monnaie, qui favorise selon lui un « paternalisme monétaire » de la part de la France et n’aide pas les pays africains à obtenir de bonnes performances économiques.

Malgré son éviction de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) fin 2017 en raison de ses positions très critiques sur le franc CFA, l’ancien ministre togolais des Finances, Kako Nubukpo, reste très engagé contre l’utilisation de cette monnaie sur le continent africain.

L’économiste tente désormais de trouver une alternative à cette monnaie en créant des passerelles entre la société civile et les dirigeants africains, comme les « États généraux du F CFA », qui se sont déroulés à Bamako mi-février. Objectif : parvenir à une monnaie qui pourrait « servir l’intérêt général ».

Jeune Afrique : Vous êtes très critique vis-à-vis du franc CFA. Que reprochez-vous précisément à cette monnaie ?   

Kako Nubukpo : Je fais quatre critiques d’ordre économique au franc CFA. D’abord, la faiblesse des échanges intracommunautaires car, comme nous produisons les mêmes produits, nous échangeons très peu entre nous. Ces types d’échanges sont de l’ordre de 10% en Afrique centrale et de 15% en Afrique de l’Ouest, alors qu’ils concernent 60% des échanges en Europe.

La faiblesse de la compétitivité et la répression financière sont également deux éléments à prendre en compte. Enfin, je suis étonné de voir que les banques centrales, dans des pays aussi pauvres que les nôtres, où la population double tous les vingt-cinq ans, n’aient pas d’autres préoccupations que la lutte anti-inflationniste et n’aient pas d’objectif en termes de croissance économique.

Il existe une austérité monétaire préconisée par les banques centrales de la zone franc, en plus de l’austérité budgétaire prônée par le FMI et la Banque mondiale. Tous ces éléments, mis bout à bout, expliquent aussi le chômage massif que nous connaissons en zone franc, et donc une partie des migrations.

Si le franc CFA n’existait pas, la plupart de ces dirigeants auraient déjà été chassés à cause de leur incompétence

Vous dites que le franc CFA est la monnaie de la « servitude volontaire ». Pourquoi ? 

À travers le franc CFA, Paris offre un système d’assurance aux dirigeants africains qui ne profite qu’à une élite ; c’est pour cela qu’ils sont silencieux sur cette question. Le franc CFA est donc un outil de ce que j’appelle la « servitude volontaire ».


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La monnaie est un indicateur de la bonne gouvernance d’un pays et, si le franc CFA n’existait pas, la plupart de ces dirigeants auraient déjà été chassés à cause de leur incompétence. En laissant ces chefs d’État au pouvoir, la France court un risque de cristallisation des angoisses de la jeunesse africaine contre lui.

La France doit être un allié objectif

Quelle devrait être, selon vous, la position de la France ? 

La France doit être un allié objectif des critiques de bonne foi formulées sur le franc CFA, et doit être sincère dans son aide publique au développement. L’absence de souveraineté, dont les attributs premiers sont la monnaie et la défense, explique les raisons de la révolte actuelle de la population africaine. Il faut mettre en place une réforme graduelle autour du franc CFA, et cela commence par son changement de nom.


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Les pays qui ne font pas partie de la zone franc sont-ils plus performants économiquement que les autres ?

Les autres pays ne sont peut-être pas plus performants mais, au moins, ils apprennent à gérer une monnaie et un taux de change. Dans la zone franc, c’est le Trésor français qui gère cela pour nous. Il existe un paternalisme monétaire de la part de Paris, qui pense que les Africains ne sont pas assez matures pour gérer leur monnaie.


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Les cinq premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique (Nigeria, Afrique du Sud…) n’utilisent d’ailleurs pas le franc CFA et ne parlent même pas le français. Au-delà de l’économie, le débat est donc aussi géopolitique. Le franc CFA est un verrou qui empêche l’Afrique francophone de mûrir.

Quels sont aujourd’hui les enjeux pour les économies africaines ?

L’enjeu actuel pour ces économies est d’avoir une monnaie en phase avec leur marché intérieur. Aujourd’hui, le défi démographique en Afrique doit entraîner des aménagements de la monnaie.


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Vous êtes notamment à initiative des « États généraux du F CFA », qui se sont déroulés à Bamako les 16 et 17 février. Quelles ont été les conclusions ?

L’objectif est de former un think tank autour du franc CFA et de proposer des alternatives à cette monnaie. Nous sommes en train de créer une vingtaine de comités-pays dans les États de la zone franc mais également dans ceux de la diaspora (comme en France ou Canada), dont le but sera d’organiser des débats citoyens autour des avantages et inconvénients de cette monnaie.

Ces propositions seront ensuite utilisées comme des moyens de pression lors des élections présidentielles dans les pays de la zone. Car ce débat, trop peu abordé dans les campagnes électorales, mérite d’être porté par la société civile afin d’être entendu par les dirigeants du continent.

Jeune Afrique