Interview/Olivier Amah : « 60 ans après les indépendances, le Togo ne dispose pas d’hôpital pour les militaires qui maintiennent cette dictature… »

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Ancien Commandant de l’armée togolaise formé à l’Ecole des forces armées de Bouaké en Côte d’Ivoire, Olivier Poko Amah vit depuis presque une décennie en exil. Quoique loin de la mère-patrie, il suit l’actualité socio-politique qui se déroule dans son pays. C’est à ce titre que nous l’avons sollicité pour qu’il jette son regard d’homme avisé mais aussi d’ancien militaire sur les sujets d’intérêt.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué au cours de l’année 2021 qui vient de finir ?

Olivier Amah : Tout d’abord, permettez-moi de saluer tous vos lecteurs et leur souhaiter une heureuse année 2022. Ce qui m’a marqué au Togo en 2021 c’est sans doute l’arrestation de certains activistes et journalistes de renom notamment de Jean-Paul OUMOLOU, de Fovi Katakou, Ferdinand Ayité et de Joël EGAH.

Il faut noter que l’arrestation de Fovi Katakou qui est une personne à motricité réduite a choqué l’opinion dans son ensemble si bien que la colère est montée dans le cœur de nous tous. Même ceux qui sont avec le pouvoir de Lomé ont été bouleversés. Cette arrestation a sérieusement détruit la petite image du clan au pouvoir qui n’a pas pu résister aux invectives et aux menaces de tout genre.

Pour les journalistes, le monde des médias sur la planète et les anonymes se sont décarcassés pour pousser le clan à les libérer bien évidemment, il reste Jean Paul  Oumolou et d’autres prisonniers politiques pour qui, il faut continuer à se battre pour obtenir leur libération.

Vous savez le pouvoir du Togo est et restera toujours l’ennemi de la liberté d’expression parce que le cœur de ce pouvoir considère le bavardage du moins trop de bavardages comme un crime. Il déteste la liberté d’expression. Tous les accords (NDLR : les accords qui découlent des dialogues politiques) par rapport à cela ont été obtenus sous la contrainte de la communauté internationale et lorsque les choses inédites, confidentielles initiées par la dictature du Togo se produisent en vue de mettre en berne cette communauté internationale sur le Togo, le clan revient d’une manière insidieuses pour détruire les acquis de la presse.

Depuis quelques années, vous vivez hors du territoire national, mais cela ne vous empêche pas de suivre l’actualité nationale. Quel regard portez-vous sur la lutte que mène vos compatriotes et camarades restés au pays ?

Olivier Amah : Les camarades sur le terrain se débrouillent à travers les médias pour le moment et chaque entité politique est dans son coin en train d’observer les arrestations et le démantèlement des dernières poches de résistance.

Je voudrais toucher un peu l’esprit qui m’a animé lorsque j’ai démarré ce combat aux côtés de la société civile et des partis politiques en quête de la première alternance au Togo. Mon souhait fut de pousser la classe politique de l’opposition à appréhender et mieux comprendre le pourquoi et le comment ce régime résiste dans la durée à l’alternance. Et bien en 2015, les togolais se sont mobilisés pour surveiller le scrutin présidentiel dans son ensemble avant, pendant et après le vote le constat est terrible. Évidemment, les togolais ont été mis au courant étape par étape de la manière dont la fraude se déroule jusqu’à la proclamation des résultats. Et tenez-vous bien certains compatriotes ont assisté et suivi en direct comment les résultats frauduleux sont proclamés.

 En 2020, le même scénario s’est reproduit notamment une campagne rendue difficile par le pouvoir à certains candidats de l’opposition, le jour du vote violence et renvoie des représentants de l’opposition dans les bureaux de vote, bourrage d’urnes, falsification des procès-verbaux. Bref, la fraude à grande échelle sur toute l’étendue du territoire. Et enfin la proclamation des résultats en seulement 24h sans aucune compilation et vérification.

Souvent avant le démarrage de la campagne lorsque la dictature est coincée, elle discute de l’amélioration du cadre électoral pour attirer l’opposition dans un traquenard sur les papiers. Malheureusement, le jour du scrutin elle ne respecte rien et utilise la violence, la confusion et la triche pour confisquer le pouvoir et cela dure depuis 1998.

Les populations en février 2020 ont une fois encore voté massivement pour le changement dont la DMK (NDLR:Dynamique Monseigneur Kpodjro) étant le gagnant. Je pense que tous les démocrates devraient former un bloc pour défendre l’orientation de la majorité des togolais comme nous l’avions fait avec le Collectif sauvons le Togo (CST) et garder ce bloc dans la durée mais c’est malheureux parce que les querelles ont pris le dessus. Je garantis à tous les togolais qui sont en lutte que le jour on sera vraiment unis ça va faire mal à la dictature.

Faut-il continuer par subir ou faut-il avec courage réunir toute la classe politique de l’opposition pour réfléchir sur la nouvelle conduite à tenir ?

À mon humble avis, il faut se réunir pour réfléchir trouver des voies et moyens pour remettre en confiance les populations faire une union sacrée, faire du Togo d’abord et les partis politiques après avec un esprit de sacrifice à la hauteur du patriotisme.

Le Togo s’illustre de plus en plus comme un acteur clé dans le dispositif de maintien de la paix des Nations unies. Quelles sont les retombées de cette action ?

Olivier Amah : Au Mali, le Togo est un acteur important par rapport au nombre de soldats sur le sol malien.

Vous savez en terme d’expérience d’un conflit majeur le Togo n’en a pas, par contre lorsque vous prenez le Tchad, le Sénégal, le Niger on peut les considérer comme des acteurs clés.

En terme de retombés sur le plan politique vue l’importance de l’effectif du contingent togolais et la volonté affichée des autorités de fait du Togo de maintenir voir même augmenter le nombre, si c’est nécessaire cela étant apprécié par les décideurs en retour cette communauté internationale ferme les yeux sur les fraudes électorales et d’autres dérives liés à la protection des droits de l’homme, toutefois il faut noter que c’est à nous togolais de changer notre histoire.

Les retombés économiques ne sont pas négligeables car l’ONU paye le Togo pour chaque engin déployé au Mali ainsi que tout le personnel militaire présent sur le sol malien.

Plus d’un demi-siècle après les indépendances, le Togo ne dispose pas d’hôpital militaire. Comment comprenez-vous cela ?

Olivier Amah : C’est vraiment dommage que notre pays le Togo ne dispose pas d’un hôpital militaire. C’est inadmissible que depuis les indépendances jusqu’à ce jour pas un hôpital militaire. Je pense que c’est du mépris malgré  que les militaires contribuent à maintenir cette dictature, il faut déplorer qu’ils ne sont pas respectés puisque leur santé ne préoccupe pas le pouvoir qui préfère investir dans l’achat de matériel de répression que de leur procurer des soins de qualité.

Les militaires sont une corporation spéciale et à cause de leurs missions qui nécessitent des sacrifices hors normes, souvent confrontés à des situations de conflits ou dans des exercices les mettant dans des situations difficiles pouvant leur provoquer des blessures hors du commun, des maladies hors du commun, des situations d’urgence provoquées par l’utilisation du matériel dangereux par rapport à tout ce que je viens de citer tout pays responsable et soucieux du bien-être de ses habitants en général et des militaires en particulier devrait se doter d’un hôpital militaire. Mais malheureusement le Togo n’en dispose pas ses gouvernants préfèrent détourner l’argent du contribuable que de construire un hôpital militaire.

La situation de vos ex frères d’arme a-t-elle évolué depuis votre départ ?

Olivier Amah : Par rapport à la loi sur la programmation militaire ces derniers temps sur le plan matériel, il y a une évolution. L’armée togolaise a des nouveaux engins blindés et non blindés, certains fusils individuels ont été remplacés et certains engins blindés ont été rénovés, par contre sur le plan social c’est le statut quo.

C’est-à-dire la politique de logements des militaires est inexistant, les salaires n’ont pas connu une évolution substantielle

Aujourd’hui, on parle du budget de reprogrammation militaire.  Qu’est-ce qui a fondamentalement changé avec ce budget ?

Olivier Amah : Avec le budget de la programmation militaire ce qui a changé ou du moins ils ont créé un corps spécial. Ils sont en train de renforcer les effectifs en tout cas sur le plan matériel, il y a des nouveaux engins qui arrivent. Ensuite, je peux rêver que les mentalités vont aussi évoluer au profit des populations togolaises qui recherchent une première alternance dans notre pays

Depuis les indépendances, nous avons pour la première fois, une femme à la tête du ministère des armées. Quel regard portez-vous sur le travail fait par cette dame à la tête dudit ministère ?

Olivier Amah : Je ne suis pas surplace pour apprécier le travail de la ministre des armées. Je sais qu’elle a des relations spéciales avec celui qui l’a nommé et j’aimerais croire qu’elle ne fait pas de la figuration donc elle a les mains libres pour innover dans son département qui est fermé à une catégorie de togolais parce qu’ils sont considérés comme des opposants. Aussi je souhaiterais qu’elle puisse faire en sorte que les militaires respectent la constitution du Togo.

En ce qui concerne les motions de soutien à la personne du chef de l’Etat lu par les militaires à la fin des grands rapports, j’espère qu’elle pèsera de tout son poids pour faire cesser cela parce que c’est le peuple qui est souverain et si un président est légitime il n’a pas besoin d’utiliser l’armée comme sa propriété privée.

Ensuite je me dis qu’elle fera construire un hôpital militaire, des logements pour les soldats et elle veillera à ce que la totalité de l’argent que les soldats ont gagné dans des missions onusiennes leur soit versé. Et que la militarisation à outrance du pays devrait s’arrêter au profit du social. Et se rappeler chaque jour qu’elle doit s’impliquer pour situer l’opinion sur le lâche assassinat du Colonel Madjoulba Toussaint Bitala.

Enfin, je souhaiterais qu’elle fasse en sorte que le haut commandement de l’armée ne soit plus une marionnette dans les mains du chef de l’état et que les militaires ne seront plus déployés en cas de manifestations pacifiques pour réprimer sans ménagement parce que ce n’est pas leur mission.

Mot de fin…

Olivier Amah : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer par rapport à l’actualité de mon pays que j’ai quitté pour échapper à un régime qui n’a aucune considération pour sa population.

Source: Togoscoop

Source : icilome.com