Interview/Mohamed Ibrahima Bah, Représentant résident de Plan International Togo : « Ce qu’on vole à l’enfant qu’on donne en mariage, on ne peut plus le rembourser »

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On ne le dira jamais assez. Le mariage des enfants prend de l’ampleur dans nos milieux, malgré les actions des Ong et associations qui luttent contre le phénomène. A l’occasion de la journée internationale de la femme, Plan International Togo a reposé la problématique avec les acteurs concernés. Nous avons tendu nos micros au Représentant résident au Togo, Mohamed Ibrahima Bah qui a bien voulu nous parler du drame. Pour lui, il faut que les auteurs, quel que soit le niveau de leur implication dans le mariage des enfants, soient punis par la loi. Et c’est ce qui fera reculer le phénomène. Lisez plutôt !

Bonjour. Dites-nous ce qu’est en fait le mariage des enfants.

D’abord, l’enfant, c’est tout être humain avant dix-huit (18) ans. Tant que la personne n’a pas dix-sept (17) ans plus douze (12) mois, ça veut dire que c’est un enfant. Donc le mariage d’un enfant, il y a certains qui le qualifient de précoce, c’est le mariage d’une personne qui a moins de dix-huit (18) ans. En principe, cette personne doit être à l’école. Elle doit être en train de préparer son futur; et malheureusement, on le lui arrache en la donnant au mariage, ou bien dans de rares cas, en le donnant à une femme lorsqu’il s’agit d’un garçon. Mais dans nos communautés, quand il s’agit surtout d’une fille, ses parents la prennent et la donnent comme un objet à un autre pour qu’elle devienne mère alors qu’elle est encore enfant. C’est là le crime.

Quelle différence peut-on mettre alors entre le mariage précoce et le mariage forcé ?

Le mariage précoce, c’est tout mariage d’un enfant, d’un être humain qui, d’abord, n’a pas dix-huit (18) ans, ou bien qui n’est pas prêt à se marier. Le mariage forcé, c’est quand l’enfant ne veut pas du tout se marier et on le prend en mariage ou on le donne en mariage. Dans ces deux cas, on a forcé l’enfant. C’est forcé quand c’est contre le gré de la fille. Alors, on parle de mariage précoce par exemple quand la fille n’a pas dix-huit (18) ans, mais veut elle-même se marier.

Dans ces situations, quels genres d’intervention Plan Togo mène-t-elle pour remédier à cela ?

Plan International Togo, comme partout où nous sommes, mène beaucoup d’activités dans ces cas-là. Ici au Togo, la loi est déjà contre ça, mais les pratiques continuent. Certaines personnes le font par ignorance, puisqu’elles ne connaissent pas les effets et la loi. Elles ont besoin de l’information, de la sensibilisation pour qu’elles soient informées de ces pratiques, de ses effets. Il faut qu’elles sachent qu’elles commettent des crimes. L’autre chose, il y a des personnes qui connaissent les effets de ces pratiques et savent qu’elles sont contre la loi, mais continuent à le faire en invoquant des raisons. Par exemple, il y a des personnes qui, pour des raisons religieuses, poussent leurs filles ou les donnent en mariage alors que ce n’est pas vrai. D’autres invoquent les raisons culturelles alors que la fille doit être à l’école et poursuivre ses études. Nous essayons de mettre en place des mécanismes qui vont assurer que toutes les filles doivent être à l’école et poursuivre leurs études. Mais si la fille ne peut pas poursuivre les études, elle peut apprendre des métiers professionnels ou être concentrée sur quelque chose qui puisse lui assurer son avenir.

Au-delà de ça, c’est une question de justice. Si c’est un pays où la loi n’interdit pas ça, Plan International avec ses partenaires font le lobbying pour que ça soit introduit dans la loi. Au Togo, c’est interdit par la loi, mais ça continue. Et ce que nous faisons, c’est de voir comment on peut mobiliser la Justice à tous les niveaux et même communautaires pour juger les cas. Jusqu’ici, on ne voit pas les gens qui ont pris les filles en mariage ou qui les ont données en mariage être condamnés. Il y a beaucoup de choses qu’on doit faire à Plan International pour préparer d’abord les filles à l’école ou à d’autres métiers. Ce sont, entre autres, des dispositifs de protection des enfants contre le mariage forcé ou précoce. Au niveau des parents ou communautés, nous mettons en place des mécanismes de protection de l’enfant, nous aidons les communautés afin que, et les parents et les jeunes prennent des dispositions contre ces pratiques et les empêcher.

Au Togo, nous avons piloté un projet à Tchamba de lutte contre le mariage qui impliquait les leaders traditionnels et religieux. Actuellement, nous avons aussi un autre projet que nous menons à Moyen-Mono dans les régions des Plateaux. Globalement, nous avons un projet que nous appelons « Eighteen Plus » (18 ans plus, NDRL) et ça couvre beaucoup de régions où nous sommes en train de lutter contre les mariages précoces.

Comment peut-on expliquer le cas des régions où le phénomène est plus accentué ? A part les raisons économique et religieuse, y a-t-il d’autres raisons qui expliquent le phénomène ?

Je dirai que c’est l’impunité. Si quelqu’un vole de l’argent, on l’enferme. On le frappe avant même que la Police n’arrive. A la Police, on le juge et on l’enferme. Quelqu’un qui prend une fille qui a quinze (15) ans en mariage alors qu’elle est en train de préparer son avenir à l’école, lui a volé son enfance. Mais des gens comme ça ne sont pas condamnés. Les autres raisons tournent autour de ça. Si ceux qui commettent ces pratiques savent qu’elles peuvent se retrouver en prison, elles ne le feront pas. La grande raison pour moi, c’est l’impunité et c’est là où nous devons mettre beaucoup d’accent.

Quelles sont les régions où le phénomène est le plus accentué ?

Dans les régions des Savanes, Centrale et des Plateaux, c’est plus accentué. Nous avons des enfants affiliés et un programme de parrainage des enfants qui échangent avec leurs correspondants en Europe, aux Etats-Unis, etc. En 2017, il y a eu 444 enfants qui ont cessé puisqu’ils ont changé de lieu à cause de l’école. Parmi ce nombre, il y 123 qui se sont mariées. Cet effectif concerne la région Centrale et quelques préfectures de la région des Plateaux. Ce qui donne 40% de ceux qui sont parrainés et se sont mariés alors qu’ils devraient continuer le programme jusqu’à dix-huit (18) ans.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez sur le terrain ?

Je peux dire que c’est une seule difficulté. Le reste, ce sont des défis. La grande difficulté, c’est que nous parlons de ça et beaucoup d’organisations en parlent; mais au niveau de la Justice, pas grand-chose ne se fait. Cela fait que malgré qu’on en parle beaucoup, les gens continuent à le faire. Sinon, il y a des défis. Il y a par exemple les chefs religieux, les chefs traditionnels qui tiennent toujours aux mariages précoces. Il y a aussi des parents qui, pour des raisons de sécurité économique, préfèrent donner leurs filles en mariage. Si ces gens savaient qu’en donnant leurs filles en mariage, ils iraient en prison, ça va aider beaucoup; et c’est là-bas que je pense qu’il faut accentuer la lutte.

Plan international Togo fait-elle des plaidoyers à la justice togolaise ?

Nous sommes en train de le faire avec des partenaires, mais ce n’est pas facile. A notre niveau, nous faisons notre devoir d’informer alors que la Justice est mieux informée de la loi. Mais on va essayer de sensibiliser, d’impliquer les juges sur la nécessité d’appliquer la loi. Il faut aussi relever qu’il faut des plaintes à la Justice alors que les gens ne veulent pas porter plainte. On va sensibiliser les gens en les motivant de porter plainte contre ceux qui se livrent aux mariages précoces ou forcés. Il faut sensibiliser les gens et continuer à faire des plaidoyers. C’est un travail de longue haleine.

Que diriez-vous de la loi qui envoyait en prison les enseignants qui enceintaient leurs élèves et qui est tombée en désuétude du fait de certains paramètres ?

Je dis toujours que la loi, c’est la loi. Il faut l’appliquer. Si vous pensez que cette loi n’est pas à appliquer, il faut la changer. Mais pendant que la loi est là, il faut la respecter. La deuxième chose, on dit souvent : qui va prendre la fille en charge pendant que l’auteur de la grossesse, c’est-à-dire l’enseignant est en prison? Cette manière de ménager l’enseignant n’est pas juste. Qui prend en charge la fille enceinte d’un garçon qui n’a pas les moyens? Il y a des voleurs qui sont parfois des chefs de famille et ont des enfants et des femmes à prendre en charge, mais on les enferme; pourquoi faire exception pour celui qui vole l’enfance ? Il faut corser la loi au niveau de l’enseignant parce qu’il est censé garantir un avenir à l’enfant. C’est sa responsabilité. S’il fait le contraire, il faut taper fort. C’est là-bas même que cela devrait être plus dur, parce que ce qu’on vole de l’enfant qu’on donne en mariage ou qu’on force au mariage, on ne peut pas le rembourser. L’enfance perdue n’est jamais rattrapée.

Un message à l’endroit des acteurs?

C’est un travail de longue haleine, mais nous devons continuer à le faire parce que nous savons que chaque fille a le droit de réussir dans sa vie. Elle a le droit de s’épanouir. Même si une seule fille est forcée en mariage, le travail n’est pas fini. Si nous sommes très nombreux et décidés, nous pouvons faire changer cela. Je demande à chacun et à chacune d’avoir le courage de continuer, parce que c’est une mission noble. Etablir les choses pour que la fille ne perde pas son enfance et que l’enfant ne perde pas son enfance, il n’y a pas de plus noble que ça et cela ne doit pas nous fatiguer. Nous ne devons pas nous décourager.

Propos recueillis par I.K

Source : www.icilome.com