Interview exclusive/Jean-Pierre FABRE, plus que jamais déterminé

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Voici une interview accordée par le chef de file de l’opposition, Jean-Pierre Fabre à notre confrère « La Manchette ».

M. Jean-Pierre Fabre Bonjour, vu les derniers développements de l’actualité, est-ce que vous ne regrettez pas aujourd’hui d’avoir préalablement accepté de suspendre les manifestations de rue ?

JPF : Pas du tout. J’aime à rappeler que notre engagement moral de suspendre les manifestations, nous a été arraché par la facilitation qui était loin de se douter de la mauvaise foi dont le régime RPT/UNIR est capable. Le RPT/UNIR a cru pouvoir tirer profit de cet engagement pour interdire les manifestations démontrant au monde entier, sa vraie nature d’adepte invétéré de coup de force.

Pour en revenir précisément à votre question, je dirai qu’il est toujours facile de refaire le monde après coup.

Aurions-nous dû refuser la suspension des manifestations, proposée par le Facilitateur, comme préalable au dialogue inter-togolais ?

Si nous avions dit non à ce préalable, le dialogue n’aurait pas eu lieu, et aussi bien au plan national, qu’international, on nous en aurait fait le reproche. Dans la culture universelle, particulièrement africaine, et surtout en politique, aucune invitation à discuter ne se refuse. Seule l’attitude à tenir devant l’interlocuteur importe.

Comme dans les années antérieures, la lutte semble plonger dans l’impasse. Ne craignez-vous pas dans ces circonstances une démobilisation du peuple ?

Evitons de souscrire à la propagande instillée par le pouvoir en place pour démobiliser. Aucun peuple digne de ce nom, en lutte pour sa libération, ne peut se démobiliser tant qu’’il n’a pas atteint son objectif. Et c’est bien à cela que les pères fondateurs de l’indépendance de notre pays nous invitent tous autant que nous sommes, dans notre hymne national, en pareille circonstance, face à la tyrannie : « TOGO DEBOUT ! LUTTONS SANS DEFAILLANCE, VAINQUONS OU MOURONS MAIS DANS LA DIGNITE !La mobilisation populaire ne procède pas d’injonctions auxquelles les populations obéissent bêtement, sans discernement.
Nos populations descendent dans la rue, non par plaisir, non par oisiveté, mais parce qu’elles n’ont pas le choix d’agir autrement. Le dos au mur, inexorablement face à leur destin, elles sont contraintes de manifester pour revendiquer leur droit d’exister, leurs légitimes aspirations à une vie meilleure. On n’est jamais fatigué pour exiger son droit à la vie et à la liberté quelles que soient les ruses utilisées par l’adversaire pour démobiliser.

Les togolais sont des êtres humains, des êtres dignes de considération et de respect, pour vivre heureux, libres, debout, maîtres de leur destin, et non des créatures maudites condamnées par une quelconque fatalité, à vivre couchés, écrasés et rampant dans la misère sous le joug d’une minorité qui ne les a que trop longtemps opprimés, bâillonnés. Une minorité qui désormais, a peur et tremble de tous ses membres, parce qu’elle sait mieux que quiconque, que c’est la mobilisation populaire seule, qui mettra fin à son règne.

Descendre dans la rue pour manifester est un droit constitutionnel que le peuple exerce en toute liberté, en toute souveraineté. C’est son arme, la seule arme, l’arme absolue qu’il détient pour combattre ceux qui entendent le gouverner contre sa volonté.

Ce droit de manifester est le seul moyen qui permet au peuple de se faire entendre, et le peuple togolais entend l’exercer dans toute sa plénitude.

Dans son communiqué du 14 avril dernier à Lomé, la CEDEAO évoque la question du délai constitutionnel. N’est-ce pas une manière de pousser la classe politique togolaise vers les élections au motif d’éviter un vide institutionnel ?

La question des délais légaux s’agissant des élections, ne se pose pas. Le règlement de la crise togolaise échappe à l’application de la Constitution et des lois. Il s’inscrit désormais, en principe, dans le cadre du dialogue auquel le chef de l’Etat a lui-même été contraint d’appeler. En conséquence, face au dialogue, les délais légaux électoraux n’existent plus.

Le Facilitateur Nana Akuffo Addo, n’a eu de cesse de répliquer aux représentants du RPT/UNIR au dialogue, qu’évoquer tout délai électoral est un non-sens, une aberration, car les questions électorales font partie de l’agenda du dialogue, et ne peuvent être la préoccupation du RPT/UNIR seul. De même, la facilitation guinéenne a bien précisé, avant l’ouverture du dialogue le 19 février 2018, que « le dialogue est suspensif de tout processus unilatéralement enclenché ». Continuer d’évoquer, un prétendu problème lié au respect des délais électoraux légaux, c’est nier la mission fondamentale du dialogue, et manifester une volonté de passer en force.

De toutes façons, la Coalition n’acceptera pas d’être forcée à prendre part, au pas de charge, à des élections préparées unilatéralement et imposées par le régime RPT/UNIR avec la bénédiction de qui que ce soit. Il importe de rappeler que, se fondant sur les dispositions constitutionnelles introduites en 2002, les autorités togolaises ont, prolongé d’une année la législature précédente pour permettre à l’Assemblée nationale de demeurer en place jusqu’à de nouvelles élections. Cette jurisprudence n’autorise plus, le RPT/UNIR, à invoquer un quelconque dépassement de délais légaux pour tenter d’imposer dans le désordre et la précipitation, un scrutin non consensuel.

Les présidents ouest-africains ont aussi demandé aux facilitateurs de leur proposer des recommandations au prochain sommet en juin 2018. Que fera la coalition si les chefs d’Etat vous imposent des solutions à la crise togolaise comme ils l’ont récemment fait pour la Guinée-Bissau ?

Nous souhaitons sincèrement que la CEDEAO aide au règlement de la crise togolaise. Ceci étant, les situations du Togo et de la Guinée Bissau, sont différentes. La gravité du drame que vit le Peuple togolais, dont certains ne mesurent pas toujours assez l’ampleur, l’oblige à une grande vigilance. Il ne saurait en conséquence s’accommoder de quelque recommandation que ce soit, qui ne tiendrait pas compte de ses aspirations profondes.

Il serait alors à craindre que pareilles recommandations ne donnent lieu qu’à de gigantesques manifestations de rejet. Ainsi, les populations togolaises opposeront-elles toujours un refus catégorique à toute proposition ou recommandation qui tendrait à imposer la candidature du Chef de l’Etat sortant, pour un 4ème mandat présidentiel.

La position des populations togolaises, portée par la coalition, qui veut que Faure Gnassingbé ne puisse pas participer à la prochaine élection présidentielle, ne relève pas d’un caprice. Faure GNASSINGBE qui a rusé pendant douze ans pour échapper à la mise en œuvre des réformes prescrites par l’Accord de Politique Global (APG), ne peut pas décemment aujourd’hui, en prétendant vouloir enfin l’application de l’APG, et se soumettre aux réformes, faire table rase des mandats indûment exécutés, pendant toute la période de son refus et de son entêtement. Il ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude.

Nous espérons donc que la Commission ne se risquerait pas à aller dans un sens contraire. Les aspirations des populations togolaises, comportent également l’ouverture d’une période de transition politique avec, notamment, la mise en place d’un gouvernement et d’un parlement de transition, chargés de parachever les réformes institutionnelles, constitutionnelles et électorales et d’organiser les prochaines élections générales (locales, législatives et présidentielles).

Les recommandations de la Commission de la CEDEAO devraient, pour un règlement juste et équitable de la crise, prendre en considération tous ces éléments.

Votre camarade de lutte Tikpi Atchadam s’est presque exilé. C’était quand la dernière fois vous vous êtes parlé ?

C’est toujours triste de voir un camarade de lutte contraint à l’exil. Plusieurs des nôtres ont connu et connaissent malheureusement encore cette situation. Au regard de la violence et des brutalités dont la soldatesque togolaise est coutumière, et dont la dernière en date est la tentative d’assassinat, à laquelle j’ai échappé le mercredi 11 avril 2018, qui peut raisonnablement reprocher à Tikpi Atachadam de faire preuve d’une extême prudence ?
En ce qui me concerne, j’ai choisi de ne jamais prendre le chemin de l’exil quelles que soient les violences, les brutalités et autres exactions que la dictature RPT/UNIR m’infligent. J’ai remis ma vie entre les mains de Dieu. Je sais que « rien ne peut jamais m’arriver sans Sa permission ». N’oublions pas les paroles rassurantes du Psaume 91 : « Que mille tombent à ton côté, et dix mille à ta droite, tu ne seras pas atteint ; de tes yeux seulement tu regarderas, et tu verras la rétribution des méchants ».

L’absence de Tikpi Atchadam est un problème soumis à la facilitation. Nous espérons qu’elle saura y porter efficacement remède.

Comment avez-vous accueilli l’accusation selon laquelle vous auriez rencontré trois chefs d’Etat dont Faure Gnassingbé, à l’hôtel du 2 février, le samedi 14 avril dernier ?

D’abord, comme j’ai eu à le déclarer lors de la conférence de presse de la coalition du 18 avril 2018, je n’ai rencontré aucun chef d’Etat ce jour-là à l’hôtel du 2 février. Que cela soit clair pour tous. L’information est totalement fausse et procède d’une volonté délibérée d’intoxiquer les populations.

Ce jour-là, après le sommet de la CEDEAO, le leader de l’opposition que je suis, a eu à rencontrer, le Ministre de la Sécurité du Ghana, Albert Kan Daapah, à la demande de celui-ci. Le ministre, membre de l’équipe de facilitation ghanéenne a bien voulu me faire part des conclusions du sommet. Son invitation à me rencontrer m’a été communiquée par la coordinatrice de la coalition madame Brigitte Adjamagbo-Johnson. Quel est le problème ?
Le tapage que l’on a voulu faire de cette fausse information et l’accueil qu’elle a reçu, sont assez révélatrices de la maladive propension de certains de nos compatriotes à gober toute information malveillante,dès lors qu’elle concerne des responsables politiques de l’opposition en vue, notamment Jean-Pierre Fabre.Les réseaux sociaux n’ont malheureusement pas arrangé les choses. Ceux qui, se proclamant proches de l’opposition, se plaisent à relayer sans précaution, des informations de nature à discréditer des leaders de l’opposition, doivent savoir qu’ils deviennent des alliés objectifs de la dictature RPT/UNIR, dont ils font le jeu. Car, cette dictature seule à intérêt à la fragilisation de l’opposition et s’y acharne tous azimuts et par tous les moyens.

Se laisser troubler par de telles informations, c’est totalement manquer de discernement. Car, a priori, rencontrer des chefs d’Etat, n’est pas constitutif de trahison. Encore faut-il faut attendre que des actes suivent, révélant cette trahison.

Supposons qu’après le sommet, certains chefs d’Etat, favorables à notre cause, aient voulu me voir, en ma qualité de leader de l’opposition, pour discuter de la situation politique du pays, devrais-je accepter cette invitation ou la décliner au motif que je m’exposerais à une accusation de trahison ? Qu’auraient alors dit ces mêmes détracteurs qui m’incriminent aujourd’hui? N’est-ce pas ma soit-disant arrogance qui aurait alors fait la une des journaux? Soyons sérieux ! Toute cette affaire n’était qu’une tempête dans un verre d’eau. Et vous voyez jusqu’où peut mener le refus d’user de ses méninges ! Nous devons nous évertuer à adopter en toute circonstance, une attitude responsable et respectueuse. Il faut en finir avec ces mesquineries, et ces calomnies qui ne visent qu’à démobiliser ! Sulfureux

Comment se prépare l’ANC pour les prochaines législatives ?

Vous voyez bien que la préoccupation du moment ne concerne pas les législatives mais le rétablissement de la constitution de 1992 ainsi que toutes les conséquences qui en découlent. Ceci dit, l’ANC est un parti politique qui travaille sans relâche sur le terrain et n’attend pas les échéances électorales pour se préparer. C’est l’attitude normale d’un parti sérieux. L’enjeu de la lutte politique au Togo requiert une mobilisation de tous les instants. Il interdit toute mollesse de notre part. Nous sommes plus que persuadés que l’alternance démocratique est imminente. Il nous incombe d’œuvrer inlassablement à l’enracinement de l’ANC sur le territoire national et dans le même temps agir au renforcement de la cohésion des 14 partis de l’opposition. Ce n’est pas facile, mais nous nous y attelons du mieux que nous pouvons. Le Togo est notre patrie commune. Aucun parti politique, aucun groupe si puissant soit-il, ne peut indéfiniment asseoir une féroce domination sur l’ensemble du pays. Les choses ne sauraient rester en l’état. Dites-moi, en vertu de quoi, une minorité peut-elle s’arroger le droit d’imposer sa loià tout un peuple ?

Merci
La Manchette N° 014 du Mercredi 25 Avril 2018

Source : www.icilome.com