Quelles sont les causes profondes ayant conduit aux mouvements du 19 août 2018 ? Quels étaient le contexte et la situation politiques au Togo à la veille du déclenchement des manifestations par Tikpi Atchadam et le PNP ? Quelles ont été les actions et les initiatives du chef de l’Etat et du gouvernement face à la situation ? Quelle appréciation et quel regard porter sur le dialogue politique et sur les décisions de la CEDEAO ? Les incendies des mosquées et l’accusation portée par le leader du PNP et une partie de la classe politique togolaise contre la majorité présidentielle sont-elles fondées ? Les élections législatives pourraient-elles réellement avoir lieu au Togo le 20 décembre prochain et à quel moment aura lieu l’adoption des réformes constitutionnelles attendues ?
Gilbert Bawara, ministre de la fonction publique, du travail et des réformes administratives, point focal du gouvernement dans le cadre du dialogue politique et l’un des plus proches collaborateurs du président Faure, répond à toutes ces interrogations dans l’interview exclusive et détaillée qu’il a accordée à l’Agence de presse AfreePress en ces lendemains du premier anniversaire des événements du 19 août 2017.
Voici ci-dessous l’intégralité de l’entretien.
Bonjour M. le ministre. Il y a environ deux semaines, tout exactement le dimanche 19 août 2018. Cela faisait douze mois jour pour jour que le Togo a basculé dans une grave crise sociopolitique. Avec le recul, dites-nous ce qui a pu mener à cette situation.
Gilbert Bawara : Cela aura été une situation extrêmement douloureuse pour notre pays. Le climat insurrectionnel et les tensions et contestations orchestrés par le PNP puis entretenus par la coalition des 14 partis de l’opposition ont causé un tort énorme à la cohésion nationale et nourri de profonds ressentiments au sein de la société togolaise. Cette situation a écorné l’image et la réputation du Togo et porté un grave préjudice à notre économie.
De ce point de vue, elle dénote d’une volonté délibérée de casser la dynamique de croissance, de provoquer des difficultés économiques et sociales et de susciter un environnement propice aux mécontentements, à la révolte et à la sédition.
Les événements déclenchés le 19 août 2017 sont le fruit d’une conjonction de facteurs et de circonstances qui ont été exploités et instrumentalisés à des fins de déstabilisation du pays et de renversement des institutions établies. Tous les complots et coups d’Etat ont besoin de prétexte.
La question des réformes politiques et de l’alternance a servi d’alibi à la tentative de déstabilisation fomentée par quelques personnages qui croient pouvoir se draper dans une virginité politique d’apparence pour assouvir leurs intérêts et ambitions.
A y regarder cependant de près, s’il y avait eu une réelle volonté politique au sein de la classe politique, notamment de la part de l’opposition, notre pays aurait probablement fait l’économie de cette situation dont le PNP et son leader n’ont été en réalité que de simples exécutants.
Avant le 19 août 2017, le Togo était engagé dans un vaste chantier de réformes politiques ambitieuses. Les travaux de la commission de réflexion sur les réformes politiques, constitutionnelles et institutionnelles avaient capitalisé les conclusions de l’atelier du HCRRUN de juillet 2016 et étaient en cours d’achèvement. Ces travaux préfiguraient une refonte complète de la constitution et du système politique. A l’époque, le souci du président Faure était, non pas de se contenter des réformes qui intéressent les élites et la classe politique, mais de promouvoir une réorganisation en profondeur des institutions de l’Etat et de leur fonctionnement et de créer les conditions structurelles d’une société de confiance, de justice et de progrès partagé. Les idées, les convictions et la vision qui animent le chef de l’Etat pour notre pays n’ont pas été suffisamment comprises, et sans doute pas suffisamment expliquées. Nous n’avions pas su partager le sens et la portée des réformes politiques voulues par le président de la République. Et certains ont pu interpréter, à tort, l’initiative de création de la commission et son travail comme des manœuvres dilatoires et un manque de volonté réformatrice. Ceci ne correspond pas à la réalité. Nos concitoyens ne manqueront paw de s’apercevoir de la justesse de la vision et de la démarche politiques du chef de l’Etat.
A quoi faites vous allusion et référence ?
L’opposition togolaise a pris l’habitude de créer des problèmes et des blocages politiques et d’ériger des obstructions pour ensuite s’en prévaloir. Entretenir en permanence des crispations et un climat de contestation est devenu une sorte de réflexe chez certains acteurs politiques qui ont tendance à rejeter et à remettre en cause de manière systématique, toute initiative et démarche venant des autorités.
Tout est sujet à procès d’intention et à polémique, même les actions les plus nobles. Le dialogue qui vient de clore en offre, une fois de plus, la parfaite illustration.
Les orientations et les axes des réformes politiques prônées par le chef de l’Etat à travers la commission de réflexion et auxquelles les partis politiques actuellement membres de la coalition de l’opposition avaient refusé ostensiblement de collaborer et de s’associer n’ont rien en commun et sont sans aucune commune mesure avec ce à quoi nous venons d’aboutir en raison des postures et des exigences irréalistes de la coalition des 14 partis. Même les résultats obtenus en 2014 grâce à la médiation de Monseigneur Nicodème Barrigah étaient de loin plus consistants.
Et si la coalition avait souscrit aux approches et démarches préconisées par le gouvernement en acceptant de privilégier des discussions et échanges directs et des compromis entre les acteurs togolais, avec l’appui et l’accompagnement des bonnes volontés extérieures, il est possible que des solutions plus ambitieuses auraient été trouvées et depuis bien longtemps. Au contraire, la coalition et ses leaders n’ont cessé de disqualifier et de rejeter toutes les initiatives du gouvernement togolais, préférant placer le dialogue et les pourparlers sous la tutelle exclusive des facilitations extérieures. La même scène s’était produite en 2006, parce que certains ne voulaient pas voir le leader du CAR être l’artisan d’un dialogue réussi.
L’histoire se reproduit, sans que nous n’en tirions jamais des enseignements. Le radicalisme et le jusqu’au-boutisme d’une frange de la classe politique, ses inconstances et incohérences et ses attitudes illogiques continuent de constituer des freins et hypothèques pour la rénovation et la modernisation de la vie politique, et pour instaurer une autre façon d’aborder et de régler les situations politiques dans notre pays.
Donc à votre avis, ce sont là les véritables causes des événements du 19 août 2017 ?
Je dis simplement qu’il y a eu beaucoup plus de malentendus et d’incompréhensions au sein de la société togolaise et notamment au sein de la classe politique que de sérieuses raisons qui pourraient justifier les violences politiques aveugles et insensées orchestrées par le PNP. Cet environnement n’exonère en rien la responsabilité de ceux qui ont conspiré en espérant pouvoir assouvir leurs ambitions et leurs intérêts en cherchant à reproduire dans notre pays les schémas du Burkina-Faso, de la Tunisie ou de l’Egypte. Pourtant, les résultats des mouvements insurrectionnels ou des révolutions et changements brutaux de régimes dans les pays précités sont loin d’être reluisants et enviables si l’on en juge par les stagnations ou même les reculs et régressions qui se traduisent par une volatilité et une vulnérabilité inquiétante en matière de sécurité et de stabilité et parfois sur le terrain de la démocratie, des libertés et du développement.
Prenons garde au mimétisme servile. Le débat politique légitime et le souci d’améliorer le fonctionnement de notre démocratie ne doivent pas conduire à compromettre ou exposer la sécurité nationale. Les événements déclenchés le 19 août 2017 n’ont pas été spontanés, mais réfléchis, planifiés, préparés et orchestrés par des gens qui n’ont pas de réelles convictions démocratiques. Leur unique objectif consistait à prendre le pouvoir par des raccourcis anti-démocratiques. Ils ont échoué et ils devraient avoir la lucidité et l’humilité de l’admettre et d’éviter la fuite en avant.
Bien au contraire, M. Atchadam estime que c’est une victoire d’étape et que la lutte doit se poursuivre.
Il a le droit d’avoir son appréciation des choses et d’exprimer son opinion, mais le sort d’un pays ne se détermine pas à l’aune des incantations et des slogans récités çà et là.
Quant à son appel à poursuivre la lutte de la même manière que par le passé, c’est une fuite en avant désespérée et sans issue. Il le sait et il sait ce qu’il en sera. Si vous tentez de provoquer un incendie dans une maison commune et après avoir échoué, vous vous mettez à l’abri pour demander aux autres occupants de continuer à essayer d’allumer le feu, cela devient une sorte de pathologie qui frise l’illumination.
Si je comprends bien, l’intéressé se soucie plus de sa sécurité et de sa vie mais voudrait exposer celles des autres Togolais qui subissent déjà très durement les effets désastreux de la situation qu’il a provoquée pour ensuite se mettre à l’abri ? Il y aurait donc ceux qui doivent se sacrifier ou être sacrifiés pour que lui, il puisse revenir triomphalement en sauveur et en héros ?
Nous n’allons pas céder à ce genre de provocations. Le leader du PNP est un citoyen et un acteur politique. S’il veut mener un combat politique dans un cadre démocratique et républicain, dans le respect des lois de notre pays, il a toute sa place et il n’a aucune inquiétude et aucune crainte à nourrir.
Mais à l’avenir, tout acte qui contrevient aux lois et règlements de notre pays, quels que soient le statut et la qualité des auteurs, trouvera une réponse prompte et adaptée.
Les événements dont nous sommes en train de tourner la page ont brisé la dynamique de croissance et freiné l’élan de développement de notre pays. Certains observateurs évoquent de véritables actes de sabotage économique. Les conséquences néfastes des violences politiques et du climat de contestation sont encore prégnantes. Toute la population en subit les effets dévastateurs. Nous n’allons donc laisser personne tenter de plonger le pays dans le désastre et l’abîme par une mise en cause ou la menace à l’économie et à la sécurité nationales.
Certains comportements et agissements seront traités différemment à l’avenir. La volonté d’apaisement et de décrispation n’a pas lieu d’être face aux agissements malveillants et attentatoires aux intérêts majeurs du pays. Nous devons résolument tourner la page des discordes et des divisions et sortir de la logique d’affrontement pour fédérer les forces et les talents des Togolais afin de relever les défis du développement, dans un esprit de fraternité et de responsabilité. Car, si nous observons attentivement ce qui se passe tout près de nous, avec des restrictions sérieuses des libertés syndicales et politiques, des persécutions judiciaires et des harcèlements fiscaux contre les adversaires politiques, nous constaterons qu’il n’y a pas de raison de continuer à jeter injustement le discrédit sur notre pays.
Rien n’est parfait mais ensemble, nous pouvons œuvrer au renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, améliorer et perfectionner la gouvernance de la chose publique.
Dans une déclaration rendue publique le 19 août dernier, M. Atchadam estime que c’est plutôt la partie gouvernementale qui cherche à causer des troubles dans le pays en incitant des personnes tapies dans l’ombre à brûler des mosquées que fréquentent des fidèles présentés comme des militants de son parti. Cette analyse est-elles juste ?
Le gouvernement ne cédera pas aux propos provocateurs du leader du PNP et de toute autre personnalité allant dans le sens de l’instrumentalisation et de la politisation de ces faits et actes gravissimes et abominables posés dans des moquées. Ces faits et actes sont suffisamment graves, méprisables et condamnables pour que ça fasse en plus l’objet d’une instrumentalisation politique.
L’Etat mettra tout en œuvre pour démasquer et identifier tous ceux qui sont à l’origine de ce genre d’actes afin de les traduire devant la justice. Notre rôle en tant qu’acteur politique, c’est d’appeler tous nos concitoyens à la vigilance, à l’ouverture d’esprit et à la tolérance partout dans les quartiers, les villages et localités de notre pays.
Le Togo n’a jamais été un pays caractérisé par l’extrémisme, par l’intolérance et le fondamentalisme. Evitons de l’y précipiter par des actes ou des propos irresponsables. Depuis le 19 août 2017, il s’est développé un certain nombre de dérives qui sont de nature à fragiliser la cohésion sociale et à mettre en péril les principes démocratiques et républicains, y compris la laïcité dans notre pays.
Mais le reproche qui est fait aujourd’hui au gouvernement, c’est qu’il prend trop de temps pour trouver les coupables. Malgré la promesse du ministre de la Sécurité, on ne trouve toujours pas les auteurs. Certaines personnes trouvent cette situation suspecte.
Nos frères et sœurs de confession musulmane ont droit à la même sécurité et à la même protection que ceux des autres confessions. Nous ne pouvons cautionner les actes survenus dans des mosquées. Qu’il s’agisse d’une mosquée, d’une église ou d’un temple, ce sont des actes suffisamment graves et nous devons éviter les insinuations dangereuses. Chaque jour, il y a des infractions et des crimes qui peuvent se produire et dont il est difficile d’établir les circonstances et de rechercher les auteurs et responsables. Il existe actuellement un engagement et des efforts au plus haut niveau de l’Etat pour protéger et renforcer la sécurité des lieux de culte sans toutefois susciter ou alimenter un climat de psychose. Les services compétents sont activement à pieds d’œuvre et les forces de sécurité ont pris et déployés les dispositions appropriées.
Parlons du dialogue politique, M. le Ministre. Dans quelles conditions ce dialogue a-t-il été organisé et comment les discussions ont-elles évolué ?
Les Togolais ont été témoins des initiatives du chef de l’Etat et du gouvernement pour promouvoir l’apaisement, créer les conditions du dialogue et de la concertation et parvenir à une issue pacifique.
Malheureusement, ni l’esprit d’ouverture et de compromis affiché par le gouvernement et sa majorité, ni les efforts de bons offices ou de facilitation du Ghana et de la Guinée n’ont réussi à convaincre la coalition des 14 partis de l’opposition et à la déterminer à s’engager sincèrement dans une dynamique de résolution de la situation.
Au contraire, elle a en permanence cherché à entretenir et à pérenniser le climat de contestation et de violence pour s’en servir comme fonds de commerce avec l’espoir d’obtenir par le dialogue et par le truchement des facilitateurs, ce qui a été impossible par la rue, c’est-à-dire la remise en cause de l’ordre constitutionnel et des institutions démocratiques.
Les revendications relatives au retour à la Constitution de 1992 ou à certaines de ses dispositions et les exigences tendant à la mise en place d’un gouvernement de transition procèdent d’une même logique permanente de coup de force.
Ainsi, dès le départ, le gouvernement et sa majorité ont affiché une réelle volonté d’apaisement et d’ouverture et ils sont restés constants. Il aurait été préférable de privilégier une dynamique de dialogue et de compromis dont les acteurs togolais puissent avoir la maîtrise, avec un simple accompagnement des pays frères de la CEDEAO.
C’était le sens des démarches engagées en novembre 2017 à l’endroit du chef de file de l’opposition puis des signataires de l’accord politique global en vue de favoriser des consultations préalables concernant les modalités du dialogue. Chacun sait ce qu’ont été les réactions de la coalition. Nous n’avons donc pas hésité à souscrire sans réserve à la logique voulue par la coalition.
Cette dernière a dénié au gouvernement tout droit et toute légitimité pour entreprendre quoi que ce soit, en dehors des facilitateurs. Cette logique nous a menés tout droit à la CEDEAO qui s’est donc saisi du dossier togolais. Cela a abouti aux décisions ultimes prises le 31 juillet dernier sur la base du rapport des facilitateurs mandatés spécialement par l’organisation sous-régionale.
A présent, il s’agit de respecter et d’appliquer ces décisions et c’est dans ce cadre que s’inscrivent les actes et actions menés en ce moment.
Mais la coalition estime que ces décisions sont insuffisantes et imprécises, et même que les discussions ne sont pas encore épuisées. Les questions relatives à la candidature du chef de l’Etat, au gouvernement de transition et aux réformes électorales préoccupent toujours la coalition.
Le gouvernement et sa majorité n’entreront pas dans ce jeu. Nous ne sommes plus à l’étape des débats et des propositions. Tout au long des douze mois écoulés, notre pays a vécu au rythme des débats et rhétoriques, dans le cadre des discussions sous les auspices des présidents ghanéen et guinéen, à l’occasion des manifestations et des meetings, sur les médias et les réseaux sociaux.
Les exigences et positions des différentes parties prenantes concernant les réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales ont été abondamment développées, arguments à l’appui. C’est sur la base d’un rapport détaillé des facilitateurs et se fondant sur leur propre appréciation du contexte et de la situation du Togo que les chefs d’Etat ont délibéré le 31 juillet et pris des décisions.
Ces dernières s’appuient sur les instruments juridiques communautaires, notamment les règles et principes prévus par le Protocole additionnel de la CEDEAO relatif à la démocratie et à la bonne gouvernance. Ces décisions constituent une solution de synthèse et de compromis. Elles ne sont pas destinées à contenter une partie aux dépens de l’autre. Elles offrent une plateforme crédible et solide pour une issue définitive et durable à la situation socio-politique que notre pays a connue.
L’heure est donc à l’action et à l’application de la feuille de route et cela se fera dans le cadre des institutions et services compétents de notre pays avec l’appui des facilitateurs et la commission CEDEAO comme le stipule le communiqué issu du sommet du 31 juillet.
En effet, les facilitateurs et les dirigeants de la sous-région n’ont jamais cherché à se substituer aux autorités togolaises et je n’ai pas le sentiment qu’ils aient l’ambition ou l’intention d’agir en lieu et place des institutions et des autorités togolaises. La CEDEAO et ses dirigeants sont restés constants lors des sommets du 16 décembre 2017 et des 14 avril et 31 juillet 2018 en insistant sur le respect de l’ordre constitutionnel et des institutions établies. Au demeurant, malgré leur bonne volonté, les facilitateurs ont d’énormes charges et responsabilités qui ne leur permettent guère d’avoir le temps matériel pour se consacrer en priorité à la situation du Togo. Nous devons apprendre à nous faire confiance et à travailler ensemble.
Mais la coalition et de nombreux togolais continuent d’exprimer des inquiétudes concernant les décisions et la feuille de route de la CEDEAO. Que leur répondez-vous ?
L’essentiel des débats entretenus actuellement par la coalition des 14 partis procèdent de subterfuges, de manœuvres dilatoires et de stratégies de blocage. Ces débats s’inscrivent dans des tentatives vaines de nous replonger dans une situation de statu quo. Tous les débats ont déjà eu lieu. Il faut passer au respect scrupuleux des décisions communautaires et à l’application de la feuille de route. Cela n’exclut ni des contacts et échanges encore moins l’esprit d’ouverture pour une application concertée et harmonieuse de ces décisions et de cette feuille de route.
Mais ceci doit intervenir dans le respect des institutions démocratiques. Là se situe la véritable divergence avec la coalition qui considère que notre pays est placé sous tutelle.
Qu’en sera-t-il alors des préoccupations persistantes de la coalition des 14 partis ?
Il est vrai que les décisions de la CEDEAO n’épuisent pas tous les sujets et défis en matière de réformes politiques. Toutefois, ces décisions ne sont pas, loin s’en faut, des actes facultatifs ou provisoires qui nécessitent d’être finalisés à travers d’autres dialogues et discussions interminables.
Elles ont été adoptées en toute connaissance de cause, puisque les points de blocage et de désaccord et les exigences et préoccupations de la coalition des 14 étaient parfaitement connus.
Les dirigeants de la sous-région connaissaient le contexte et la situation politiques du Togo. Il n’y a donc eu ni omission ni occultation de quelles que questions que ce soit. La coalition a même eu la primeur du rapport des facilitateurs, ce qui n’a pas été le cas des autres parties prenantes.
Dans ces conditions, il serait prétentieux et discourtois pour certains acteurs politiques d’accuser les chefs d’Etat d’avoir été défaillants parce qu’on estime que leurs décisions seraient insuffisantes ou imprécises !
Bientôt, ce ne sera plus seulement les autorités togolaises qui seront récusées, dénigrées et attaquées, mais également l’institution sous-régionale et ses dirigeants qui pourtant se dévouent pour aider et accompagner notre pays.
La coalition continue à insister sur la non-candidature du chef de l’Etat en 2020 et sur le gouvernement de transition ?
Tous les aspects de la situation politique togolaise, y compris les deux sujets que vous évoquez étaient parfaitement connus des chefs d’Etat lors du sommet du 31 juillet.
Je ne vois pas quel aurait été le fondement juridique et politique conduisant la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement à consacrer la rétroactivité des modifications constitutionnelles.
Une telle prise de position constituerait une incongruité juridique et consacrerait un précédent valable non seulement pour le Togo mais également pour tous les Etats membres de la CEDEAO. Il n’existe pas de règles et principes juridiques à géométrie variable. La non-rétroactivité est un élément essentiel de prévisibilité et de sécurité juridiques et un facteur de stabilité politique et sociale.
De même, souscrire à un gouvernement de transition tel que voulu et réclamé par la coalition reviendrait à constater l’illégitimité et l’illégalité des institutions togolaises !
Les débats et blocages relevés dans le cadre du dialogue se déporteraient au niveau du gouvernement, et le fonctionnement de l’Etat s’en trouverait paralysé. Contrairement à ce que pensent la coalition et ses partisans, ces deux questions sont des non-sujets pour tous les observateurs avisés. Ce sont des exigences qui traduisent un esprit de coup de force, la volonté d’imposer la dictature de la rue et de remise en cause de l’ordre constitutionnel, en totale contradiction avec les instruments de la CEDEAO et les règles et principes de la démocratie et de l’Etat de droit.
Concernant les élections, pensez-vous M. le Ministre, que techniquement on peut tenir dans le délai proposé par la CEDEAO ?
Cette date n’est pas indicative et elle n’a pas été fixée au hasard. Elle a été préconisée en tenant compte de tous les paramètres, notamment de tous les facteurs et diligences indispensables pour la bonne organisation et la tenue d’un scrutin crédible.
Le recensement électoral constitue un paramètre déterminant. Parmi les présupposés, il faut aussi mentionner le mode de scrutin pour les législatives, car la date du scrutin n’a de sens qu’au regard du mode de scrutin actuel. Les dirigeants de la sous-région sont conscients des débats sur certaines questions et réformes électorales.
Le président ghanéen avait d’ailleurs tenté, lors des discussions du 23 février, d’amener les parties prenantes au dialogue à débattre et régler de manière primordiale la question des réformes électorales. La coalition des 14 partis de l’opposition s’y était opposée, estimant que ce sujet était secondaire par rapport à leur souci d’obtenir le retour à la Constitution de 1992 et de consacrer l’empêchement pour le chef de l’Etat de se présenter à l’élection présidentielle de 2020.
Dans les circonstances actuelles, le processus électoral ne saurait être l’otage des rivalités intestines et des calculs au sein de la coalition, et les réformes n’ont pas vocation à satisfaire les intérêts particuliers et les convenances partisanes.
Le reste du processus électoral concerne la campagne et le vote. Ceux qui parlent d’un recensement biométrique de l’ensemble de la population pour en extraire le fichier électoral croient détenir une science infuse et avoir trouvé le stratagème parfait pour retarder indéfiniment les élections.
C’est une erreur.
Donc vous nous dites les yeux dans les yeux, que les élections auront lieu le 20 décembre prochain ?
Elles auront lieu à la date indiquée.
Les chefs d’Etat avaient d’ailleurs une raison de fixer cette date puisqu’ils souhaitent que les facilitateurs et la commission de la CEDEAO leur rendent compte du déroulement et des résultats des élections lors du prochain sommet du 22 décembre 2018.
Il y a un lien entre la tenue de l’élection le 20 décembre et le sommet de la CEDEAO du 22 décembre. Conscient des contraintes attachées à ce calendrier, dès le lendemain du sommet, le gouvernement a pris contact avec la coalition et les principales forces politiques en les conviant à des concertations en vue d’examiner comment travailler ensemble et de manière inclusive pour la préparation et l’organisation des élections.
C’était le sens de l’invitation adressée par le ministère de l’Administration territoriale pour une rencontre le 07 août, sans préjuger des éventuelles préoccupations et propositions que les acteurs politiques pourraient formuler.
Cette initiative a été une fois de plus récusée par la coalition des 14. Lors de la mission du président de la commission de la CEDEAO, en août dernier, le gouvernement et sa majorité ont réaffirmé leur disponibilité et leur ouverture à examiner les préoccupations de la coalition relatives à la composition de la CENI et de ses démembrements. La coalition le sait. Je ne vais pas entrer dans des détails.
En définitive, les élections auront lieu inévitablement le 20 décembre 2018, sauf si tous les acteurs accélèrent la cadence pour les tenir avant cette date.
Donc, Monsieur le ministre, le gouvernement et sa majorité acceptent la recomposition de la CENI pour instaurer la parité en son sein ?
Aucune question n’est taboue, par nature. En 2007, 2013 et 2015, les élections ont été organisées sur la base d’une CENI qui assurait une représentation équitable des forces politiques.
Au regard de la configuration actuelle de l’Assemblée nationale et par rapport à la pratique ailleurs, la CENI actuelle est caractérisée par un déséquilibre aux dépens de la majorité parlementaire.
Cela étant, le gouvernement et sa majorité sont ouverts pour examiner les préoccupations de la coalition concernant la CENI et ses démembrements.
A mon sens, le plus important pour garantir un processus électoral crédible et équitable se situe dans les règles de fonctionnement de la CENI et de ses démembrements et dans les dispositions pratiques relatives au déroulement et à la conduite des opérations électorales.
Je suis convaincu que les experts de la CEDEAO, qui devraient être déployés et intervenir déjà dans la phase d’enrôlement des électeurs, assisteront et appuieront la CENI pour garantir des élections irréprochables et incontestables, conformes aux normes et aux standards internationaux.
Mais il y a une question qui tient à cœur à tous les Togolais. C’est de savoir quand les réformes vont être opérées et surtout si elles permettront au Président de la République de se représenter en 2020 ?
La feuille de route et les décisions de la CEDEAO doivent être appliquées et mises en œuvre de manière globale et intégrale, et non de façon sélective.
Les élections sont un processus plus complexe, contrairement aux autres points de la feuille de route.
Les réformes constitutionnelles seront effectuées et elles le seront avant les élections législatives et le prochain sommet de la CEDEAO. Les appréhensions sur ce sujet n’ont aucun fondement et aucune justification.
Tout ce qui est prévu par la feuille de route et par les décisions et qui doivent faire l’objet d’un rapport et d’un compte rendu au niveau des chefs d’Etat lors de leur prochain sommet du 22 décembre 2018 sera scrupuleusement exécuté et honoré. Le gouvernement et la majorité assumeront leur part de responsabilité en ce qui concerne les réformes constitutionnelles en prenant les dispositions afin qu’un texte soit soumis et examiné par l’Assemblée nationale.
La voie parlementaire a le mérite de créer les conditions d’un débat démocratique au sein de la représentation nationale et même de consacrer davantage l’esprit et le climat de consensus au sein de la classe politique.
Elle permettrait également des économies en termes de ressources financières et favoriserait une mise en œuvre plus rapide des réformes. Le référendum demeure un ultime recours pour opérer les réformes et éviter une situation de statu quo.
Toutes les mesures et tous les efforts qui relèvent du gouvernement et de sa majorité seront mis en œuvre, dans un esprit d’ouverture et de responsabilité. Outre la poursuite des efforts de consolidation du climat de décrispation, la question du vote des Togolais résidant à l’étranger sera également étudiée et des solutions adaptées seront arrêtées.
Enfin, Monsieur le ministre, que dites vous des sérieuses menaces qui pèsent sur le processus électoral ? Le CAR, dans un récent communiqué, a fait état des effets pervers de la loi relative au statut de l’opposition en insistant notamment sur le positionnement de l’UFC au niveau de la CENI, et des leaders de la coalition font peser des menaces de reprise des manifestations et d’appel à la rue.
Ce n’est pas la première fois que la coalition des 14 partis de l’opposition et ses leaders usent de menaces et d’intimidations.
Pendant de longs mois, ils ont organisé et entretenu des violences, des tensions et des contestations à travers le pays. La situation aurait pu dégénérer à différents moments, n’eût été la pondération de la grande majorité des citoyens, notamment des militants du parti majoritaire et de leurs dirigeants.
Cette retenue et ce sens de la responsabilité ont pu être perçus pour de la faiblesse. Si les circonstances l’exigent, chacun se rendra compte du contraire. Nous devons aussi nous féliciter du professionnalisme et du sang-froid exceptionnel des forces de sécurité face aux multiples provocations et parfois les attaques et agressions dont elles ont été l’objet.
Depuis lors, des enseignements ont été tirés, et rien ne sera plus jamais pareil. Nous savons l’impact des violences et des exactions que le pays vient de connaître et chacun peut mesurer le préjudice sur le plan économique et social. Certaines situations ne se reproduiront plus.
Quant à la question du statut de l’opposition, j’ai cru comprendre que le CAR et ses dirigeants ont toujours été hostiles au leadership de celui qui incarne actuellement la position de chef de file de cette opposition.
C’est donc un débat interne à l’opposition. Tout le monde se souvient des déclarations des différents responsables de la coalition suite à la prise de position de l’UFC en octobre 2017 prenant ses distances vis-à-vis de l’action conduite par la majorité. L’ouverture est un principe fondamental pour le président Faure et son parti. L’attelage gouvernemental avec l’UFC est le fruit d’un accord politique. Le leader du CAR a été Premier ministre au lendemain de l’Accord Politique Global de 2006, et je ne crois pas me souvenir qu’il avait alors rejoint la majorité de ce seul fait. Et s’il était advenu au lendemain du récent du dialogue de mettre en place un gouvernement de transition comme exigé par la coalition, je ne suis pas certain que cela modifierait les lignes de clivages actuels au sein de l’Assemblée nationale et dans le paysage politique.
Propos recueillis par Olivier Adja
Source : www.icilome.com