Journaliste d’investigation et témoin privilégié de l’histoire récente du Togo, MAX-SAVI Carmel qui a consacré à ce pays une trilogie, revient dans cette Tribune à L’Alternative, sur la situation sociopolitique, 59 après son indépendance.
Le 27 avril, le Togo a fêté les 59 ans de son accession à la souveraineté. Malgré les gadgets et multiples édulcorants dont le régime essaie d’entourer ces festivités, une impression de gâchis et d’égarement plane, fortement, sur cette commémoration. Comme si entre l’impitoyable règne du père et le bal poussière du fils, la routine et la mise en scène lassent les Togolais, ajoutant aux tensions palpables un vent de dégoût, si ce n’est de colère.
La scène est à la fois historique et pitoyable. Historique parce que, bien que la constitution le lui impose, Faure Gnassingbé ne s’est prêté à cet exercice qu’une seule fois (2006) avant de s’y livrer, à l’occasion des 59 ans de l’indépendance du Togo. Il faut dire qu’ivre de puissance et dans les illusions de l’invulnérabilité, après avoir écrasé son opposition, le chef de l’Etat n’a qu’un faible égard pour la constitution. Pitoyable parce que moins qu’un parlement qui aurait dû sa légitimité à sa pluralité et à sa diversité, c’est devant un fan club que le président togolais s’est retrouvé, vendredi dernier, presque en récréation amicale, si ce n’est en lugubre absolution des législatives du 20 décembre qui ont prononcé le requiem d’une démocratie en gestation. Les «honorables» députés présents, qui n’ont d’honorabilité que l’indignité qui embaume leur élection sélective et unilatérale, sont soit de son parti, Rpt-Unir, soit émargent dans les custodes secrètes de la générosité du chef. Si le 13 janvier 1963 n’avait jamais eu lieu, qu’aurait été le destin du Togo ? Est-on en droit de se demander.
Un printemps vite étouffé
1960. Un 27 avril. Un mercredi. Le Togo est le premier pays de l’Afrique occidentale francophone à ouvrir la vague des indépendances. Beaucoup attendront le mois d’août. A la tête du pays, contrairement au Bénin (Maga, instituteur), à la Côte d’Ivoire (Houphouët, infirmier), au Burkina Faso (Yaméogo, commis sans diplôme), Niger (Diori, enseignant), Mali (Kéita, enseignant), Sylvanus Olympio est un intellectuel chevronné. Economiste formé à la London School of Economics, il fait des études de droit à Dijon (France) puis à Vienne (Autriche). Avant l’accession à l’indépendance de son pays, il avait un projet de société écrit pour la construction d’une nation prospère et modèle. Il n’y parviendra jamais. Son plan de modernisation, sa vision politique et ses légitimes obsessions économiques seront foudroyées par son assassinat, après trois ans seulement à la tête du pays. C’est, ironie du sort, le premier coup d’Etat en Afrique. Il sera mortel et sanglant. Ainsi, partit comme une vague de malédiction pour un pays que tout promettait pourtant à la prospérité. Depuis, une succession de faits et d’événements qui n’ont de cesse d’en faire, triste sort de l’histoire, un point d’ombre dans une sous-région où quelques lueurs d’espoirs surgissent ici et là. Le long règne de Gnassingbé Eyadema (1967-2005) aura été autant d’années perdues. Despotisme mal éclairé, si ce n’est fantasmé par les ego d’un piètre militaire parvenu au sommet de l’Etat. Répression des contestations, abolition des libertés fondamentales, bradage des ressources minières, installation d’une armée clanique et conduite hasardeuse de gestion publique. Que d’humiliations, de régressions, de mépris sous un régime où les tares sont presque magnifiées. Le 05 février 2005, la mort du dictateur aurait pu ouvrir la porte de la démocratie. Il n’en sera rien, son fils lui succèdera, ouvrant alors la nouvelle vague de minorité pilleuse. Comme si du père au fils, on ne remplace que les hommes (quelques uns) et on pérennise les mêmes méthodes, parfois même en les exacerbant.
Le bal poussière du fils
Le 13 août 2013, une «fanfaronneuse» cérémonie de lancement de la numérisation de la télévision nationale (Tvt) a lieu à son siège. Premier ministre, dignitaires de la République, diplomates, tous présents. Prévue pour être achevée en 2015, cette numérisation n’aura jamais lieu. De 18 milliards au départ, le coût global est passé à 35 milliards avec des avenants fantaisistes dont 95% encaissés par Adoum, Ali baba tropical tombé tout dru du Tchad et patron de Société Générale d’Afrique. Derrière ce dossier, le souffle de la corruption est fumant. Le même jour, le contrat en date de juillet 2012 a été signé par le Premier ministre, le ministre des finances et celui de la communication. Pis encore, du régime de préfinancement, le marché a reçu une mystérieuse avance de 7 milliards dont Adoum crie avoir cédé la moitié aux entonnoirs de la corruption aux fonds abyssaux autour du chef de l’Etat et dont le chef de file se trouve être Otheth Ayassor. Athlétique et énigmatique voleur devant l’Eternel, ce piètre sociologue rendu à moitié obèse par le poids des billets dérobés, passe une juteuse retraite à la tête d’une société d’hydrocarbure, Saber. Une chute plutôt honorifique pour celui qui a fait du vol une dogmatique obsession. Ces scènes, on peut les multiplier dans ce pays de 8 millions d’habitants dont plusieurs dignitaires, le Premier ministre en tête, sont cités dans les Panama Papers. Des scandales dans l’attribution des marchés d’infrastructures routières à la gestion nébuleuse de la dernière participation du pays à la Coupe d’Afrique des nations (Can), les gros acteurs de la corruption, notamment au sein du gouvernement ne sont pas inquiétés. Au pire, ils quittent l’exécutif pour d’autres aventures, dans le cercle immédiat du chef de l’Etat. Le dernier classement de Transparency International classe le Togo au 129e rang, le pays perdant ainsi 12 points en une année. Malgré cela, le discours sur l’état de la Nation ne fait pas de la lutte contre la corruption un axe central de l’action publique. Après 3 mandats aux résultats bien fort mitigés, Faure Gnassingbé est candidat en 2020 et déjà en précampagne. Il a profité des festivités de l’indépendance pour faire une tournée nationale inaugurant ici une usine perdue, là un port de pêche, vantant des farces économiques qui cachent autant de scandales. La filière coton est mise à genoux par la corruption et le manque de vision, le marbre de Pagala est exporté en contrebande par le Ghana voisin et longtemps principale mine d’exportation, le phosphate togolais vit ses pires heures. Un plan de relance de 200 milliards en 2011 ayant échoué, la reprise par l’israélien Elenilto et le chinois Wengfu dans un consortium conjoint n’y change rien. A peine la promesse de 5 millions de tonnes de production a atteint les 35%. Comme si, au-delà du temps perdu que constitue chaque jour de plus de Faure Gnassingbé à la tête du pays, c’est un bradage secret des ressources qui se fait, incognito.
Le PND, dernière ténébreuse cerise
Cerise sur le gâteau, le Plan national de développement, Pnd. Trouvaille récente des derniers charognards qui, autour du chef, orchestrent l’ultime bal poussière de la corruption XXL. Sinon, comment comprendre que la première visite, autour d’un tel plan soit le camouflet de Dubaï ? Une délégation pléthorique d’une demi-douzaine de ministres, une trentaine de collaborateurs et conseillers pour un séjour à Abu Dhabi au lendemain du lancement début mars du PND. Résultats, 15 millions d’euros de promesses pour un voyage dont le coût en aurait absorbé 10%. Le Forum de Hanghzou en Chine en septembre 2018 reste à l’étape des promesses dont aucune n’est encore honorée. En attendant, les investisseurs occidentaux privés qui se sont mobilisés autour de plans analogues au Burkina Faso, au Bénin et en Côte d’Ivoire hésitent.
Et alors qu’économiquement secoué, le pays doit contribuer à hauteur de 35%, le PND aura du mal à aboutir d’autant que, finançant sur fonds propres ses élections, le Togo doit faire face à des locales et à une présidentielle d’ici 2020. La situation économique du pays est alarmante. Une source d’inquiétude, le taux d’endettement. Le Togo a explosé, dans ce domaine, le plafond de 70% autorisé dans l’espace de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), dépassant les 83% contre une moyenne de 60% dans l’espace économique. Pour comparaison, avec 43% de taux d’endettement, la Côte d’Ivoire a pu boucler les 30.000 milliards de son Pnd (2016-2020) contre 83% pour le Togo dont le plan ne vaut que 4622 milliards.
Il ne s’agit là, au final, que d’une simple campagne déguisée avec la distribution annoncée, comble du ridicule, de 5000 CFA mensuels à 61.000 foyers. Insensible aux cris de son peuple, incapable de sortir le pays de la misère, obstiné par les méandres jouissifs du pouvoir, Faure Gnassingbé devrait continuer, entre mises en scène et égarements, à perdre du temps. Comme si les 59 ans de perdus ne suffisent pas.
MAX-SAVI Carmel
Source : www.icilome.com