Immigration : Des togolais rapatriés de la Libye font de poignants témoignages

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Le 24 janvier 2018, une centaine de togolais rapatriés de la Libye ont atterri à l’aéroport Gnassingbé Eyadéma de Lomé. Partis de la terre natale en quête du mieux être , ils seront très vite désillusionnés par les conditions pénibles qu’ils ont subies tout au long de leur aventure. Quelques uns ont accepté de se confier au journal  Focus info. Dans la parution N° 206 du media togolais, certains migrants ont partagé leur expérience et levé le voile  sur les sombres méandres de ce voyage écourté.

La traversée aura duré six mois, six mois qui n’ont pas été tendres selon Mensa A. l’un des migrants rencontrés par Focus Info.«  Pour la plupart, le voyage commence au Niger. Arrivés dans ce pays, les migrants sont cachés dans une forêt, le temps que le convoi ne soit prêt. Ils en profitent pour faire la provision, constituée essentiellement du gari, un bidon de 5l d’eau et de l’essence pour la voiture. Ce n’est qu’après que le convoi peut s’ébranler, composé de 4 à 6 voitures avec à leur bord chacun, 30 personnes », introduit le journal sur la base des informations recueillies.

« Notre départ a eu lieu un dimanche nuit du mois de juillet 2016 », raconte le migrant togolais qui confie avoie été braqué  seulement après environ 10 km de trajet, dans le désert par les rebelles. Ces derniers dépouillent tous les occupants de leurs biens à savoir téléphones, argent, vêtements etc. Plus grave, les femmes sont violées et vont subir diverses formes de sévices corporels.

Il arrive que les passagers tombent du camion. Les plus chanceux s’en sortaient avec des fractures. Les moins chanceux perdaient leur vie dans le désert. Ils étaient enterrés sur place avec un signe indicatif.

Sakibou, un autre migrant n’a pas vécu la même expérience mais a été témoin de situations similaires.« Dans notre voiture personne n’est morte. Dans la suivante, un homme et une femme sont décédés. Tout au long du trajet, on voyait les endroits où des gens sont enterrés. En cas de fort vent, le sable était soulevé des corps », décrit-il.

Après plusieurs détours dans le désert, seul un camion sur les six au départ du convoi, avec à son bord 30 passagers, arrivera à la frontière du Tchad et de la Libye au prix de pénibles conditions.

« Nous ne mangeons que du gari (ndlr: farine de manioc)et buvons de l’eau que nous avons acheté à Niamey avant de partir. Nous faisons une réserve d’urine au cas où l’eau viendrait à manquer. Avec le couvercle du bidon dans lequel l’urine est stockée nous puisons un peu d’urine pour boire. A défaut, tu meurs. La traversée n’est pas du tout facile », renchérit Mensa.

A la frontière, après les mauvais traitements infligés par les gardes- frontières tchadiennes, les candidats à l’immigration doivent régler 20 dinars soit environ 10 000F CFA, réclamés par les Libyens pour entrer sur leur territoire. Malheureusement, dépouillés par les rebelles dans le désert, ils n’avaient plus rien.

« Ils nous ont passé à tabac, faisant de nous tout ce qu’ils voulaient, y compris en passant sur nous des fers à repasser. Tout le monde subissait ce sort, y compris les enfants. Pour y échapper, une seule condition : payer » se rappelle Mensa.

De mauvais traitements en mauvais traitements, les migrants se retrouveront plus tard dans une prison de la ville de Saba. « Alors que nous étions à la prison, un compatriote, natif de Sokodé, a payé et nous a fait libérer. Comme il a réagi rapidement nous n’avons pas été maltraités à la prison », raconte le migrant.

Mais, « Il fallait quitter si tôt cette ville hostile. C’est ainsi qu’un autre compatriote, lui aussi natif de Sokodé, nous proposa de nous faire passer de l’autre côté de la Méditerranée. Avec des messages vocaux de ceux supposés qu’il a fait traverser la mer pour l’Italie, il nous a convaincus. De toutes les façons, là où nous étions, nous ne pouvions plus reculer. C’est ainsi que malgré la peur d’être arrêtés ou même tués, nous avons travaillé d’arrache-pied à Tripoli pour rassembler l’argent de la traversée », confie Mensa.

Le coût de la traversée varie entre 300 000 F CFA à 500 000 F CFA. Après avoir payé ce montant, les migrants quittent Tripoli en direction de la mer.

« Arrivés au niveau de la mer, plusieurs centaines d’Africains pour ne pas dire des milliers y attendaient avant nous. Rien que des noirs. Ils se couchaient par terre et se réchauffaient au feu de bois. On se serait cru dans l’antiquité. L’état de la mer nous inquiétait : elle était mouvementée. Nous appréhendions notre mort. Il fallait attendre que la mer se calme pour monter une embarcation. Nous avons ainsi embarqué 10 jours  plus tard dans ce qui semblait être un gros ballon (au lieu d’un bateau) au sein duquel 150 personnes ont pris place » . Cette embarcation d’infortune n’ira pas loin : Fissures constatées au bout de quelques kilomètres seulement. Il a fallu toute l’expérience du capitaine pour ramener tous les passagers sains et saufs sur la côte.

Une deuxième tentative conduira les migrants jusqu’aux encablures de la côte italienne. Après leur appel au secours, un bateau était censé venir les chercher 20 minutes  plus tard. Mais,  c’est plutôt un autre bateau, à bord duquel se trouvaient des Arabes qui va les aborder et les reconduire manu militari sur la côte libyenne. Débarqués, ils sont conduits directement en prison. Ils vont y vivre de nouveau l’enfer. Pas un jour sans un décès. Et des troubles psychiatriques.

« C’est dans ces conditions qu’un jour, nous criâmes et agitâmes nos mains en direction d’un hélicoptère qui survolait la prison. Il est descendu et nous a perçus. Le lendemain, nous serons libérés par des soldats mais nos geôliers ont eu le temps de s’évaporer dans la nature. Cependant, nous serons de nouveau emprisonnés et conduits de prisons en prisons, dans des conditions inhumaines, marquées par des décès au quotidien » se souvient Mensa.

Puis un jour, les migrants apprirent que grâce au concours de l’OIM, plusieurs pays rapatriaient leurs ressortissants. Les prisons se vidaient.

« A un moment, il ne restait que les ressortissants du Togo et du Bénin. Nos geôliers se moquaient de nous, nous enjoignant de changer de nationalité au risque sinon de mourir ici » relate Mensa.

C’est ce que fit le compagnon de fortune de Mensa, un autre Togolais, qui a tenté de s’inscrire comme Béninois quand ce pays a dépêché sur place un diplomate.

Finalement en janvier 2018, la chance va sourire à Mensa. Il raconte :

« Quand l’ambassadeur du Togo au Maroc m’a vu, le seul Togolais encore là-bas, il a vraiment eu pitié. Habituellement, il fallait enregistrer le migrant et revenir le chercher. Mais au vu de mon état, il m’a embarqué en même temps. Car, si je restais encore quelques jours là-bas, je mourrais. Ramené à Tripoli, je fus d’abord logé à l’ambassade centrafricaine, le Togo n’ayant pas d’ambassade dans la ville, le temps de réunir d’autres Togolais dans la même situation que moi », indique t-il.

Le regroupement fait, les migrants togolais ont été rapatriés le 24 janvier. Après un séjour de moins de 24h au camp des sinistrés d’Agoè-Logopé, sans accompagnement psychologique, ni médical, les migrants revenus de la Libye ont été priés de regagner leur domicile après que l’OIM ait remis à chacun 50 euros soit environ 32 000 F CFA comme frais de déplacement.

Selon un responsable de l’organisation contacté par Focus Info, l’OIM ne donne pas directement de l’argent aux migrants mais entend financer tout projet de réinsertion socioprofessionnelle des migrants.

« Sur la centaine de migrants revenue, aucun n’a trouvé du travail. Nous subissons diverses formes de discrimination de la part de nos proches.Nous n’avons plus rien car nous avons vendu nos biens avant de nous lancer dans cette aventure. Ce sont ces conditions déplorables qui font que certains ne veulent plus revenir malgré tout ce qu’ils endurent là-bas. Ils se sont endettés, pour eux c’est un chemin de non-retour », a dénoncé Mensa auprès du journal.

Rappelons que c’est le reportage d’une journaliste de la chaîne américaine CNN diffusée le 15 novembre 2017 sur les conditions de vie des migrants africains en Libye, où ils sont notamment vendus aux enchères, qui va choquer et scandaliser l’opinion internationale, provoquant une mobilisation tous azimuts pour venir à leur secours. Les tractations, menées par l’ambassade du Togo au Maroc en collaboration avec l’OIM, ont abouti au rapatriement de 174 togolais, dont 143 hommes et 31 femmes, jeunes pour la plupart, y compris 12 mineurs.Ils sont originaires pour l’essentiel de la région maritime (102), des Plateaux et de la Centrale (32), de la Kara (06) et des Savanes (02).

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