En août 1619, un navire anglais accostait sur les côtes de Virginie avec une vingtaine d’esclaves africains. Quatre cents ans plus tard, cette date a été retenue pour marquer le début de la période esclavagiste en Amérique du Nord.
C’est un simple panneau qui fait face à l’Océan Atlantique. Il a été érigé tout près de la plage dans la ville balnéaire de Hampton (Virginie), connu autrefois sous le nom de Point Comfort. « C’est ici que la première arrivée documentée d’Africains en Virginie a eu lieu en août 1619 à bord du White Lion, un navire corsaire anglais basé aux Pays-Bas ».
Il y a quatre cents ans, ce bateau jetait l’ancre dans ce qui était alors une colonie britannique. John Rolfe, le secrétaire de la colonie et propriétaire de champs de tabac, connu pour avoir épousé Pocahontas, avait à l’époque consigné que ce navire « avait apporté pas moins de vingt et quelques nègres ».
Point Comfort, Hampton, Virginia pic.twitter.com/ZvWmjGUWwN
— ReclaimingMyTime (@MonieTalks_1) February 10, 2019
Des esclaves venus d’Angola
Comme l’explique le Musée d’Histoire d’Hampton, ces captifs venaient du royaume de Ndongo, l’actuel Angola. Ils auraient été capturés dans cette région par des Portugais, puis conduits vers le port de Luanda où ils ont appareillés à bord du navire négrier São João Baptista. Ce dernier transportait environ 350 esclaves.En route vers Vera Cruz, dans l’actuel Mexique, le navire a été intercepté par le White Lion. Ce bateau corsaire anglais lui a volé une partie de sa cargaison, dont quelques dizaines d’Africains, parmi ceux qui n’étaient pas morts au cours de cette terrible traversée. Quelques jours plus tard, c’est finalement à Point Comfort que le White Lion a accosté dans l’idée de vendre « ces vingt et quelques nègres [contre de la nourriture et du matériel] ».
La date exacte de ce mois d’août 1619 n’est pas connue, mais cette période a été retenue pour marquer l’arrivée des premiers esclaves africains dans ce qui deviendra plus tard les États-Unis. L’esclavage dans les Amériques n’était pourtant pas une nouveauté. « Avant la traite négrière, des indigènes étaient déjà captifs dans les colonies espagnoles et portugaises. Des esclaves africains avaient aussi déjà été transportés vers ces colonies pour les renforcer », explique Michael LeonThomas, assistant professeur de philosophie à l’université de Susquehanna (Pennsylvanie) et coordinateur des études africaines.
Les conquistadors espagnols avaient ainsi importé des esclaves africains dès 1502 en Hispaniola [île des Caraïbes, anciennement Saint-Domingue, qui réunit Haïti et la République dominicaine aujourd’hui]. Plus au nord, sur le territoire actuel des États-Unis, des captifs faisaient aussi partie d’une expédition espagnole en 1526 dans ce qui deviendra la Caroline du Sud.
Changer la vision de l’histoire de l’esclavage
Véritable début ou non de l’esclavagisme en Amérique du Nord, pour Michael Leon Thomas, l’essentiel est ailleurs. « Cette date nous aide à établir comment l’histoire de l’esclavage est reconnue aux États-Unis », estime-t-il. « Quand nous pensons à cette période, nous avons l’image de gens misérables, parqués dans des bateaux, qui étaient déshumanisés et sans culture. Mais ces gens qui ont été transportés depuis l’Afrique et les Caraïbes avaient des vies avant de travailler comme esclave dans les plantations. Ils ont aussi apporté leur savoir-faire et leur connaissance qui en ont fait des fermiers de valeurs », insiste Michael Leon Thomas.
Ce professeur lui-même issu de la communauté afro-africaine, ne se souvient pas d’avoir entendu beaucoup parler de 1619 au cours de son enfance ou de sa scolarité. « Nous commémorions surtout Juneteenth [le jour de la Liberté] qui marque le 19 juin 1865, et l’annonce de l’abolition de l’esclavage au Texas », note-t-il. Michael Leon Thomas espère que cet anniversaire va être l’occasion de mieux faire connaître cet épisode significatif de l’histoire américaine. « Il n’est pas seulement important de se rappeler de ces événements, mais il est surtout essentiel de faire attention à la manière dont nous les commémorons, car ils nous disent des choses importantes sur notre nation et notre peuple ».
Tout au long de la fin du mois d’août, de nombreux événements sont ainsi prévus en Virginie pour marquer cette date : des cérémonies, des colloques, des concerts, un lâcher de papillons et même un appel à sonner les cloches à travers tous les États-Unis. Le 30 juillet dernier, le président Donald Trump s’est aussi rendu à Jamestown, pour célébrer les 400 ans de la première assemblée en Virginie, le plus ancien organe législatif du pays. À cette occasion, le locataire de la Maison blanche a fait référence à l’arrivée des premiers esclaves à Point Comfort, « le début d’une traite barbare de vies humaines ».
Le président n’a pas prévu de revenir dans les prochains jours pour les commémorations. Mais pour beaucoup, sa venue n’est pas souhaitée. « Il n’est pas le bienvenue en raison de ce que nous allons commémorer ici : c’est-à-dire le début de l’esclavage. Il est pour la suprématie blanche, pour le nationalisme. Il est pour tout ce contre quoi nous luttons », a résumé auprès du Guardian Gaylene Kanoyton, le président de la branche d’Hampton de l’association nationale pour la promotion des gens de couleur (NAACP).
« Puiser de l’énergie dans le passé »
Il y a deux ans, dans ce même État de Virginie, à quelques centaines de kilomètres de Hampton, la manifestation de membres de l’extrême droite américaine à Charlottesville, avait marqué les esprits. Une attaque à la voiture bélier, conduite par un suprématiste blanc, avait provoqué la mort d’une contre-manifestante. Donald Trump avait alors déclenché une vague d’indignation en affirmant que la responsabilité des violences devait être recherchée « des deux côtés ».
Pour Michael Leon Thomas, cette montée des tensions communautaires renforcent aujourd’hui l’attrait pour cette période de l’histoire. « Je connais de nombreux Afro-Américains qui retournent cette année en Afrique pour commémorer cette date et cultiver leur lien avec ce continent. Je ne peux pas dire si ce phénomène est en pleine expansion, mais je pense que oui, étant donné l’état actuel des choses aux États-Unis », résume-t-il. « Quand les signes visibles de racisme et de violences augmentent, les gens puisent de l’énergie dans le passé pour s’élever et se battre ».
Source : www.cameroonweb.com