Grand reportage : La rue, l’autre refuge des togolais

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Grand reportage : La rue, l’autre refuge des togolais

Dans la plupart des pays de par le monde, on retrouve des personnes qui vivent dans la rue. Elles sont sans logis et errent dans l’espace public. La plupart d’entre elles dorment souvent à la belle étoile. Le Togo ne fait pas l’exception. On les retrouve beaucoup plus à Lomé. Seulement, le phénomène prend de l’ampleur et devient inquiétant. Il y a quelques années, il était en effet rarissime de voir des personnes vivre dans les rues de Lomé, même celles qui souffrent de maladies psychosomatiques.

Elles sont des milliers, enfants, jeunes ou encore adultes de tout genre à résider dans des endroits peu recommandables. Chacun a son histoire. Mais, toutes ces personnes restent toutes à la merci des caprices de la nature et pataugent dans un quotidien fait de misère. Ce phénomène dresse également le lit à la délinquance juvénile qui prend une proportion importante dans la société. Le cas des enfants de la rue est encore plus préoccupant. Qu’est-ce qui pousse les uns et les autres à se retrouver dans la rue ? Comment se déroule la vie dans ce monde « fourre-tout » ? Certaines personnes parviennent-elles à se réinsérer socialement après un passage dans la rue ? Pour trouver des éléments de réponses à ces questions, nous avons fait le tour des rues Lomé (jour et nuit) pour constater les réalités de la rue.

Un phénomène galopant

Aujourd’hui hormis les détraqués mentaux, ils sont des milliers à squatter les trottoirs avec des profils différents. A Lomé, ces personnes se retrouvent généralement au niveau du boulevard circulaire, à la frontière Togo-Ghana, dans la zone portuaire etc. Plusieurs causes sont à l’origine de cette situation. Elles diffèrent naturellement d’une personne à l’autre.

Généralement, c’est le manque de moyens qui pousse certains Togolais dans la rue. Il y a des familles tout entières qui se retrouvent dans la rue, faute de moyens. Des fois, des propriétaires mettent dehors certains locataires incapables de régler leurs loyers. Naturellement sans soutien, ils finissent dans la rue. La dislocation de certains couples fait que dans bien de cas, les femmes et les enfants n’ayant nulle part où poser les valises, se trouvent livrer à eux-mêmes dans la rue. Lors de ce reportage, nous sommes tombés sur une femme et ses enfants sur le boulevard circulaire, en face du night club Byblos. Tard dans la nuit vers 22h, elle gardait ses enfants couchés à même le sol sur le terre-plein central. Visiblement fatiguée, visage fermé, elle n’a pas voulu révéler les raisons de leur infortune. « Sachez juste que la vie nous réserve plein de surprises », lance-t-elle dans un désarroi total. Toutes les tentatives pour savoir davantage sur l’histoire de cette famille sont restées infructueuses. Les riverains approchés dans la zone pour en savoir plus n’ont pas donné davantage de précisions, seulement que cela fait un bon moment que la femme et ses enfants viennent passer les nuits là.

Certaines personnes décident délibérément de venir en aventure à Lomé. Des rêves plein la tête, ils quittent leurs villages pour la capitale, qu’ils considéraient à tort ou à raison comme un eldorado. Mais souvent, l’aventure tourne au cauchemar. Sans travail et sans-abris, ils sont aujourd’hui à la dérive sur les trottoirs de la capitale. On les retrouve majoritairement aux encablures du grand marché de Lomé, tout au long de la plage et sur d’autres artères de Lomé. Ils constituent en partie le lot de « badauds ».

Certains conducteurs de taxi-moto sont également des sans-abris à Lomé. Ils arrivent des préfectures environnantes de Lomé pour trouver le maximum de clients et faire de bénéfices conséquents. Malheureusement certains parmi eux ne disposent pas d’endroits décents où passer la nuit. Ainsi, une fois la nuit tombée, ils s’attroupent autour des carrefours, des stations d’essence aux bords des routes et passent y restent jusqu’au petit matin. Leurs motos leur servent de lit. Il n’y a pas de coins à Lomé où on ne les retrouve pas. Nous avons pu négocier un entretien avec l’un d’entre eux, qui a bien voulu nous narrer son histoire. « Moi je viens de Kpalimé et je rentre rarement. N’ayant personne chez qui dormir à Lomé, je n’ai pas d’autre choix que de rester à la belle étoile et d’y passer la nuit. Les matins, je vais me doucher dans les toilettes publiques et la vie continue. Ce n’est pas une vie enviable mais, je fais avec », raconte-t-il, avant d’ironiser que la rue n’appartient pas uniquement aux fous.

Certaines filles qui viennent elles-aussi en aventure finissent souvent par se retrouver sans toits et … dans la rue. Elles y font pratiquement tout. La lessive, la vaisselle, les toilettes intimes et autres. Certaines d’entre elles font des enfants également avec des hommes ayant le même statut qu’elles. Pour s’en sortir, certaines deviennent des portefaix alors que d’autres font le choix de la prostitution. Elles vivent en majorité au niveau d’Agbadahonou, côté Nord du grand marché de Lomé. La nuit tombée, elles dressent des tentes avec leur pagne.

Le cas tragique des enfants

Les enfants font partie des couches vulnérables de la société. Fort de cela, ils devront bénéficier d’une attention particulière, que ce soit de leurs parents ou de la société tout entière. Malheureusement, ce n’est pas souvent le cas pour certains. Ces derniers finissent par se retrouver dans la rue. Ils sont estimés de nos jours à plus de 6000. Dans les années 1980, ils étaient estimés seulement à quelques dizaines. Cette croissance exponentielle est due à plusieurs causes. « La première cause décelée est la séparation ou le divorce des parents. Cette situation fait que l’enfant se retrouve à se balader entre les deux parents sans aucune prise en charge sérieuse, surtout que si l’un ou les deux parents ont chacun refondé un foyer. Dans ce cas, les enfants n’ont plus cette affection parentale, pire ils subissent des actes de violences corporelles. Résultat, l’enfant fuit le domicile pour se refugier dans la rue », énumère Gabriel Kossi Amouzou, président de l’ONG ANGE.

Ces adolescents vivant dans la rue mènent une vie de clochards. Ils sont un peu partout à Lomé. Dans la journée, ils prennent d’assaut les feux tricolores, soit pour quémander soit pour faire de petits jobs histoire de trouver de quoi subsister. Leur accoutrement laisse à désirer. La rue n’étant pas un cadre idéal pour avoir une éducation de qualité, ces enfants ne résistent pas à la drogue et à l’alcool qui circulent facilement dans ces milieux. Petits qu’ils soient, ils maîtrisent à la perfection les méthodes de « gangster » et opèrent dans leur zone de prédilection. Ceux qui n’ont pas été totalement métamorphosés par la vie de rue, deviennent des archéologues en herbe. Ils passent la majeure partie de leur temps sur les dépotoirs à la recherche de la ferraille qu’ils iront vendre à des prix dérisoires. Le quartier Zongo derrière le siège de la BTCI et le Boulevard circulaire restent leur QG.

Agé de 10 ans à peine, Koffi vit dans la rue. Il y est depuis 2 ans déjà après avoir faussé compagnie à sa tutrice qui le « maltraitait allègrement ». Il a fini par s’adapter à la vie de la rue. « Ici, personne ne te triche en te frappant à longueur de journée. Si quelqu’un veut te battre, tu te défends aussi», raconte-t-il. Quant à son quotidien, il assure être régulièrement au grand marché de Lomé pour faire du pousse-pousse, ce qui lui permet de ramener souvent 200 F CFA, ou 300F CFA au plus. « Avec ça, je fais ma vie tranquille », ajoute-t-il.

Ces adolescents ont une hygiène de vie déplorable. La mer reste leur toilette par excellence. Ils s’y geignent et y laissent les détritus. Ils ne bénéficient d’aucune couverture sociale et sont laissés à leur triste sort. « Dieu merci on tombe rarement malade, mais quand ça arrive, on se débrouille avec des médicaments achetés chez les bonnes dames », affirme un jeunot.

Agir ensemble !

Si les sans-abris se multiplient dans la rue, c’est la preuve d’un échec de la politique sociale des gouvernants. Mais, ils ne sont pas les seuls responsables. Les parents qui n’arrivent pas à offrir à leurs enfants un mieux-être sont aussi à blâmer. Comme le dit-on souvent, les enfants n’ont pas demandé à venir dans ce monde, autant prendre soin d’eux pour qu’ils ne finissent pas dans la rue.

Pour ceux qui y sont déjà, il y a des ONG qui essayent de faire un travail de terrain pour leur venir en aide. Mais, ce travail reste peu efficace malgré leur dévouement. Grace à elles, certaines personnes dont des centaines d’enfants ont pu quitter la rue. Quelques uns rencontrés dans un centre d’accueil se rappellent toujours leur passage dans la rue et profitent pour lancer un message à la société en général.

« Mes parents n’avaient pas les moyens et il n’y avait aucun contrôle à la maison. Je voulais bien aussi avoir les mêmes choses qu’avaient mes amis. Un jour, j’ai préféré prendre la tangente et c’est comme cela que je me suis retrouvé dans la rue. La vie est difficile là. Il est arrivé que mon papa me retrouve dans la rue mais je n’ai jamais voulu retourner à la vie normale. Avec le temps certaines personnes qui venaient échanger avec nous, m’ont persuadé de me réinsérer socialement. C’est ainsi que j’ai intégré ce centre, qui prend soins de moi. J’ai repris l’école. La rue, je dirai simplement que ce n’est pas un bon endroit pour les gens encore moins pour les enfants », conseille le jeune Junior.

Shalom Ametokpo

www.icilome.com