Grand Reportage : Face à la répression, la traque et le braquage : Sokodé s’apprête pour les 6 et 7 septembre

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Grand Reportage : Face à la répression, la traque et le braquage : Sokodé s’apprête pour les 6 et 7 septembre

Le Togo traverse depuis quelques semaines une situation sociopolitique assez agitée. Face au refus du pouvoir en place de faire les réformes depuis 11 ans, une nouvelle dynamique s’est emparée de la population qui entend en finir une fois pour de bon avec l’éternel dilatoire affiché par les autorités togolaises. L’une des manifestations de cette dynamique est la marche organisée par le Parti National Panafricain de Me Tikpi Atchadam dans plusieurs villes du Togo et dans la diaspora le 19 août 2017. Point n’est besoin de rappeler la panique qui s’est emparée du pouvoir de Lomé depuis ce jour qui a vu une démonstration de force du peuple assoiffé de liberté et de justice. Mais à l’instar de tout régime aux abois, la traque, la répression et la persécution des militants dans les bastions de la contestation est devenue la seule réponse des autorités aux revendications du peuple. C’est le cas de Sokodé, ville située à 338 kilomètres au nord de Lomé et qui vit au ralenti depuis le 19 août 2017…

Reportage.

« Bienvenue à Sokodé », c’est ce qu’on peut lire au-dessus d’un géant panneau publicitaire implanté au bord de la Nationale 1, à environ 3 km du centre-ville du chef-lieu de la Région Centrale. A quelques centaines de mètres de là, un détachement de militaires para-commando (bérets rouges) surveille une barricade qui fait office de point de contrôle. Il en est de même sur les trois autres voies principales qui débouchent sur la ville : à l’entrée nord en venant de Kara, le point de contrôle des bérets rouges est installé à la hauteur de l’Ecole Primaire de Kidèwoudè située à une centaine de mètres du centre de la Communauté Electrique du Bénin (CEB) de Sokodé ; sur la route de Bassar, c’est dans le village de Kpario. Le même dispositif s’observe sur la route de Tchamba, dans la localité d’Atchinbodow. Au centre-ville, des amas de ferrailles apparemment issus de l’incendie de pneus jonchent le sol, le long de la cloture de l’Union Togolaise de Banque, (UTB). Le carrosse calciné d’une voiture occupe elle aussi l’entrée du Commissariat du quartier Barrière. Des voitures remplies d’hommes en tenue circulent sur les artères de la ville tandis que cinq Jeep sont en stationnement à la Brigade de la Gendarmerie territoriale de Kedia, non loin de la poste de Kpangalam. Des soldats en uniformes, portant des bérets de différentes couleurs, visiblement désœuvrés se pavanent sous les tecks en bordure de la grande route.

Selon des témoignages recueillis sur place, la manifestation du 19 août devrait être des plus pacifiques si la Police et la Gendarmerie n’ont pas essayé à un moment de s’y interposer, prétextant une histoire d’itinéraire à respecter. Commencée au niveau du centre CIB du quartier Komah, elle a été interrompue par les forces de l’ordre au niveau de l’Ets Bayi et Frères, non loin du rond-point de la Poste non loin du Grand Marché. Face à la barrière policière, les manifestants ont jugé bon de s’asseoir à même le sol, sur le goudron. C’est à cet instant que les tirs des gaz lacrymogènes ont commencé. La débandade partielle qui s’en est suivie a occasionné des blessés parmi les manifestants mais face à leur résistance, le stock de gaz lacrymogène des forces de l’ordre s’est vite épuisé, les obligeant à replier.

C’est à cet instant que les militaires para-commando bérets rouges qui étaient dans les environs sont intervenus pour prendre le relais des gendarmes et policiers partis. Un chef spirituel nommé Malouro aurait hébergé 23 personnes qui fuyaient chez lui avant de les livrer aux soldats par la suite. Les scènes de violence auraient donc commencé avec l’arrivée des bérets rouges qui selon des témoins s’en sont pris non seulement aux manifestants mais aussi aux fidèles qui faisaient la prière de 13 heures dans la mosquée de Bakoudè près de l’agence de Nagode Transfert. Ce fut donc le déclenchement des affrontements entre la population et les bérets rouges. Quelques minutes après le début de ces affrontements, la population apprit avec stupeur la mort par balle de deux manifestants. C’est à cet instant que la manifestation échappa totalement au contrôle des organisateurs et des forces de l’ordre. Parce qu’il y a eu mort d’homme, les jeunes de la ville ont voulu en découdre avec les soldats. Outre la voiture de police incendiée au niveau de la SGGG, les manifestants qui venaient de Kpangalam et qui avaient prévu rejoindre la masse au centre-ville ont attaqué le poste de police de Barrière qu’ils ont saccagé et incendié.

Selon des victimes interrogées sur place, les journées du dimanche 20 et lundi 21 août furent caractérisée par des scènes d’une violence particulière. Le matraquage et la bastonnade ont franchi le seuil du tolérable. Soigneusement planifiés, les violences auraient été exécutées de maison en maison, sous le couvert d’une prétendue perquisition pour retrouver des armes disparues. Toutes les formes de regroupement sont systématiquement dispersées. Des vieillards et des enfants auraient été molestés dans les maisons. On signale par ailleurs le fait que les militaires emportaient les objets de valeur qu’ils trouvaient dans les chambres et maisons visitées : argent, téléphones portables et ordinateurs portatifs ont été emportés de force. Les propriétaires qui essaient de s’y opposer sont simplement tabassés.

Un fait insolite mais qui démontre par ailleurs la précarité dans laquelle les forces de l’ordre effectuaient leur mission, la panique créée par leur arrivée sur les lieux d’un mariage dans le quartier Kouloundè. Selon les habitants du quartier, les convives à ladite cérémonie auraient pris la fuite laissant derrière eux tout ce qui était prévu pour le festin. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, ces repas et boisson ont été avidement consommés par ces éléments en uniforme qui y ont apparemment trouvé un salut temporaire. C’est dans cette atmosphère de non-droit que l’imam de la grande mosquée de Sokodé, Alfa Alaza, lui-même recherché et vivant dans la clandestinité a lancé un message sur les réseaux sociaux appelant les éventuels détenteurs des armes disparues à les restituer à qui de droit.

Jeudi 24 août, une délégation composée du Colonel Ouro Bang’na, DS des FAT, Adoyi Esso, Commissaire aux Impôts de l’OTR, Inoussa Bouraima, Président de l’Union Musulmane du Togo et de plusieurs autres personnalités dont le chef-canton de Kpangalam se rendent à Kparatao dans la famille de l’une des victimes du 19 août. Selon des témoignages reçus sur place, la délégation serait allée transmettre sa compassion à la famille et apporter une aide financière. La même action sera faite en direction de la famille du second défunt dans le village de Bamabodolo, mais la précision de taille à ce niveau est le fait que les parents directs de la victime auraient refusé de recevoir l’enveloppe financière. La machine de la démobilisation s’est ainsi mise en marche au même moment que la traque et la répression connaissaient une croissance sur le terrain. Les populations citent l’implication du Colonel Agoro des Sapeurs-pompiers dans cette manœuvre. Ce même jour, une émission synchronisée sur Radio Tchaoudjo, Venus Fm, Meridien Fm et Centrale Fm et animée par Alfa Alaza (à ne pas confondre avec celui qui vit dans la clandestinité) a eu lieu.

Il s’est agi pour les initiateurs de prêcher des messages coraniques appeler à la paix et dénonçant les réclamations des manifestants. Le bilan des violences policières et militaires depuis le 19 août ans la préfecture de Tchaoudjo font état de de deux morts, des dizaines de blessés, 694 motos saisies, des centaines de personnes refugiés dans des villages lointains par crainte des représailles et des violences policières. Les quartiers Kouworo, Tchanwanda, Kpangalam, Kouloudè et Komah seraient presque vidée de leur jeunesse. Les festivités de la Tabaski constitueraient-elles un bémol pour cette situation sociale particulière ? La population se sent étrangère sur son propre territoire. Même l’intervention de la Commission Nationale des Droits de l’Homme dont le président serait natif du milieu n’a rien changé. A ce jour, la situation reste tendue surtout à l’approche des manifestations des 6 et 7 septembre. Le peuple Tem n’entend pas rester en marge de l’histoire malgré la tentative de certains de leurs cadres qui font usage de leurs positions sociales pour démobiliser les gens. Presque deux semaines après la sanglante répression du 19 août, la détermination reste intacte. A suivre

Ekpé Kossi,
Envoyé Spécial à Sokodé

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