Gerry Taama est, selon lui, demeuré l’incompris dans la sphère politique du Togo. Mais il a décidé, à l’en croire, de continuer à prêcher comme Jean-Baptiste, à qui il se compare. Voici ce qu’il a laissé sur son mur.
Comme un Jean-Baptiste
Il y a quelque chose qui m’agace finalement dans les propos des habitués des médias traditionnels et autres réseaux sociaux passionnés de politique au Togo. C’est cette accusation permanente de l’opposition comme étant le seul responsable de l’échec politique, de l’absence de l’alternance dans notre pays. Un matin, on dit que s’il n’y a pas alternance, c’est parce que tel est allé aux élections, l’autre matin, c’est parce que tel autre a boycotté, après, on met tout sur les divisions de l’opposition, le fait que les Gerry Taama, les Gogué et autres Tchassonna soient allés tous seuls…
J’aimerais faire les précisions suivantes aux Togolais.
Primo, depuis 2005, tous les cas de figure ont été essayés. En 2005, c’était la candidature unique de l’opposition derrière AKITANI. Résultat : Faure 60%, Akitani 38% (je reviendrai sur la sincérité des scrutins plus tard). 2010, chacun est allé de son côté. Faure 60%, Fabre, 33%, CAR, 3%, Agbeyomé, ancien premier ministre (moins de 1%, 18 000 voix) CDPA la seule et première femme (moins de 1%, 13000 voix) KAGBARA ( Kabyè, homme d’affaire, moins de 1%, 9000 voix), Nicolas Lawson, (économiste, grand communicateur, moins de 1%, 7000 voix). 2015, une coalition (CAP2015), et trois autres candidats, tous du nord. Faure, 58%, Fabre 35%, Gogué, 4%, Taama, 1% (22 000 voix) Tchassonna, 1% (20 000 voix). En comparant tous ces chiffres, deux éléments sautent aux yeux. La relative constance de Faure (autour de 60%,) et la constance de l’opposition, autour de 40%. La seule fois où le résultat de Faure descend en bas de 60%, c’est en 2015 avec la candidature multiple de l’opposition, ce qui donne raison à l’ADDI qui parle toujours de candidature stratégique. Le responsable, et le vrai responsable de l’échec de l’opposition, c’est cette majorité (60%) du peuple togolais. Et comme nous sommes en démocratie, on ne peut malheureusement rien faire contre cela. Pendant bientôt 15 ans, 60% du peuple togolais avait la possibilité de choisir un autre candidat autre que Faure. En 2010 comme en 2015, un large éventail de candidats (intellectuels, femmes, jeunes, opérateurs économiques, juristes, candidats du nord, candidats kabyè….) a été présenté aux Togolais, et ils ont préféré le candidat au pouvoir.
Les habituels détracteurs vont me parler de fraudes. Elles ont existé massivement en 2005. En 2010, il y a eu des éléments troublants avec la confiscation du matériel de l’UFC au Cesal, mais en 2015, où j’ai moi-même j’ai été candidat, CAP2015 avait au minimum deux représentants dans chaque bureau de vote, payé par la CENI, alors que le reste des candidats de l’opposition, ne pouvaient que déployer des délégués, à charge d’eux même (ADDI avait quelques membres dans certains bureaux de vote). Cette présence institutionnelle de l’opposition dans les bureaux de vote est pour moi la plus grande barrière contre la fraude. Si des candidats comme nous, n’avons pas pu déployer des délégués dans tous les bureaux de vote, CAP2015 par ses représentants auraient dû avoir tous les pv des bureaux de vote et des CELI, et nous produire des résultats alternatifs pour étayer les thèses de fraudes massives. J’ai demandé à la CENI les résultats bureaux de vote par bureau de vote, en vain. J’ai espéré que CAP2015 les produise, en vain aussi. En l’absence de résultats alternatifs, nous sommes obligés de prendre pour argent comptant les résultats définitifs de la cour constitutionnelle, et trouver qu’ils sont plutôt cohérents avec les précédents.
L’opposition n’a pas échoué, mais c’est le pouvoir qui réussit, à toutes les élections, à maintenir son électorat groupé, compact, qui ne bouge presque pas. Comment y parvient-il ? A travers trois stratégies bien efficaces.
La première est ce qu’on appelle dans notre pays, les cadres. Grosso modo, tous ceux qui travaillent dans le public et de plus en plus souvent, dans le privé. Ce sont les troupes de choc du système. Par mimétisme, opportunisme ou peur de représailles, ils sont des milliers à inonder les villages et villes de l’intérieur pour demander à leur parent de voter pour le candidat au pouvoir. Confortablement assis sur nos certitudes, nous éructons sur les chiffres du chômage, sur la misère à l’intérieur du pays, sur l’absence de liberté, en oubliant que ceux qui rendent cette misère supportable sont les cadres. Ceux qui envoient l’argent pour le dispensaire, pour l’écolage, qui achètent des poules pour les funérailles, ceux qui ramènent de belles voitures pour honorer la famille sont ces hordes de Togolais plutôt bien diplômés qui ne veulent pas prendre de risques, non pas parce qu’ils sont hostiles au changement, mais surtout parce que l’opposition n’offre plus (mais elle n’a pas les capacités) aucune protection de l’emploi, aucun abri contre l’arbitraire et la ségrégation à l’ascension sociale. Des milliers de Togolais ont perdu leur emploi ou ont été sanctionnés pour leur adhésion politique, dans la totale indifférence (voire impuissance mais le résultat est le même) de l’opposition.
La seconde stratégie est financière. Après mon expérience électorale, si l’on n’a pas 10 milliards de nos francs environs, il ne sert à rien de se présenter à une élection présidentielle en espérant la gagner. Beaucoup de nos militants sont indigents, souvent laissés pour compte par le système, parfois même frustrés par celui-ci. Du fait de cette indigence, l’attrait du gain est très important, la trahison à l’affût. Les électeurs eux même attendent patiemment les élections pour profiter de la prodigalité des candidats, indistinctement de leur programme. Les élections sont une occasion de manger. Et qui donc peut mettre 10 milliards sur le tapis dans ce pays ? le candidat du système. Pendant les élections, j’ai eu une altercation avec Jean-Pierre devant le président ghanéen Dramane. Notre CFO prétendait qu’on pouvait gagner une élection dans ce pays sans argent. A Lomé, peut-être. Mais à l’intérieur du pays, il a tout faux. C’est le « mangement » qui l’emporte. Malheureusement, celui dans les rangs de l’opposition qui pouvait éventuellement poser 10 milliard sur la table s’appelle Gilchrist Olympio. Il a changé de camps. La diaspora autrefois contribuait, les dames du marché autrefois contribuaient, mais la cacophonie au sein de l’UFC, l’absence de comptes rendus de la gestion des sous, et les incendies du marché ont vidé les sources. Et le système est impitoyable sur tout enrichissement qui aurait tendance à profiter à l’opposition.
La troisième stratégie l’exclusion de l’intérieur du pays à l’information politique. Lomé concentre à lui seul la plus part des émissions politiques. L’intérieur du pays est soit sous informé (seule la TVT couvre tout le pays par exemple et les radios rurales ne font pas les émissions politiques) ou mal informées (les médias officiels ont souvent une information orientée). Résultat, le reste du pays n’est pas au courant de ce qui se passe sur le plan politique. Leur seule référence, ce sont les cadres (on y revient) qui disent au moment venu pour qui voter.
Alors, que conclure ? L’alternance, c’est pour quand ? Avec les rapports de force actuels, il faudra attendre longtemps. (Encore que je n’ai pas parlé du lobby international du Togo, axé sur Israël qui marche bien). L’ensemble des acteurs actuels n’ont pas les armes pour venir à bout du système.
L’alternance pourra venir soit d’une crise qui aboutirait à une insurrection (nul ne sait ni le jour ni l’heure) ou à l’arrivée sur le théâtre de nouveaux visages. L’option la plus sérieuse est celle d’un dissident du système, qui réussirait à rallier au moins une partie des cadres, et qui disposerait d’une réserve financière importante (comme un Kaboré au Burkina Faso). Mais au Togo, un tel dissident fera long feu. Les réactions suite aux défections de Agbeyomé, de Péré, et la mise au pilori de Bodjona ne doivent pas inspirer beaucoup de monde.
En attendant l’arrivée de ce messie, nous, enfin, moi pour ce qui me concerne, je suis réduis à annoncer son avènement, a inciter les citoyens à garder les cierges allumées, à entretenir l’espoir. Comme un Jean-Baptiste.
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