Dans « 100 clubs de foot de légende », le journaliste Gauthier de Hoÿm de Marien s’intéresse à neuf équipes du continent qui ont marqué la grande histoire du ballon rond africain, dont le TP Mazembe, le Canon Sportif de Yaoundé ou le Hafia FC. Plongée dans un monde où performances footballistiques riment souvent avec propagande politique.
Des années de travail, de recherches et d’entretiens, une centaine de clubs issus de tous les continents passés au crible… Dans son livre Les 100 clubs de foot de légende – deux kilos pour plus de 280 pages, le journaliste Gauthier de Hoÿm de Marien (Canal + Afrique, So Foot) a accordé une place de choix à l’Afrique.
Il s’est intéressé à neuf de ses clubs, dont cinq d’Afrique subsaharienne. « Je me suis basé sur le palmarès sportif. Mais ils ont tous une histoire particulière, explique-t-il. Certains, par exemple, ont été des instruments de propagande pour des pouvoirs politiques. J’ai aussi découvert que leurs noms trouvaient parfois leurs origines dans des faits historiques et appartiennent de fait au patrimoine local et national. »
C’est le cas de l’Asante Kotoko de Kumasi (Ghana), dont le nom fait référence à l’emblème des résistants sous la domination anglaise : le porc-épic (kotoko en nzema). Le club est aussi devenu le moyen d’expression identitaire du peuple ashanti, dont le fief était Kumasi. « Une manière pour les fondateurs du club de ne pas oublier les vieilles luttes coloniales… », poursuit le journaliste.
Force et victoire
Le Canon sportif de Yaoundé, vainqueur de trois Ligue des champions et de dix titres nationaux, en est une autre illustration. Colonisé par l’Allemagne de 1884 à 1916, le Cameroun est ensuite placé sous la tutelle de la Société des nations et administré par l’Angleterre et la France.
En 1930, au moment des festivités de l’armistice, le haut commissaire français Théodore Marchand exige qu’un autre club de football soit créé à Yaoundé, où n’existait que l’Étoile Indigène. Lors de la réunion d’un comité local, un patriarche du quartier de Mvog Mbi propose le nom du fusil qui avait mis en échec l’armée allemande à Yaoundé en 1916, et dont le cliquetis faisait « Kpa » et la détonation « Kum ».
« On lui a dit que c’était un canon, symbole de force et de victoire. On a baptisé le club Canon, et son surnom est devenu Kpa-Kum », explique l’auteur.
Une grande popularité
S’il a fallu attendre 1970 pour le Canon, longtemps composé de joueurs beti, rayonne vraiment tant au Cameroun qu’en Afrique, il est vite devenu le club le plus populaire du pays. Thomas Nkono, ancien gardien des Lions Indomptables (112 sélections entre 1976 et 1994) et qui a évolué au Canon entre 1974 et 1982 a pu mesurer l’immense aura du club, qui s’étend bien au-delà de la capitale camerounaise.
« Ce n’est pas l’équipe de telle ou telle catégorie sociale, comme cela arrive souvent. Au stade, toutes les classes se côtoient. Et durant mon passage au Canon, je n’ai jamais eu le sentiment que des politiques tentaient de récupérer les succès de l’équipe, même si cela était positif pour l’image du pays. Les joueurs étaient privilégiés, avec de bons salaires et des avantages, raconte-t-il. Et à Yaoundé, il y a aussi le Tonnerre. La victoire de l’un faisait pleurer les supporters de l’autre ».
Depuis son dernier titre de champion du Cameroun, en 2002, le Canon est confronté à des difficultés sportives et financières, qui l’ont éloigné des sommets. Mais son prestige reste intact.
Un outil politique en Guinée
Autre cas, différent, celui du Hafia FC, en Guinée. Sa création en 1951, d’abord sous le nom de Conakry II, ne repose sur aucun fait historique mais est devenu à la fin des années 1960 un véritable instrument de propagande pour Sékou Touré, au pouvoir depuis 1958. Le président de la République de Guinée, très inspiré par le marxisme, s’intéressait de très près au football, et à sa popularité.
« Il a créé le championnat de Guinée en 1965. Les joueurs étaient des athlètes d’État. Et il a fait du Hafia son club favori », précise Gauthier de Hoÿm. « En 1966, quand l’équipe a gagné son premier titre au niveau national, elle était composée majoritairement d’étudiants. Touré nous demandait juste de faire nos études et de jouer au football. Son discours était motivant pour nous. Par contre, il n’aimait pas perdre, et tout le monde le craignait un peu », se souvient Ibrahima Sory Keita, dit Petit Sory, un des meilleurs joueurs de l’histoire du football guinéen, qui a effectué toute sa carrière au Hafia FC (1965-1981).
En 1972, quand le club remporte son premier titre continental – les suivants interviendront en 1975 et 1977 –, le leader guinéen s’en rapproche un peu plus. « On le voyait aux rassemblements de l’équipe. Il mangeait avec nous, tapait dans le ballon à l’occasion. Nous étions un peu des soldats de la révolution », raconte-t-il.
Les footballeurs du Hafia FC, qui composent également l’ossature de la sélection nationale, sont bien payés et bénéficient, ainsi que leurs familles, de multiples avantages. Mais ils n’ont pas le droit d’aller jouer à l’étranger. Et comme Sékou Touré abhorre la défaite, certains échecs peuvent conduire l’homme fort du pays à prendre des mesures drastiques.
« En 1976, après une élimination en finale de la Ligue des Champions face au MC Alger (3-0, 0-3, 1-4 aux tirs au but), nous avons eu droit à une sorte de procès public à notre retour à Conakry, durant lequel nous avons dû nous expliquer », se remémore Petit Sory. Furieux, Sékou Touré expédie même deux joueurs – le gardien Bernard Sylla et l’attaquant Mamadou Kéïta – méditer quelques jours en cellule.
« Touré utilisait le Hafia un peu comme une vitrine internationale. Notamment dans ses relations diplomatiques avec des pays communistes », affirme Gauthier de Hoÿm. Le chef de l’État, qui s’est offert en décembre 1977 un tour d’honneur avec la coupe de la Ligue des Champions dans les mains, avait même invité Fidel Castro à parader en voiture dans le stade du 28-Septembre de Conakry avant un match du Hafia, alors que le Lider Maximo était en visite officielle en Guinée.
Le club fétiche de Sékou Touré a remporté son dernier titre de champion national un an après sa disparition en 1984, se contentant ensuite de trois coupes de Guinée, en 1992, 1993 et 2002.
Élément fédérateur au Congo
Un autre dirigeant africain a su utiliser un club à des fins politiques. Fondé en 1939, le Tout Puissant (TP) Mazembe s’est d’abord appelé FC Saint-Georges, puis successivement FC Saint-Paul et FC Englebert, lorsqu’il a été sponsorisé par l’entreprise de pneumatiques belge du même nom. Finalement rebaptisé Tout Puissant Englebert, le club va, à l’arrivée au pouvoir de Joseph-Désiré Mobutu en 1965, connaître une rapide ascension.
« Il avait compris une chose : le football est un instrument capable de fondre les différents peuples qui composent une population dans une seule et unique nation, en l’occurrence le Zaïre. Soutenu, doté de moyens importants, le club a pu devenir l’un des meilleurs d’Afrique, remportant deux Ligues des Champions en 1967 et 1968 », rappelle Gauthier de Hoÿm.
En 1971, avec la « zaïrianisation », le club est rebaptisé le Tout Puissant Mazembe (« corbeau » en kiswahili). Mobutu, qui voulait que les équipes nationales brillent aussi au niveau international, avait même demandé aux joueurs congolais expatriés en Belgique de rentrer au pays pour renforcer l’AS Vita Club de Kinshasa et le TP Mazembe.
Le maréchal-président n’hésitait pas à envoyer les membres de la sécurité pour faire venir manu-militari les joueurs au Palais s’il éprouvait le besoin de les sermonner – le TP Mazembe a longtemps disputé ses matches de coupe d’Afrique à Kinshasa. « Mobutu, qui savait se montrer généreux avec les joueurs, pouvait également faire preuve d’une certaine dureté, raconte un observateur du football congolais sous couvert d’anonymat.
En RD Congo, beaucoup de gens sont convaincus que, pour faire plaisir à son ami Sékou Touré, il a fait en sorte que Mazembe déclare forfait lors de la demi-finale retour de la Ligue des Champions en 1972 [3-2 à l’aller]. » Sékou Touré voulait à tout prix remporter cette compétition, dont le trophée portait le nom de Kwame Nkrumah, le père de l’indépendance du Ghana.
Mobutu aurait demandé au ministre des Sports de l’époque, [Sampassa Milombe], présent à Conakry pour le match retour, de s’arranger pour que les Corbeaux arrivent au stade en retard et que le club soit forfait…
Depuis 1997, le club est présidé par Moïse Katumbi, qui lui a redonné son lustre d’antan – trois Ligues des Champions en 2009, 2010 et 2015 et une Coupe de la Confédération en 2016] grâce notamment à des moyens financiers conséquents. Mais aujourd’hui, la réussite des Corbeaux, un des clubs les plus populaires de RD Congo, agace au plus haut sommet de l’État, surtout depuis que Moïse Katumbi a décidé d’être candidat à l’élection présidentielle.
« Il a toujours nié utiliser le foot à des fins politiques. Mais tout le monde sait que les résultats du TP ont contribué à nourrir sa popularité », conclut notre observateur.
La coupe est pleine… d’incertitudes
À partir du 14 janvier, la Coupe d’Afrique des nations fêtera son soixantième anniversaire au Gabon. Seize équipes auront trois semaines pour se départager, avant la finale du 5 février, dans le stade de l’Amitié de Libreville. La compétition n’aura toutefois rien d’amical. Si l’Afrique du Sud, le Congo ou le Nigeria sont absents, le plateau sportif a rarement été aussi relevé. Bien sûr, la Côte d’Ivoire espère défendre son titre, malgré l’absence de joueurs vedettes tels que Gervinho et Yaya Touré. Mais les prétendants se bousculent. L’Algérie, avec Riyad Mahrez, fait figure d’épouvantail, tout comme le Sénégal. L’Égypte, la Tunisie, le Maroc, la RD Congo ou le Ghana n’ont pas moins d’espoir. Quant au Burkina Faso, à l’Égypte, et même au Mali, ils espèrent créer la surprise. De son côté, le Gabon se verrait bien réaliser l’exploit à domicile en s’appuyant sur son attaquant Pierre-Emerick Aubameyang. Les paris sont ouverts. Pour son soixantenaire, la Coupe d’Afrique a tous les ingrédients pour entrer, sinon dans la légende, du moins dans l’Histoire. (M.O.)
Jeune Afrique