Finance : ECP prêt à repartir de l’avant ?

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Ces dernières années, le capital-investisseur a dû renoncer à plusieurs projets. Mais la clôture de son fonds AFIV, doté de 640 millions de dollars, redonne du souffle à sa stratégie.

« Qui dit mieux ? » Pour Vincent Le Guennou, la question est purement rhétorique. En vingt ans, Emerging Capital Partners, la société qu’il codirige depuis Paris (le siège est à Washington), a levé plus de 3 milliards de dollars pour une soixantaine d’investissements et plus de quarante cessions d’actifs. Si la rentabilité de ces opérations n’est pas publique, il n’empêche que, fin novembre, ECP Africa Fund IV (AFIV) a été clos à 640 millions de dollars. Des soutiens historiques, comme la BAD et l’institution américaine de développement Opic, ont remis au pot. Cette levée de fonds, assure ECP, est « la plus importante depuis 2016 pour l’Afrique ».

À cette aune, importe-t-il vraiment que ce tour de table soit loin de l’objectif initial de 750 millions de dollars ? Ou qu’il ait, péniblement, pris du temps – les premières annonces datent de 2012-2013 ? « Le marché est plus dur aujourd’hui qu’en 2010, lors du closing du fonds III [613 millions de dollars]. Une dizaine de concurrents sont nés au cours de la dernière décennie », rappelle un gestionnaire installé à Abidjan.

Les nouveaux fonds levés pour l’Afrique ont reculé de 4,5 milliards de dollars en 2015 à 2,7 milliards en 2018. Certes, mais plusieurs concurrents directs d’ECP ont résisté à cette tendance. En 2015, Helios Investment Partners et DPI ont clos leurs nouveaux fonds respectivement à 1,1 milliard et à 750 millions de dollars. DPI lève même, actuellement, un nouveau fonds panafricain de 800 millions de dollars selon Jeune Afrique Business+.

Nombreux succès et critiques sévères

Les succès rencontrés par ECP ne manquent pourtant pas. Parmi eux, son investissement dans le gestionnaire de tours de télécommunications IHS, qu’il a aidé à sortir du Nigeria et à attirer des actionnaires influents tels que le français Wendel. Sa transformation de la chaîne de restauration kényane Java House, revendue en 2017 à Abraaj pour une somme estimée à plus de 100 millions de dollars après avoir quadruplé son implantation géographique, a été saluée par l’association panafricaine du capital-investissement (Avca).

Elle a aussi convaincu les actionnaires d’Artcaffé, qui compte vingt-six restaurants à Nairobi, de céder la majorité du capital à ECP, fin 2018, pour un montant estimé par la presse kényane à plus de 30 millions de dollars. L’investisseur a également été précurseur dans la santé, via les cliniques Hygeia, au Nigeria, et l’éducation, avec le réseau universitaire est-africain Maarifa.

Des controverses qui ont laissé des traces

Mais le passif accumulé depuis une décennie par ECP est lui aussi connu. Le fonds a détenu des participations minoritaires dans trois entreprises au Nigeria, qui ont été mises en cause pour leurs liens supposés avec James Ibori, un ex-gouverneur condamné en 2012 à treize ans de prison à Londres pour fraude et blanchiment d’argent. Des accusations contestées par ECP, qui n’a d’ailleurs jamais été inquiété par la justice. Mais la controverse pourrait avoir laissé des traces. Ni le britannique CDC Group, qui avait misé 140 millions de dollars dans deux précédents fonds ni la Banque européenne d’investissement (38 millions d’euros) n’ont investi dans le fonds AFIV, à l’inverse du français Proparco et du norvégien Norfund.

De son côté, ECP rejette tout lien de cause à effet entre cette polémique et les décisions d’investissement. Le fonds revendique d’ailleurs des relations cordiales et ouvertes avec les deux institutions.

En Afrique subsaharienne francophone, la charge d’Alexandre Vilgrain, PDG du groupe agroalimentaire Vilgrain, qui avait fustigé l’approche excessivement financière de son ex-partenaire, n’a pas favorisé la réputation du fonds. Par ailleurs, ECP est engagé dans un conflit judiciaire relativement complexe à Maurice et en Ouganda avec Jitendra Chhotabhai Patel, fondateur du kényan Spencon (BTP), sur fond d’accusation de mauvaise gestion et d’expropriation.

Des sorties difficiles

Étonnamment, c’est sur l’un de ses points forts traditionnels qu’ECP a paru le plus en difficulté ces dernières années. Longtemps ses équipes ont été des virtuoses de la « sortie », pratiquée avec succès sous toutes les formes : cession en Bourse (SAH Lilas), revente aux dirigeants (Somdiaa) ou à d’autres investisseurs (NSIA). La situation semble aujourd’hui plus délicate. Sa filiale énergétique Eranove a renoncé, en 2016, à une introduction en Bourse (IPO) à Paris et à Abidjan, où elle ciblait 200 millions d’euros. Un recul attribué tantôt aux conditions alors défavorables du marché à Paris, tantôt à divers obstacles réglementaires rencontrés à Abidjan.

Désormais, Vincent Le Guennou assure être là pour longtemps avec un engagement fort puisque « Eranove développe pour plus de 1 000 MW en projets dans plusieurs pays africains ». Évoqué avec insistance depuis deux ans, le mégaprojet de cotation à Londres d’IHS – pour une valorisation anticipée à 10 milliards de dollars, soit plus du triple des fonds mobilisés depuis 2001 – a été reporté sine die à la mi-2018.

Vers un nouvel investissement en Afrique australe

Une autre cession jugée laborieuse concerne Oragroup. Sous la houlette d’ECP, le groupe bancaire régional « est passé de cinq à douze pays, avec un total de bilan qui a été multiplié depuis par plus de 10 », rappelle Vincent Le Guennou. Mais le prix exigé a refroidi des acheteurs potentiels, comme Beltone Financial Holding, du tycoon égyptien Naguib Sawiris. À la fin de 2018, l’introduction de 20 % du capital d’Oragroup à la Bourse d’Abidjan a battu des records, avec 86 millions d’euros récoltés. Mais aux cours actuels, les parts d’ECP, qui a investi plus de 100 millions d’euros dans Oragroup et conserve 50 % du capital, représentent 215 millions d’euros…

Il est important de trouver un actionnaire de référence pour assurer la pérennité du groupe

Peu de fonds présents en Afrique disposent d’une force de frappe suffisante pour se porter acquéreur, même si des institutionnels ivoiriens, comme la Caisse générale de retraite des agents de l’État de Côte d’Ivoire, l’un des principaux souscripteurs à l’IPO de 2018, selon Jeune Afrique Business+, sont régulièrement évoqués comme repreneurs. « Nous n’avons pas de délai en tête pour la cession. Il est important de trouver un actionnaire de référence pour assurer la pérennité du groupe », assure le patron d’ECP.

Le 17 mai, le Camerounais Ferdinand Kemoum Ngon a été nommé DG d’Oragroup, en remplacement de Binta Touré Ndoye, aux commandes depuis juillet 2016. Sous sa houlette, l’IPO à Abidjan a été bouclée, et le bénéfice du groupe a doublé à 30 milliards de F CFA (45 millions d’euros), fin 2018. Le retour de Kemoum Ngon, ancien adjoint du Français Patrick Mestrallet entre 2009 et 2015, est-il un gage de continuité ou une opération commando destinée à booster l’entreprise et à préparer la revente ? L’un n’exclut pas forcément l’autre…

J’aimerais voir ECP contribuer à créer de nouveaux actifs

Quoi qu’il en soit, le bouclage du dernier fonds semble avoir ôté un poids aux équipes de l’investisseur, que plusieurs observateurs estiment plus actives ces derniers mois. Selon nos informations, ECP devrait bientôt annoncer un nouvel investissement en Afrique australe. La reconnaissance des pairs vient aussi confirmer ce retour en grâce. Début mai, Brice Lodugnon, DG du bureau d’Abidjan, a été élu président de l’Association ivoirienne des investisseurs en capitaux.

« J’aimerais voir ECP contribuer à créer de nouveaux actifs, comme cela a été le cas avec l’adaptation à l’Afrique de la sortie des tours de télécommunications du bilan des opérateurs téléphoniques, avec IHS et Helios Towers. Il y a des deals de ce type à imaginer dans la logistique, les infrastructures. ECP a les moyens intellectuels et financiers de le faire », assure l’un de ses concurrents qui, sans surprise, préfère garder l’anonymat.


Rémunérations exceptionnelles à Eranove

Le projet avorté de cotation d’Eranove a, incidemment, mis au jour des clauses concernant les « rémunérations exceptionnelles » contractualisées début 2016 en faveur de Marc Albérola (DG) et Éric Tauziac (ex-DG adjoint, aujourd’hui secrétaire général). En cas de cession de la moitié, puis de la totalité des parts d’ECP dans Eranove, ces managers pourraient percevoir individuellement jusqu’à 15 millions et 10 millions d’euros. Pour rappel, en 2015, la rémunération totale, avantages inclus, du DG d’Eranove s’établissait autour de 600 000 euros…

Mis à jour le 3 juin 2019 suite à des précisions apportées par ECP sur ses investissements au Nigeria et la levée de son nouveau fonds AFIV

Jeune Afrique