Faure Gnassingbé, « Fils à papa » ou enfant terrible des transitions ?

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Le 25 avril 2015, Faure Gnassingbé, fils du général Eyadéma, est candidat à sa propre succession pour un troisième mandat, après ses élections des 24 avril 2005 et 4 mars 2010. Retour sur son accession au pouvoir, entre « héritage Gnassingbé » et oripeaux de la transition démocratique.

Première remarque : résumer en 2015 la place de Faure Gnassingbé à celle d’un simple héritier serait se méprendre ; comparer son cas à celui d’Ali Bongo serait simplifier de manière rassurante – car moralisante et simplificatrice – les arcanes de la politique africaine. Pour asseoir son pouvoir, Faure a utilisé tout le clavier des outils formels de la démocratisation. Le point d’orgue a sans nul doute été la mise en place de la commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) au lendemain de la crise de 2005.

En effet, loin d’être une évidence tracée d’un trait de plume constitutionnelle, la succession d’Eyadéma en faveur de Faure, du père au fils, s’est déroulée dans une violence politique intense au Togo, en 2005. À la mort de son père le général-dictateur Eyadéma, survenue le 5 février 2005, Faure hérite littéralement du pays au prix d’une modification constitutionnelle, validée par l’Assemblée et préalablement organisée par Charles Debbasch, conseiller juridique à la présidence de la République togolaise depuis le début des années 1990… C’est-à-dire à partir de l’adaptation des régimes autoritaires à la démocratisation officiellement promue par le discours de La Baule.

Dans un climat de violence politique extrêmement dense, marqué par des manifestations de rues réprimées, Faure annonce la tenue d’élections présidentielles auxquelles il sera candidat. Le scrutin se tient le 24 avril 2005, dans une ambiance toujours aussi tendue ; le 26 avril 2005, Faure est déclaré vainqueur des élections. Des dénonciations de fraudes massives entachent le scrutin. Entre le 5 février et le 5 mai (entrée en fonction officielle), le Haut-commissariat de l’ONU aux Droits de l’Homme estime entre 400 et 500 morts les victimes des événements sanglants ; la Ligue togolaise des Droits de l’Homme avance les chiffres de 21 morts et 163 blessés avant la campagne et de 790 morts et 4345 blessés entre la campagne et la prise de pouvoir. Le HCR dénombre près de 26 000 réfugiés togolais eu Bénin. Les forces de sécurité et les milices du RPT (Rassemblement du peuple togolais, ancien parti unique créé par Eyadéma) sont clairement désignées comme responsables des violences par les observateurs nationaux comme internationaux et les ONG.

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Mais Faure est un homme politique de son temps. Loin de s’inscrire dans les pas de son père, il a conscience que gagner un scrutin n’est rien en soi (ni techniquement ni politiquement) ; le plus dur sera d’asseoir son autorité personnelle, et non celle du « fils à papa ». C’est sans doute là sa modernité : il va employer les outils de la justice  transitionnelle pour s’imposer dans les années 2000.

Dès le 8 juin 2005, il appelle comme Premier ministre Edem Kodjo, chef de fils du CPP (Convergence patriotique panafricaine, formation inspirée du parti voisin de N’Krumah), pour constituer et diriger un gouvernement d’Union nationale. Dès le mois de juillet 2005, les rapports dénonçant les violences de la transition se multiplient. Le rôle ambigu de la France est également pointé du doigt.

Une seconde étape dans la stratégie de Faure est franchie le 20 août 2006 avec la signature du l’APG (accord politique global) à Ouagadougou, sous l’égide de Blaise Compaoré, l’homme pivot des gestions de crises de la sous-région qualifié de « facilitateur » dans la crise togolaise. Sur les bases de l’APG, une commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) est créée en 2009 par décret présidentiel et confiée à la présidence de Mgr Nicodème Barrigah-Benissan, évêque d’Atakpamé. La mission de la CVJR est claire : « Recueillir les plaintes, déterminer les causes des violences, leur étendue et les conséquences, et proposer des mesures susceptibles de favoriser le pardon et la réconciliation nationale. » Le rapport final est rendu en 2012.

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Directement inspirée du modèle sud-africain, mais réaménagé après une décennie d’emploi des comités « Vérité et Réconciliation » sur le continent, cette CVJR togolaise se fait à l’avantage de Faure : la séquence chronologique de travail (1985-2005) renvoie les violences de la transition à l’héritage du père et non à la responsabilité du fils. En somme, 2005 serait le produit des 38 ans de dictature du général Eyadéma père, à ne pas confondre avec la République togolaise selon Faure. De fait, ce dernier s’est employé depuis l’APG de 2006 à affiner sa stratégie dans le cadre des contraintes formelles de la transition démocratique.

Une troisième étape est franchie avec des règlements de comptes en famille. Le régime « Gnassingbé » repose sur Faure, et sur son demi-frère, Kpatcha Gnassingbé, inamovible ministre de la Défense qui tient d’une main de fer l’appareil sécuritaire hérité du général Eyadéma père. Alors que le poids de Kpatcha semble renforcé en 2007, Faure surprend tout le monde en procédant à son arrestation en 2009 : Kpatcha est accusé d’avoir fomenté un coup d’État. Dans son sillage, 32 personnalités civiles et militaires sont appréhendées. En 2011, le verdict de la Coup suprême de Lomé tombe : le demi-frère est condamné à 20 ans de réclusion pour « crime contre la sûreté de l’État ». En réalité, Faure s’en est pris cette fois à son aile droite, c’est-à-dire aux nostalgiques du général Eyadéma. Il reprend par la même occasion la main sur le ministère de la Défense. Cet événement, qui a encadré l’élection présidentielle de 2010, offre à l’opinion publique togolaise un gage supplémentaire de rupture avec l’ancien régime en sacrifiant les « faucons », considérés par tous comme les acteurs de premiers plan des violences de 2005, tout en asseyant un peu plus Faure dans son fauteuil présidentiel.

Une quatrième étape est enfin franchie avec l’opposition, en la personne de Gilchrist Olympio. Lui aussi est un « fils de ». Pour le pire comme pour le meilleur, il doit beaucoup de sa carrière à son nom : il est le fils de Sylvanus Olympio, le premier président togolais, assassiné en janvier 1963.

Sylvanus Olympio est à double titre une icône politique du Togo : premièrement pour ses critiques contre l’héritage colonial, deuxièmement parce que le général Eyadéma a prétendu l’avoir lui-même assassiné. Depuis son exil, Gilchrist est devenu (à tort ou à raison) l’héritier de « l’ablodé » (« indépendance » en mina) incarnée par son père. Opposant à Eyadéma en exil puis sur le territoire national (il est rentré au Togo 1991), Gilchrist participe dès 1992 à la fondation du principal mouvement d’opposition au RPT : l’UFC (l’Union des Forces du changement). À la mort d’Eyadéma, les espoirs de l’opposition et de l’opinion se fondent sur lui. Aux élections présidentielles de 2005, sa candidature est invalidée. Au scrutin présidentiel de 2010, il se déclare dans l’incapacité physique de déposer sa candidature. Le duel tant attendu des « fils de » n’aura donc pas lieu dans les urnes. Il était pourtant un symbole fort de la revanche démocratique en 2005. Ici aussi, Faure a su prendre les devants.

Au lendemain du scrutin de 2005, des négociations secrètes ont lieu entre Faure et Gilchrist. Elles aboutissent à l’accord du 26 mars 2010, qui fait de l’UFC l’allié… de Faure et du RPT ! L’opposition est ainsi fragmentée, brisée : Jean-Pierre Fabre, candidat de l’UFC au scrutin présidentiel du 4 mars 2010 se considère trahi par Gilchrist et fait dissidence de l’UFC, créant l’ANC (Alliance nationale pour le changement). Gilchrist a déçu les espoirs longtemps placés en lui, et son UFC est sèchement sanctionnée aux élections législatives de 2013. Jean-Pierre Fabre reste le candidat de l’opposition en 2015.

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Ultime pirouette en vue des élections : le parti présidentiel (et familial) fait peau neuve. Le RPT, porteur du passé du parti unique du général Eyadéma, est dissous. Il est remplacé par l’Unir, selon les voeux de Faure.

Deux considérations en conclusion. Premièrement, au prix de réformes constitutionnelles (notamment de 2003 et 2005) et de compromis politiques, Faure serait, dans la décennie 2010, le premier président d’Afrique de l’Ouest à dépasser l’horizon symbolique du verrou des deux mandats consécutifs. Tout un symbole.

Deuxièmement, alors que l’héritage des « fils de » semblait évident dans le cadre d’un pouvoir autoritaire, on constate que, bien manoeuvré, le jeu démocratique offre un terrain favorable à certains « fils de » qui ont assimilé les nouvelles règles du jeu des transitions. L’effet déceptif pour de nombreuses couches de la population en est d’autant plus violent et explique, parfois, certains propos amers sur le système électoral. En ce domaine, le Togo n’est pas nécessairement un cas à part sur le golfe de Guinée. Au Bénin, ce sont trois autres « fils de » qui concourent aux élections législatives ce 26 avril 2015 : Modeste Tihondé Kérékou, fils de Mathieu Kérékou (président de 1972 à 1991 puis de 1996 à 2006), Léhady Soglo, fils de Nicéphore Soglo (président de 1991 à 1996 et cousin de Christophe Soglo, président de 1965 à 1967), et enfin Chabi Yayi, fils de Thomas Boni Yayi (président depuis 2006).

Auteur: Jean-Pierre Bat

NB: cet article a été publié pour la première fois sur le site de Libération

Source : Togoweb.net