« La grandeur, pour se faire reconnaitre, doit consentir à imiter la grandeur ». Dans Pensée d’un biologiste, l’homme qui consacra sa vie à l’étude des potentialités humaines, aux capacités biologiques dans une comparaison avec l’impact culturel sur l’individu, Jean ROSTAND, revient sur la question des valeurs, de la vertu qui donnent une visibilité à l’homme, à sa différence d’élévation. Les dispositions héréditaires maintiennent le genre humain dans le cocon du « petit de l’homme », c’est à dire, dans le monde des instincts et des réflexes qui ne peuvent pas sortir l’individu du fond des âges et de la pénombre de l’histoire
L’immensité de nos qualités d’homme réside dans l’étendue de nos actes de noblesse, c’est à dire, dans notre temporalité ou le parcours que nous imprimons à notre vie et dans les incidences de nos choix, de nos actes sur notre environnement. Autant que nous traçons nos propres sillons, notre propre itinéraire remorque des valeurs que nous diffusons pour le bien de la collectivité. Nous acquérons une grande âme dans la dignité et dans la responsabilité qui incitent les autres à l’inclination, au partage
Ceux qui n’ont aucun respect pour la vie, pour eux-mêmes et pour les autres baignent dans la médiocrité et la sottise, parce qu’ils sont désintégrés dans leur personnalité de base et ne peuvent valablement s’élever de leurs handicaps fondamentaux pour penser le bien, le juste, les idéaux de grandes projections et féconder la terre des hommes
Pour appartenir à l’histoire sur le podium de la lumière, il faut avoir de la clairvoyance, défendre un idéal, faire montre des qualités morales, éthiques, civiques, intellectuelles et humaines. C’est ce devoir d’exemplarité qui bâtit aux personnalités la cité des références, le principe d’identité qui intègre dans la diachronie l’intemporalité des âmes. C’est pour des modèles, ces « hommes-empires » que des générations entières font le chemin de la vénération, frémissent d’honneur, ferment les yeux à leur évocation pour mieux les penser, les ressentir, les vivre comme le sacré ou l’ostensoir
En trente-huit ans de règne d’Eyadéma sur le Togo, quelle est l’originalité d’une grandeur imprimée à notre histoire?
Pour quel idéal son fils s’est emparé du pouvoir et en treize ans de rapine et de criminalité dans un éventail de pillage des ressources nationales, quelle dimension s’est-il tricoté pour apparaitre comme un homme d’Etat?
1) La gouvernance désintégrée
Pour comprendre les malheurs des Togolais, il faut cerner proprement la fonctionnalité de la tyrannie des Gnassingbé dont les détails les plus éloquents et les plus persuasifs sont dans le coffret de documentation de la Conférence Nationale Souveraine. Il faut le revisiter par devoir de mémoire pour mesurer la proportion de liquidation des valeurs, les crimes pluriels qui jalonnent d’une fréquence ininterrompue l’héritage d’un règne et pour mieux envisager la barre de la résistance et de l’action incisive à mener collectivement pour réinventer le vivre-ensemble
Si nous perdons pied dans notre propre histoire, nous perdons également notre âme et notre temps dans des options de bricolages où l’approximation des répondants ferait le lit aux inutilités dont nous ne pourrons nous relever. Les érudits de gouvernance qui ont enfoncé notre pays dans l’indicible misère viennent de la conception singulière d’Eyadéma de l’Etat dont le fils héritier se déclare fier, à son corps défendant, en oubliant que rien n’arrête l’inexorable mouvement du temps
La plus vieille tyrannie d’Afrique tient l’ancre de sa barbarie du sens primaire du pouvoir. Les personnes ressources qui ont fait des témoignages édifiants sur le style d’un potentat, qui veut se coiffer un châpeau plus gros que sa tête, ont décrit les méthodes cyniques d’Eyadéma qui se réverbèrent de façon, flamboyante dans l’œuvre de son fils avec un mépris exceptionnel pour la vie humaine. Nos joues sont creusées de rigoles par nos larmes, nos cœurs sont lacérés par des chocs, nos âmes cumulent des traumatismes par la gravité des heures troublantes de la férocité des répressions d’un régime d’une façade comique de paix, présentée aux portes de notre aéroport avec la charité monumentale d’une colombe au bec rempli d’oliviers
Il faut comprendre l’histoire, la farce de la dynastie tyrannique, ses avaries éthico-morales, civico-humaines, ses menaces d’une guerre civile et les promesses d’Eyadéma de nous faire « reculer cent ans en arrière » pour proprement orienter le combat de l’alternance politique. Nous sommes aujourd’hui dans une reproduction des prétentions du père. Le fils n’a fait que démultiplier les camps militaires sur le territoire, amplifier les appareils de répression avec l’espoir de remporter une «guerre promise» dont il assume la période d’exécution; d’abord, par sa prise volcanique du pouvoir avec un millier de civils tués, et ensuite, face à l’insurrection de la conscience populaire , il démontre son plan de guerre par des villes assiégées après s’être évertué à multiplier les camps militaires et les garnisons. Il n’a aucune velléité d’ouvrir ce pays à l’alternance démocratique et trahir les ordres de son père. Il ne comprend pas que la loi qui gouverne le monde, dans sa puissance implacable est le mouvement. « Il arrive que les grandes décisions ne se prennent pas, mais se forment d’elles-mêmes », soulignait à cet effet Henri BOSCO, dans Malicroix
Aucun peuple ne peut s’asseoir sur des ruines d’un demi-siècle et se mettre à applaudir ceux qui en sont les vrais coupables. Un régime qui détruit dans une République la notion de mérite, le complément naturel de toutes les lois, c’est-à-dire l’éthique, qui a incinéré la morale à l’autel de ses parjures et de ses crimes n’a plus de souffle humain pour penser les hommes, le peuple du Togo
La démolition est incommensurable en cinquante ans! Que nous reste-t-il de notre éducation, de la qualité de la formation, de nos hôpitaux, de nos communes, de nos préfectures, de nos villes? La corruption, l’achat de consciences, la rapine électorale si longtemps revêtues de légalité ont perverti dangereusement la notion d’effort, de sérieux, de travail assidu qui fait les forts
Tous les chefs qui sont en permanence dans une défensive de déni et dans une offensive de la propagande sont trop pauvres pour s’affirmer dans ce que Sören KIERKEGAARD nomme le «bondissement», une capacité responsable de transcendance, d’exploit. Les togolais n’ont pas d’autre choix que de décupler leur mobilisation, leur fermeté incisive et leur action solidaire pour se créer de nouveaux horizons, parce que : « Les nations comme les hommes meurent de leurs imperfectibles impolitesses » ; ainsi, nous l’enseigne, Jean GIRAUDOUX, dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu.
2) Pour une République à visage humain.
Le Togo est un pays cassé par la dynastie des GNASSINGBE, écrèmé par une minorité « fauriste » assise sur nos fontaines de richesses dont très peu de nos voisins proches et lointains disposent naturellement. Ce pays n’est pas pensé intellectuellement, ni humainement, parce que la primauté de la force fauve a ravine toute perspective humaine, prévisionnelle. A vouloir penser comment se maintenir au pouvoir, et à n’importe quel prix, le temps de réflexions pour répondre aux sollicitations et aux attentes de tout un peuple à qui on vole tout n’existe plus; sauf, la répression.
Un regard jeté par-delà nos frontières si proches nous frappe d’étonnement complexuel, parce que la misère de l’esprit de la gouvernance a ses puanteurs qui font que nous sommes méprisés par nos voisins au regard du moule des malheurs qui nous courbent la tête dans l’indignité. Les supports vitaux et les commodités existentielles sont refusés à notre peuple. L’eau potable est une denrée extrêmement rare au Togo et le chef de l’Etat peut se permettre d’aller célébrer un forage mis enfin à la disposition d’une collectivité villageoise. Le Togo est un pays complètement dans le noir. Le pourcentage de l’éclairage de la capitale, de nos villes de l’intérieur est d’une moquerie révoltante. L’état de nos centres hospitaliers et de tout ce qui tient lieu de centres de santé sont d’un viol de la personne humaine.
Par-delà la politique de façade qui conduit à la réhabilitation de quelque rares artères, il n’y a rien à cirer de ces cinquante ans des GNASSINGBE au pouvoir. Nous sommes à une phase imminente et de non-retour de notre marche vers l’alternance démocratique et le changement. Si collectivement nous frappons d’un coefficient de négativité le règne de la rapine et de la criminalité de tout genre, il nous faut envisager les gages de réussite de notre alternance démocratique et asseoir par l’entremise d’un comité de réflexion, la politique de mobilisation des ressources, de relèvements des secteurs sociaux et donner une visibilité au pays profond, à l’encadrement rural, à la rentabilité des cultures, à la maîtrise de l’eau.
Le Togo dispose absolument des experts, des hommes de bonne volonté et d’intégrité morale pour des preuves hautement de civisme qui n’ont rien à voir avec l’exhibition de balayage de nos rues. Cette « bonne race » de nos concitoyens existe pour faire une réelle évaluation de nos ressources minières et du sol en vue de définir les termes de leur exploitation, la gestion de leurs ressources, comme d’ailleurs le Ghana en dispose, pour anticiper sur la dispersion des ressources pétrolières et aurifères. Ils ont vite compris comme Charles de GAULLE dans ses Mémoires de guerre que : « L’impuissance de l’intelligence fait courir a l’homme le risque de tout perdre »
C’est au cœur de la justice, de l’éthique et de la morale que la confiance des citoyens les uns dans les autres s’érige en rempart pour ordonner la marche vers des mutations sécurisées du peuple, réhabiliter les institutions. La tâche est énorme à proportion de l’abîme creusé en un demi-siècle de la tyrannie dynastique. A cœur vaillant pour la République, les résultats suivront avec étonnement.
Source : www.icilome.com