Tous deux en exil, Agbéyomé Kodjo et Tikpi Atchadam tentent malgré tout de rester présents sur l’échiquier politique togolais. Si le second est adepte de la « rupture radicale », le premier adopte une stratégie d’équilibriste.
Bien que le flou persiste sur leur lieu d’exil, Agbéyomé Kodjo, président du Mouvement patriotique pour la démocratie et le développement (MPDD) et Tikpi Atchadam, fondateur du Parti national panafricain (PNP) vivent « en sécurité », assurent leurs proches collaborateurs.
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Un exil qui n’est pas le seul point commun entre les deux hommes qui, bien qu’ils brillent par leur absence au Togo, n’ont pour autant pas abandonné l’idée de peser sur la scène politique. Avec un outil de prédilection : leurs nombreux messages sur les réseaux sociaux.
L’équilibriste et le tribun
Tribun dont la verve acérée fait l’admiration de ses partisans, Tikpi Atchadam s’est imposé sur la scène politique depuis la gigantesque manifestation du 19 août 2017, qui avait été durement réprimée. Dès le mois d’octobre de la même année, il avait disparu de la circulation. On l’a dit réfugié au Ghana, puis en Guinée – ce qui a été démenti depuis. Dans les cercles proches de son parti, il se murmure même qu’il serait désormais en Europe, certains évoquant notamment l’Allemagne.
Mais, tandis que tout le marigot politique spécule sur son lieu d’exil, la voix de Tikpi Atchadam continue, elle, de résonner à travers les messages audio qu’il distille régulièrement et qui sont abondamment relayés par ses partisans sur les réseaux sociaux. « Physiquement, Tikpi n’est pas là. Mais spirituellement et moralement, il est avec nous », assure Kossi Sama, qui tient les rênes du parti en son absence en qualité de secrétaire général du PNP.
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Comme Tikpi Atchadam deux ans avant lui, Agbéyomé Kodjo a lui aussi quitté le pays mi-2020. Arrivé en deuxième position de la présidentielle, derrière Faure Gnassingbé, avec 19,46 % des suffrages, il a immédiatement dénoncé ces résultats officiels et continue depuis de se proclamer « président élu ». Convoqué par la justice pour répondre des faits d’atteinte à la sécurité de l’État, il a affirmé avoir, depuis le 10 juillet, « pris le maquis ».
Après s’être un temps caché au Togo, il aurait rapidement rejoint le Ghana voisin, où il rencontrerait régulièrement les principaux responsables de la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), le mouvement porté par l’archevêque émérite de Lomé sous l’étendard duquel Kodjo s’est présenté à la présidentielle de février 2020.
Bien que le mandat d’arrêt international émis à son encontre par la justice togolaise n’a pas été validé par Interpol, l’opposant le sait : il n’échappera pas à une arrestation en cas de retour à Lomé. Alors, Agbéyomé Kodjo dirige son parti à bonne distance, et donne ses instructions à son vice-président, Gérard Adja, chargé des actions sur le terrain.
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Pour s’adresser directement à ses militants, Kodjo utilise lui aussi les réseaux sociaux. Mais il n’y rencontre pas le même succès que Tikpi Atchadam. Les multiples appels à manifester qu’il a lancés au fil des mois sont restés vains, donnant raison à l’universitaire Essohanam Batchana.
« Kodjo, dont la candidature a été soutenue par Monseigneur Kpodzro, a su surfer sur l’aura de l’homme religieux pour réaliser les 19,46% qu’il a obtenu. Mais en fait, il n’a lui-même ni militant ni base électorale », assure l’enseignant chercheur à l’université de Lomé.
Parcours aux antipodes
Si leurs méthodes peuvent sembler proches, le profil d’Atchadam, connu par ses attaques frontales envers un pouvoir avec lequel il n’a jamais « collaboré » contraste avec celui d’Agbéyomé Kodjo qui, à 66 ans, a démarré sa carrière d’opposant sur le tard. Ancien président de l’Assemblée nationale à la fin des années 1990, Kodjo a été nommé à la tête du gouvernement un an plus tard. Un parcours qui lui vaudra d’être longtemps considéré comme l’un des piliers du RPT, le parti fondé par Gnassingbé Eyadéma, père de l’actuel président.
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Équilibriste, il rejoint l’opposition en 2002, au sein de laquelle il sera parfois brocardé pour avoir été l’allié du pouvoir. « Je ne prétends pas avoir plus d’intelligence que les autres, mais je suis mieux outillé qu’eux parce que je connais bien les rouages du pouvoir et de l’opposition », leur répondait l’ancien Premier ministre devenu candidat, arrivé en deuxième position de la présidentielle avec 19,46 % des suffrages, selon les résultats officiels.
Tikpi Atchadam, 55 ans, a pour sa part vécu plusieurs années loin des lumières des projecteurs. Juriste et anthropologue de formation, il a été secrétaire général de la préfecture de Tchaoudjo entre 1995 et 1996, puis de 2000 à 2002, membre de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni-Togo) au nom du PDR.
Mais il claque la porte du parti en 2005, lorsque la formation se rallie au Rassemblement du peuple togolais (RPT) au lendemain du décès de Gnassingbé Eyadéma. Il attendra sept ans après son départ du PDR de Zarifou Ayéva pour fonder le PNP, en 2014.
Quel avenir politique ?
Entre l’équilibriste et le tribun radical, les relations seraient « cordiale et amicale », assure un proche de Tikpi Atchadam.
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Et ce, bien qu’Agbéyomé Kodjo ait tenté de chasser sur les terres du PNP, pendant la campagne présidentielle. « Tikpi Atchadam est un homme de conviction, de détermination, de justice, c’est un homme à la rhétorique poignante, qui dispose d’un franc-parler qui permet de réveiller », affirmait ainsi Kodjo lors d’un meeting à Sokodé, fief du PNP, dans une opération de charme lancée à destination des partisans d’un Tikpi Atchadam absent de l’affiche électorale. L’ancien Premier ministre n’hésitait alors pas à ajouter que sa candidature n’était « que le prolongement de la lutte que Tikpi Atchadam a commencé », promettant, en cas de victoire, de « travailler avec lui ».
« Nous sommes là face à deux profils, différents par leur histoire et par leurs qualités d’hommes politiques, qui ont cependant pour point commun d’avoir commis une erreur politique : celle de penser que, de l’extérieur, ils peuvent influencer et s’imposer sur l’échiquier politique togolais », tranche un cadre de l’Union pour la République (Unir, le parti de Faure Gnassingbé).
S’il reconnaît à Tikpi Atchadam « le mérite d’avoir su exploiter et surfer sur certaines frustrations pour mobiliser un nombre important de Togolais à un moment où beaucoup ne s’y attendaient pas », ce membre de la majorité présidentielle est en revanche plus critique envers Kodjo. « Il avait certes l’expérience, mais il a lamentablement échoué, tout comme Jean-Pierre Fabre avant lui. »
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Tandis le PNP maintient pour sa part une posture radicale, affichant sa certitude que le changement ne viendra pas des urnes, à l’instar du président du Parti des Togolais, Nathaniel Olympio, qui s’est lui aussi mué en adepte forcené des réseaux sociaux, la Dynamique Monseigneur Kpodzro se cherche aujourd’hui un nouveau souffle en l’absence de son leader.
Sous le feu croisé des membres de la majorité présidentielle et de ceux de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) de Jean-Pierre Fabre, qui accusent DMK d’avoir divisé l’opposition lors de la présidentielle, les cadres du mouvement qui avaient porté la candidature de Kodjo évoquent au contraire une éventuelle participation aux élections régionales.
Jeune Afrique
Source : Togoweb.net