Après le passage du Togo les vendredi 26 et lundi 29 juillet devant le Comité des nations unies contre la torture lors de sa 67ème session au titre du 3ème rapport périodique sur la mise en œuvre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et les questions pertinentes des experts, les recommandations finales de l’organe onusien étaient très attendues. Elles ont été adoptées le mercredi 7 août dernier et rendues publiques 48 heures plus tard. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles sont piquantes et pertinentes.
Les durées de garde à vue « no limit » existent-elles au Togo ? Des détentions préventives s’étalent-elles parfois sur des années dans les prisons civiles du pays ? Le principe de non-refoulement est-il appliqué ou violé ? La torture et les mauvais traitements inhumains ou dégradants ont-ils disparu des pratiques juridiques ? L’aide juridictionnelle est-elle à portée de tous les nécessiteux? Les conditions de détention au Togo peuvent-elles être transposées ailleurs comme des modèles ? Que dire des enquêtes qui ne débouchent jamais sur des coupables qui jouissent de l’impunité ? La répression des manifestations et l’usage excessif de la force ont-ils disparu des habitudes des autorités togolaises ?
Autant de maux qui dépeignent la réalité au Togo et que le Comité des nations unies contre la torture a abordés, sans langue de bois, formulant des recommandations aux allures d’injonctions. La plus retentissante est sans doute la fermeture « définitivement » et « sans délai » de la prison civile de Lomé. Mais, comme on devrait s’y attendre, le pouvoir n’a pas apprécié. Le gouvernement, avec à sa tête Sélom Komi Klassou, s’est dressé sur ses ergots, allant jusqu’à « désapprouver certaines manœuvres tendant à discréditer l’action et les réformes conduites » et promettre d’apporter des preuves (sic) pour « contester l’inexactitude de certaines allégations formulées ».
Mais en attendant, voici les observations finales et recommandations formulées par le Comité contre la torture…
OBSERVATIONS FINALES CONCERNANT LE TROISIÈME RAPPORT PERIODIQUE DU TOGO
1. Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique du Togo (CAT/C/TGO/3), à ses 1765 et 1768 séances, et a adopté les observations finales ci-après à sa 1782ème séance le 7 août 2019.
A. Introduction
2. Le Comité remercie l’État partie d’avoir accepté la procédure simplifiée. Il accueille avec satisfaction la soumission du troisième rapport périodique de l’État partie, tout en regrettant qu’il ait été soumis avec deux ans de retard.
3. Le Comité se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, et remercie cette dernière pour les réponses et compléments d’information apportés.
B. Aspects positifs
4. Le Comité note avec satisfaction que, depuis ses dernières observations finales, l’Etat partie a ratifié ou adhéré aux instruments internationaux suivants :
a) La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en 2014 ;
b) Le deuxième Protocole se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, en 2016.
5. Le Comité accueille également avec satisfaction les mesures législatives et administratives suivantes mises en place par l’État partie pour donner effet à la Convention, notamment l’adoption de :
a) La Loi organique n°2018-006 du 20 juin 2018 relative à la composition, à l’organisation et au fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’Homme arrimant le mécanisme national de prévention à cette dernière ;
b) La Loi n°2012-014 du 6 juillet 2012 portant Code des personnes et de la famille, modifiée par la loi organique n°2014-019 du 17 novembre 2014 ;
c) La Loi n°2013-010 du 27 mai 2013 portant aide juridictionnelle ;
d) La Loi n°2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau Code pénal ;
e) La Loi n°2015-005 du 28 juillet 2015 portant statut spécial de la police nationale ;
f) La Loi n°2016-008 du 21 avril 2016 portant Code de justice militaire ;
g) La Loi n°2016-027 du 11 octobre 2016 portant modification du Code pénal ;
h) Le décret n°2013-013/PR du 6 mars 2013 portant réglementation du maintien et du rétablissement de l’ordre ; et
i) Le décret n° 2014-103/PR modifiant le décret n°2013 portant création du Haut-commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale.
6. Le Comité accueille favorablement, en outre, la coopération de l’Etat partie avec les titulaires de mandats au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme.
C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations
Questions soulevées lors du précédent cycle de présentation de rapports appelant un suivi
7. Dans ses précédentes Observations finales (CAT/C/TGO/CO/2, para. 24), le Comité avait demandé à l’État partie de lui faire parvenir, au plus tard le 23 novembre 2013, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations suivantes :
a) faire entrer en vigueur en urgence le nouveau Code pénal et le nouveau Code de procédure pénale ;
b) améliorer d’urgence les conditions de détention ;
c) renforcer ou faire respecter les garanties juridiques auxquelles ont droit les détenus ; et
d) poursuivre et punir les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements.
À la lumière des informations reçues de l’État partie le 25 novembre 2013 au titre de la procédure de suivi (CAT/C/TGO/CO/2/Add.1), le Comité estime que ses recommandations n’ont été que partiellement mises en œuvre. Ces points sont traités aux paragraphes 9, 11, 25, et 27, du présent document.
Définition et incrimination de la torture
8. Tout en rappelant ses dernières observations finales (para. 7) et les recommandations du Sous-comité pour la prévention de la torture (SPT) (para. 109) et accueillant avec satisfaction l’adoption de la Loi n°2015-10 du 24 novembre 2015 portant nouveau Code pénal et de la loi 2016-027 le modifiant, qui retiennent une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention (article 198) , en font une incrimination autonome, et prévoient des peines proportionnées à la gravité de ces actes, le Comité demeure préoccupé par l’absence de dispositions prévoyant explicitement
a) la complicité ou la tentative de commettre des actes de torture; et
b) la responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques lorsqu’ils ont connaissance d’actes de torture ou de mauvais traitements commis par leurs subordonnés. Le Comité est en outre préoccupé par le délai d’adoption de l’avant-projet de Code de procédure pénale donnant effet à ces dispositions (articles 1 et 4).
9. L’État partie devrait :
a) Adopter les dispositions nécessaires, au sein du Code pénal, pour prévoir explicitement la complicité et la tentative concernant les actes de torture conformément au premier paragraphe de l’article quatre de la Convention, et pour assurer la responsabilité hiérarchique des supérieurs, que les actes aient été commis à leur instigation ou avec leur consentement explicite ou tacite ;
b) Prendre les mesures nécessaires afin d’assurer une large diffusion, vulgarisation et sensibilisation des magistrats et des agents du Ministère public au contenu du Code pénal afin d’assurer, en pratique, l’incrimination et la sanction des actes de torture;
c) Adopter promptement l’avant-projet de Code de procédure pénale.
Garanties juridiques fondamentales
10. Tout en ayant pris connaissance avec satisfaction de l’avant-projet de Code de procédure pénale, le Comité demeure toutefois inquiet du vide juridique actuel qui prévaut, concernant les garanties fondamentales. En outre, et rappelant ses dernières observations finales (par. 10), le Comité demeure préoccupé par le non-respect, en pratique, des garanties juridiques fondamentales lors de l’arrestation et de la détention, de l’aveu même de l’Etat partie dans son rapport périodique. Le Comité s’inquiète d’allégations selon lesquelles les personnes arrêtées ne sont pas informées de leurs droits ; qu’en dépit de la garantie prévue à l’article 16 al.3 de la Constitution, le droit de consulter un avocat de son choix dès le début de la garde à vue demeure théorique, car non traduit sur le plan procédural, de nombreuses personnes arrêtées se voyant dès lors interrogées et même jugées en l’absence d’un défenseur. Le Comité note en outre avec préoccupation que le droit des prévenus dans les commissariats de police et les gendarmeries de communiquer avec leur famille ne semble généralement pas garanti ; que le droit d’être examiné sans délai par un médecin est subordonné à une autorisation préalable du Parquet ; et que le droit d’être présenté dans les plus brefs délais devant un tribunal indépendant et impartial pour statuer sur la légalité́ de la détention n’est pas non plus respecté (art. 2).
11. Réitérant ses observations finales précédentes (par. 10), le Comité recommande à l’État partie de :
a) Adopter promptement le projet de Loi relatif à l’organisation judiciaire, ainsi que l’avant-projet de loi portant révision Code de procédure pénale en veillant à ce que ce dernier consacre toutes les garanties fondamentales lors de l’arrestation et la détention ;
b) Garantir, en droit et en pratique, que les détenus puissent, dès le début de leur privation de liberté, être informés sans délai des accusations portées contre eux, informer un membre de leur famille ou une autre personne de leur choix de leur détention ou de leur arrestation, être assistés d’un défenseur dès leur arrestation, et voir leur privation de liberté consignée dans les registres à toutes les étapes ;
c) Garantir le droit à un examen médical indépendant, en révoquant la nécessité d’une autorisation préalable du Parquet ;
d) Garantir le droit des détenus d’être présentés physiquement devant un juge à la fin de la garde à vue, et de contester la légalité de leur détention à tout moment de la procédure.
Durée maximale de la garde à vue
12. Le Comité demeure préoccupé par le non-respect des délais légaux de garde à vue; par l’importance du nombre de garde à vue prolongées arbitrairement, sans l’autorisation du Procureur de la République ou du Juge chargé du Ministère public pourtant légalement nécessaire. Le Comité s’inquiète enfin des dispositions légales permettant la prolongation de la garde à vue jusqu’à huit jours, délai excessif, en ce qu’il expose les prévenus à un risque élevé de torture ou de mauvais traitements (art. 2).
13. L’État partie devrait :
a) Prendre les mesures nécessaires, dont l’adoption du nouveau Code de procédure pénale, et s’assurer que la durée maximale de la garde à vue n’excède pas 48 heures, renouvelable une fois dans des circonstances exceptionnelles dûment justifiées par des éléments tangibles ;
b) Veiller à ce que les procédures de prolongation des gardes à vue soient strictement respectées par les officiers de police et de gendarmerie, ainsi que les autorités judiciaires qui ont la responsabilité d’exercer un contrôle effectif et régulier à cet égard.
Aide juridictionnelle
14. Tout en prenant note des efforts consentis par l’Etat partie pour fournir une assistance judiciaire à certains détenus démunis, le Comité relève avec préoccupation que la Loi du 24 mai 2013 portant aide juridictionnelle n’est pas appliquée, en l’absence d’un décret d’application. Le Comité s’inquiète dès lors de l’accès des personnes indigentes ou marginalisées à la justice pénale (art. 2).
15. L’Etat partie devrait adopter promptement un décret d’application relatif à la Loi du 24 mai 2013 portant aide juridictionnelle afin de garantir concrètement l’accès à un avocat dès son placement en garde à vue à tout justiciable dépourvu de moyens suffisants.
Détention préventive
16. Le Comité constate que depuis ses dernières observations finales (par. 12), dans lesquelles il avait invité l’état partie à accélérer la réforme de son système de justice pénale, de sorte à mettre en œuvre l’institution du juge de libertés et de la détention pouvant contribuer à la réduction du taux de détention préventive, la situation actuelle demeure tout aussi préoccupante, plus de 62 % des détenus étant en attente de jugement, contre 37% de condamnés, ce qui contribue directement à la surpopulation carcérale (art. 2).
17. L’État partie devrait :
a) Adopter promptement l’avant-projet de Code de procédure pénale, qui prévoit la nomination de juges des libertés et de la détention, à même de statuer sur la mise en détention préventive, et sur les demandes de liberté y-relatives ;
b) Veiller au contrôle effectif de la détention préventive, en s’assurant que celle-ci respecte les dispositions fixant sa durée maximale, qu’elle soit aussi brève que possible, exceptionnelle, et nécessaire et proportionnelle;
c) Promouvoir activement, au sein des parquets et auprès des juges, le recours à des mesures de substitution à la détention provisoire, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo);
d) Réviser tous les dossiers des détenus en détention préventive, et libérer immédiatement tous ceux qui auraient déjà passé en détention plus de temps que ne le justifierait la peine de prison maximale dont est passible l’infraction qui leur est reprochée.
Administration de la justice
18. Tout en saluant les réformes législatives et institutionnelles engagées dans le domaine de l’administration de la justice togolaise, qui comprennent la construction des cours d’appel de Lomé et de Kara; la construction en cours du tribunal de première instance de Sokodé ; la formation et le renforcement de l’effectif des magistrats ; et la réforme engagée du Conseil de la magistrature, le Comité s’inquiète de rapports faisant état d’une influence importante de l’exécutif dans la justice, se traduisant par des arrestations et détentions arbitraires d’opposants politiques, et de l’impunité corollaire des auteurs de ces crimes. Le Comité s’inquiète en outre du nombre insuffisant de magistrats sur le territoire national (241), des lenteurs du système justice, et de l’absence d’aide juridictionnelle (art. 2 et 13).
19. L’Etat partie devrait:
a) Garantir à tous les justiciables un accès effectif à la justice, en opérationnalisant le système d’aide juridictionnelle, l’accès à un avocat, et en renforçant les effectifs judiciaires;
b) Veiller à la nomination des magistrats du siège et du parquet sur la base de critères objectifs et transparents, en préservant le fonctionnement du pouvoir judiciaire de toute ingérence.
Principe de non-refoulement
20. Tout en accueillant favorablement les nouvelles dispositions législatives consacrant le principe de non-refoulement, à savoir l’article 208 du Code pénal, et l’article 20 de la Loi n°2016-021 du 24 août 2016 portant statut de réfugié au Togo, le Comité est vivement préoccupé à la lumière d’allégations suggérant qu’en pratique, ce principe n’est pas respecté. En atteste l’exécution par les autorités judiciaires togolaises en 2018, d’une demande d’extradition concernant Fulgiencio Obiang Esono et Francisco Micha Obama, formulée par le gouvernement équato-guinéen, en dépit de risques avérés de torture et de mauvais traitement encourus. Faisant référence à son Observation générale n°4 (2017), le Comité rappelle à l’Etat partie qu’il incombait à ses autorités judiciaires et administratives compétentes d’examiner la demande de remise des deux intéressés de manière individualisée, et de s’abstenir de les expulser, nonobstant le mandat d’arrêt international les concernant, si un tel risque était avéré, le principe de non-refoulement étant absolu (art. 3 et 7).
21. L’État partie devrait garantir le respect absolu du principe de non-refoulement consacré dans sa législation et à l’article 3 de la Convention et s’abstenir ainsi d’expulser, de refouler ni d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ou aux mauvais traitements. Les décisions de renvoi devraient faire l’objet d’un examen judiciaire au cas par cas, avec un droit d’appel suspensif. L’Etat partie devrait aussi faire faire figurer dans son prochain rapport des renseignements sur le nombre de personnes expulsées ou extradées, en précisant vers quels pays, le nombre de décisions judiciaires infirmant ou annulant une expulsion en vertu du principe de non-refoulement, et toute autre mesure pertinente prise. Il devrait également informer le Comité du suivi diplomatique qu’il a effectué dans l’affaire susmentionnée, le cas échéant.
Allégations de torture et de mauvais traitements
22. Rappelant ses dernières observations finales (par. 9 et 10), le Comité demeure préoccupé par les allégations de torture et de mauvais traitements en détention, notamment à l’égard de personnes retenues dans les commissariats de police et brigades de gendarmerie. Le Comité est particulièrement préoccupé par les allégations de torture et de mauvais traitements au sein des geôles du Service Central de Recherche et d’Investigation Criminelle (SCRIC), notamment contre des personnes arrêtées suite à leur participation à des manifestations, ou à leur soutien aux revendications de l’opposition. A cet effet, le Comité accueille avec satisfaction l’intention, annoncée oralement par l’Etat partie, d’initier une enquête sur les pratiques du SCRIC, et lui saurait gré de lui faire part des conclusions de cette enquête (art. 2).
23. A la lumière des précédentes recommandations du Comité (CAT/C/TGO/CO/2 par. 9), l’État partie devrait :
a) Réaffirmer clairement l’interdiction absolue de la torture, en condamnant publiquement sa pratique et en vulgarisant et diffusant le contenu du Code pénal de 2015 ;
b) Donner des instructions claires aux responsables des forces de sécurité (police, gendarmerie et SCRIC) sur la prohibition absolue de la torture, sa pénalisation et le fait que les auteurs de tels actes seront poursuivis ;
c) Veiller, de fait, à ce que les autorités compétentes documentent, de concert avec la société civile, ouvrent systématiquement une enquête chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis, et que les suspects soient dûment traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes.
Conditions de détention
24. Le Comité demeure vivement préoccupé par la persistance de conditions de détention assimilables à des mauvais traitements dans la majorité des établissements du pays. Il s’inquiète que le budget de l’administration pénitentiaire n’a bénéficié d’aucune augmentation depuis 2015, et relève l’insalubrité, le manque d’aération et de lumière, la nourriture en quantité insuffisante, constituée d’un seul repas par jour, et le peu d’activités récréatives ou formatrices à visée de réhabilitation qui prévalent en détention. Le Comité déplore également l’absence de séparation effective entre catégories de détenus, et le manque de personnel pénitentiaire qualifié, livrant les détenus à eux-mêmes pour la surveillance, occasionnant de la corruption et de la violence inter-détenus. Tout en accueillant favorablement la mise en service de la nouvelle prison de Kpalimé, permettant de désengorger la prison de Lomé, le Comité demeure alarmé par le taux de surpopulation carcérale qui perdure dans l’ensemble des lieux de détention, le taux national d’occupation actuel étant de 182%, en l’absence d’une politique carcérale holistique qui s’attaque aux causes multiples de la surpopulation. A cet effet, le Comité regrette que les mesures alternatives à la détention consacrées dans le nouveau Code pénal ne puissent trouver à s’appliquer, en l’absence d’un Code de procédure pénale. En outre, le Comité s’inquiète de l’absence de juge d’application des peines, le projet de loi sur l’organisation judiciaire devant encore être adopté par l’Assemblée nationale. Le Comité se préoccupe enfin du paiement forfaitaire de 200 FCFA exigé de tout visiteur –hormis les détenteurs de ‘permis de communiquer’, et les avocats-, qui pourrait s’apparenter à une mesure restrictive contrevenant aux règles 43(3) et/ou 58 (1)(b) des Règles Mandela. Enfin, le Comité relève avec préoccupation que les locaux de garde à vue de la police et de la gendarmerie sont aussi caractérisés par l’insalubrité, l’absence de lumière, et que les personnes retenues n’y sont pas nourries (art. 2, 11 et 16).
25. Réitérant sa recommandation précédente (par. 13), le Comité exhorte l’Etat partie à prendre promptement toutes les mesures qui s’imposent afin de rendre les conditions de détention en prison, et dans les lieux de garde à vue, conformes à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, notamment:
a) Fermer définitivement et sans délai la prison de Lomé, et concevoir un plan général sur la situation des établissements pénitentiaires au Togo ;
b) Améliorer les conditions matérielles dans tous les autres lieux de privation de liberté, en veillant à ce que les prisonniers aient accès à une alimentation adéquate et suffisante, à des conditions sanitaires décentes, et à une aération suffisante au sein des cellules, eu égard aux conditions climatiques;
c) Réduire la surpopulation carcérale en privilégiant les mesures alternatives à la détention et, pour ce faire, adopter promptement le Code de procédure pénale et le projet de Loi relatif à l’organisation judiciaire, de sorte à instaurer un juge d’application des peines et des mesures alternatives à la détention, telles l’assignation à résidence sous surveillance et le contrôle judiciaire, pour contribuer à enrayer le phénomène de surpopulation carcérale;
d) Doter les établissements pénitentiaires de personnel qualifié et formé en suffisance, y compris médical, adopter un règlement intérieur dans tous les lieux de détention, et enquêter sur tous les cas de corruption et de privilèges, en sanctionnant les responsables ;
e) Abolir le paiement forfaitaire exigé des visiteurs de prison.
Impunité et enquêtes
26. Réitérant ses observations finales précédentes (par. 11(a)), le Comité est vivement préoccupé par des informations faisant état d’une impunité face aux actes de torture et de mauvais traitements passés. Le Comité relève, en particulier, l’absence d’ouverture d’enquêtes relatives aux évènements de 2009 à 2012, période durant laquelle de nombreux actes de tortue auraient été commis, notamment entre les mains d’agents de l’Agence nationale de renseignements (ANR), malgré les recommandations de la CNDH en 2012, demeurées lettre morte. Il en est de même pour les événements liés aux violences post-électorales de 2005 : Sur les 72 plaintes avec constitution de partie civile déposées par des victimes de tortures et de mauvais traitement, aucune n’a été instruite à ce jour par les juridictions nationales, et aucun responsable de ces crimes n’a été puni. Tout en prenant note des informations fournies oralement par l’Etat partie, concernant deux plaintes en cours, le Comité est d’avis que la quasi-absence d’enquêtes et de poursuites pour des actes de torture, contribue à créer, et entretenir une situation d’impunité (art. 2, 12 et 13).
27. Réitérant ses précédentes recommandations (par. 11 a, d et e), le Comité enjoint l’État partie à ouvrir une enquête spécifique concernant les actes de l’ANR, et à mettre fin à l’impunité, en veillant à ce que toutes les personnes ayant commis des actes de torture soient systématiquement traduites en justice et sanctionnées conformément à la gravité de leurs actes.
Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et désignation du mécanisme national de prévention
28. Tout en accueillant avec satisfaction la révision de la loi organique relative à la composition, à l’organisation et au fonctionnement de la CNDH, permettant ainsi la désignation de la CNDH comme mécanisme national de prévention de la torture (MNP) au titre de l’article 3 du Protocole facultatif, dotée de prérogatives d’effectuer des visites régulières et inopinées de tous les lieux de privation de liberté et prenant également note de la nomination des nouveaux membres pluridisciplinaires de la CNDH, de leur récente prise de fonction le 25 avril 2019,ainsi que des visites effectuées, et tout en appréciant les critères objectifs, et la condition d’indépendance édictés à l’article 8 de la Loi organique précitée, le Comité s’inquiète de la perception de manque d’indépendance effective de certains membres actuels de la CNDH, fonctionnaires de l’Etat. Le Comité s’inquiète en outre que le budget de la CNDH n’a pas été augmenté, de sorte à refléter ses nouvelles attributions de la Commission comme MNP ; et que la dotation budgétaire annuelle de la CNDH consiste en une subvention, discutée d’année en année par arbitrage, qui demeure donc aléatoire, ce qui soulève des questions quant à son autonomie de gestion, son indépendance effective, et sa capacité à mener à bien son mandat de MNP (art. 2).
29. Le Comité recommande à l’État partie de garantir la pleine indépendance des membres de la CNDH, d’un point de vue personnel et institutionnel, et doter cet organisme des ressources financières, humaines et matérielles suffisantes et prévisibles, lui permettant de remplir pleinement ses fonctions d’institution nationale et de MNP de manière indépendante, impartiale et efficace.
Violence contre les femmes et les filles
30. Tout en accueillant avec satisfaction les dispositions du Code pénal de 2015, qui définit (article 232), criminalise et punit les violences basées sur le genre, y compris les violences domestiques et le viol conjugal (articles 212 et 232), et saluant en outre l’adoption du Code des personnes et de la famille, la mise en œuvre d’une stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre en 2012, ainsi que de nombreux programmes de sensibilisation mis sur pied, le Comité regrette qu’en pratique, de nombreuses femmes togolaises demeurent victimes de violences. Il en est ainsi des victimes de mariages forcés et précoces, et de la pratique encore existante des mutilations génitales féminines, en dépit de l’adoption de la loi n°98-016 du 17 novembre 1998 portant interdiction des mutilations génitales féminines et des vastes efforts de sensibilisation menés. Tout en remerciant l’Etat partie pour les statistiques fournies relatives aux condamnations entre 2016-2019, le Comité regrette que ces données n’aient pas été ventilées par âge, origine ethnique, nationalité, région géographique, type de plainte et juridiction ayant prononcé la condamnation, de sorte à déterminer les causes profondes de cette violence et de concevoir des stratégies propres à les empêcher et à les circonscrire (art. 2 et 16).
31. L’État partie devrait :
a) Assurer la mise en œuvre effective des dispositions pertinentes du Code pénal réprimant les violences basées sur le genre, et mener des enquêtes approfondies sur tous les cas, que les auteurs soient poursuivis et dûment punis et que les victimes obtiennent réparation;
b) Dispenser une formation obligatoire concernant les poursuites à engager en cas de violence sexiste à tous les agents des forces de l’ordre et du système judiciaire, et poursuivre les campagnes de sensibilisation engagées ;
c) Garantir que toutes les victimes de violence sexiste aient accès à un abri et reçoivent les soins médicaux, l’accompagnement psychologique et l’aide juridictionnelle dont elles ont besoin ;
d) Poursuivre les efforts engagés en vue de l’éradication totale des mutilations génitales féminines.
Violences à l’égard des enfants
32. Faisant référence à ses observations précédentes, le Comité s’inquiète qu’en dépit du Code de l’enfant (articles 353 à 356, et article 376), qui incrimine les châtiments corporels à l’égard des enfants dans tous les milieux et contextes, et du Code des personnes et de la famille (article 355), de nombreux enfants demeurent victimes de maltraitance multiforme au quotidien, exposés à diverses pratiques préjudiciables tel les mariages forcés et précoces, ou à des accusations de sorcellerie. Prenant note des conclusions récentes de la Rapporteuse Spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences sur sa visite au Togo (27-31 mai 2019), le Comité est vivement préoccupé du phénomène d‘exploitation d’enfants, nombre d’entre eux travaillant comme domestiques, porteurs ou vendeurs dans les marchés, exerçant les pires formes de travail dans l’agriculture, ou étant livrés à l’exploitation sexuelle et à la prostitution, malgré les dispositions du Code pénal de 2015, dont l’article 317 définit et réprime les différentes formes de traite des personnes, et l’article 338, qui réprime et sanctionne le travail forcé (art. 2, 12, 11 13, 14 et 16).
33. L’Etat partie devrait :
a) Introduire, par voie législative, une prohibition expresse et globale interdisant toutes les formes de violence à l’encontre des enfants dans quelque cadre que ce soit;
b) Appliquer les dispositions législatives pertinentes existantes, et engager des enquêtes et des poursuites systématiques lorsque des cas suspectés de maltraitance contre des enfants, y compris de violence sexuelle, ou d’exploitation sont avérées, afin de punir les auteurs et de fournir des réparations aux victimes, y compris des mesures de réhabilitation et des soins de santé qui comprennent un soutien psychologique ;
c) Mettre fin au phénomène de servitude domestique, en créant des mécanismes de surveillance efficaces, et veiller à assurer la collecte efficace et systématique de signalements, d’enquêtes et de condamnations ;
d) Poursuivre les programmes de sensibilisation et de formation engagés en matière de protection de l’enfance auprès des instituteurs, des chefs traditionnels et religieux.
Défenseurs des droits de l’homme, répression de manifestations, et usage excessif de la force
34. Le Comité est fortement préoccupé par les informations reçues, faisant état d’atteintes répétées contre des opposants politiques et défenseurs des droits de l’homme cherchant à exercer leur droit à la liberté d’association, ou d’expression, qui auraient été régulièrement soumis à des actes de torture ou de mauvais traitements dans des lieux de garde à vue ou de détention, suite à des arrestations et détentions arbitraires. Tout en prenant note des efforts récents consentis pour observer et veiller au bon déroulement des manifestations publiques, le Comité déplore qu’en dépit du cadre législatif entourant l’exercice de la liberté de réunion et de manifestation pacifiques publiques, les forces de l’ordre feraient un usage excessif et disproportionné de la force lors de manifestations publiques pacifiques. Le Comité relève avec inquiétude que le 28 février 2018, les forces de l’ordre auraient tiré à balles réelles pour disperser des manifestants qui s’étaient rassemblées spontanément à Lomé afin de dénoncer la hausse des prix des produits pétroliers, occasionnant la mort d’une personne et plusieurs blessés. Tout en accueillant favorablement les enquêtes ouvertes en lien avec les manifestations de 2017, le Comité engage l’Etat partie à en accélérer le cours, et à en communiquer les résultats au Comité. Enfin, le Comité est alarmé à la lecture de rapports faisant état d’intimidations, d’arrestations et de détention arbitraires de défenseurs des droits de l’homme. Ainsi en août 2017, plusieurs d’entre eux, membres des mouvements « Nubueke », « En Aucun Cas », ou encore du Front Citoyen Togo Debout (FCTD), auraient été victimes de menaces, d’agressions, d’intimidations, de détentions arbitraires et pour certains de torture et de mauvais traitements (art. 2, 12, 13 et 16).
35. L’État partie devrait instamment :
a) Libérer toutes les personnes qui demeureraient détenues pour avoir défendu une opinion ou manifesté pacifiquement, et garantir une indemnisation aux victimes de détentions arbitraires ;
b) Garantir la protection des opposants politiques, des défenseurs des droits de l’homme et des autres représentants de la société civile contre les actes d’intimidation et de violence auxquels ils pourraient être exposés du fait de leurs activités ;
c) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et effectives soient menées sans délai sur toute allégation d’usage excessif de la force, de torture, mauvais traitements, ou exécutions extrajudiciaires visant des opposants politiques, des défenseurs des droits de l’homme et des membres d’organisations de la société civile, et engager les poursuites corollaires.
Formation sur les dispositions de la Convention
36. Tout en accueillant favorablement les efforts consentis par l’État partie en matière de sensibilisation et de formation aux droits de l’homme à l’attention des forces de police, y compris de police judiciaire, et de gendarmes, y compris en matière de prévention de la torture, selon les informations communiquées oralement par l’Etat partie, le Comité déplore que ces programmes ne prévoient pas d’enseignement ni d’instruction spécifiques sur les dispositions de la Convention elle-même. Tout en accueillant favorablement l’information selon laquelle les médecins militaires bénéficient d’une formation qui inclut les expertises médico légales, prenant en compte les directives relatives à la détection des séquelles de torture ou de mauvais traitements fondées sur les normes définies dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), le Comité note qu’une telle formation n’est pas étendue à l’ensemble des acteurs susceptibles d’interagir avec des personnes privées de leur liberté (art. 10).
37. L’État partie devrait renforcer ses programmes de formations à l’attention de l’ensemble des acteurs susceptibles d’intervenir dans la surveillance, l’interrogatoire ou le traitement des personnes privées de liberté (policiers, gendarmes, magistrats et personnel pénitentiaire), en veillant à y incorporer des modules de formation continue spécifiques aux dispositions de la Convention, ainsi qu’aux techniques d’enquête non coercitives, et au Protocole d’Istanbul. L’Etat partie devrait également mettre en place des méthodes permettant d’évaluer l’efficacité de ses formations.
Réparation
38. Tout en accueillant favorablement les indemnisations consenties par l’Etat partie aux victimes de torture, en application de la décision de la Cour de justice de la CEDAO, et prenant note, également, de l’établissement du Haut-commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale, chargé, entre autre, de la mise en œuvre du programme de réparation élaboré par la Commission Vérité Justice et Réconciliation, le Comité s’inquiète de ce que le Code pénal (art. 199, 202 et 204) n’envisage la réparation que sous forme d’indemnisation pécuniaire, au lieu d’intégrer l’ensemble des modalités de réparation envisagées par l’article 14 de la Convention. Le Comité regrette également l’absence de données chiffrées indiquant les demandes en réparation concernant des actes de torture ou de mauvais traitement, celles ayant abouti, ainsi que les mesures de réadaptation accordées (art. 14).
39. Le Comité rappelle son Observation générale no 3 (2012) relative à l’application de l’article 14 par les États parties et invite l’État partie à:
a) Prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour garantir que les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements aient accès à des recours utiles et puissent obtenir réparation, y compris dans les cas où l’auteur n’aurait pas été identifié;
b) Evaluer pleinement les besoins des victimes et faire en sorte que des services spécialisés de réadaptation soient rapidement disponibles;
c) Fournir des informations détaillées sur les cas où des victimes d’actes de torture et de mauvais traitements ont eu accès à des recours utiles et obtenu réparation, et en informer le Comité lors de la soumission de son prochain rapport périodique.
Procédure de suivi
40. Le Comité demande à l’État partie de présenter, d’ici le 9 août 2020, des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations figurant aux paragraphes 11(a), 17(d), 23(b), et 25(a). Dans ce contexte, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.
Autres questions
41. Le Comité invite l’État partie à envisager d’effectuer la déclaration prévue par l’article 22 de la Convention contre la torture par laquelle il reconnaîtrait la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par ou pour le compte de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation, par un État partie, des dispositions de la Convention.
42. Le Comité invite l’Etat partie à adhérer aux traités internationaux des droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie.
43. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité de ses activités de diffusion.
44. Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le quatrième, le 9 août 2023 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait que l’État partie a accepté d’établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui adressera en temps voulu une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le quatrième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention.
Source : Liberté N° 2980 du Lundi 12 Août 2019
27Avril.com