Etat d’urgence sécuritaire dans les Savanes : Eviter surtout les dérapages et le zèle à outrance

0
377

« Chaque Etat souverain s’organise pour faire face à ce qui le menace avec les moyens dont il dispose». Telle est la réponse donnée par Faure Gnassingbé lors d’une interview accordée au journal Le Monde, sur l’utilisation du logiciel Pegasus au Togo pour lutter contre le terrorisme. Les citoyens de la région des Savanes seront-ils respectés avec l’état d’urgence sécuritaire ?   

Nous sommes de plain-pied dans la lutte contre le terrorisme, et lors du conseil des ministres du 13 juin 2022, cinq (05) décrets ont été examinés dont un relatif à la lutte contre le terrorisme. « Le conseil des ministres a examiné et adopté un projet de décret instaurant l’Etat d’urgence sécuritaire dans la région des savanes », lit-on dans le communiqué. « Notre pays a été victime d’une attaque djihadiste dans la nuit du 10 au 11 mai 2022 visant un poste avancé du dispositif de l’opération Koundjoaré situé dans la localité de Kpékpakandi (préfecture de Kpendjal). Ces évènements interviennent après une précédente tentative d’attaque, dans cette même partie du territoire national, vaillamment repoussée par les forces de défense et de sécurité dans la nuit du 10 au 11 novembre 2021 », précise le gouvernement, justifiant ainsi la mesure prise.

Le but de l’Etat d’urgence sécuritaire, selon l’exécutif, est de créer un environnement et les conditions propices aux mesures administratives et opérationnelles nécessaires à la bonne conduite des opérations militaires, au maintien de l’ordre et de la sécurité dans cette région. Le décret renforcera, dit-on, « la célérité de la prise des décisions et facilitera une meilleure agilité des services publics et des forces de défense et de sécurité ».

Pour l’heure, le contenu du décret n’est pas encore rendu public, mais déjà, il convient d’alerter sur d’éventuels dérapages qui pourraient subvenir. Le souvenir des violences policières et militaires enregistrées dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire est encore vif dans les esprits. En effet, des incidents déplorables avaient été enregistrés durant la période où l’Etat d’urgence sanitaire est entré en vigueur. Pour faire respecter le couvre-feu décrété dans le Grand Lomé, les forces de l’ordre ont fait preuve d’une violence inhumaine sur ceux qu’ils rencontraient dans la rue aux heures du couvre-feu. Pour elles, c’était un moment de défoulement sur les populations.

Des actes de violence dénoncés à l’époque par le Collectif des associations contre l’impunité au Togo (Cacit). « Faire l’ordre, ce n’est pas nécessairement bastonner, on peut faire l’ordre en sensibilisant. On peut faire l’ordre en faisant un travail de pédagogie du moins pour les premiers jours. Nous ne comprenons pas comment on peut soumettre des gens à des traitements, cruels et dégradants de la sorte en commençant par frapper les gens parce qu’ils n’ont pas respecté la mesure de couvre-feu », s’était indigné Claude Amégan, président du collectif.

Ces actes de violence, il faut le déplorer, avaient occasionné des pertes en vies humaines. Comme celle de feu Koutsouatsi Dodji, battu à mort par des forces de l’ordre alors qu’il était sorti faire ses besoins dans une réserve située à un pas de son domicile. C’était le 22 avril 2020. Son corps sans vie, portant les traces des sévices qu’il a subis, a été retrouvé le lendemain. Les auteurs ne sont toujours pas connus, le gouvernement s’étant contenté, pour étouffer l’affaire, de porter assistance à la famille endeuillée. Pour sa part, le ministre de la Sécurité a simplement appelé ses hommes au professionnalisme. Celui de la justice a brillé par son mutisme.

En revisitant l’histoire récente du Togo, les craintes de dérapages sont justifiées. Dans le cadre de la lutte contre le trafic de carburant de contrebande, combien de Togolais n’ont pas été violentés, aussi bien des hommes que des femmes ? De nombreux drames ont été enregistrés. Ensuite, accusées de laxisme face aux braqueurs qui sévissaient dans le pays, les autorités togolaises ont servi aux populations des simulacres de neutralisation de braqueurs.

Fin juillet 2019, la Police abat les nommés Dekpo Mlatawo et Koffi Semekonawo alias Cimetière présentés comme des braqueurs pris sur le fait. « Ces malfrats avaient attaqué à Casablanca un citoyen qui revenait de la banque avec une importante somme d’argent (…)  Une surveillance a été mise en place autour de ce dernier, le nommé Cimetière, afin de suivre ses activités (…)Pris en filature par les éléments du Groupe d’intervention de la police nationale (GIPN) en tenue civile, ayant constaté qu’il s’agissait des agents et voulant s’échapper, le nommé Cimetière en couple sur la moto et armé d’un pistolet de fabrication artisanale, a ouvert le feu en leur direction. Les agents ont immédiatement riposté, les atteignant mortellement », racontait la Police.

Quelques heures après, la famille des victimes, par le biais du Mouvement Martin Luther King (MMLK) dément la version de la Police. « Nous étions tous à la maison le samedi aux environs de 23 heures lorsque des agents de Police ont débarqué chez nous pour amener manu militari deux de nos frères en les personnes de Cimetière et Dékpo. Toute la journée, nous nous sommes promenés dans plusieurs lieux de détention sans avoir eu de leur nouvelle. C’est vers 17h que nous avions eu les échos sur whatsapp comme quoi, ils ont été tués quelque part », a témoigné une proche des victimes.

Dans son rapport publié le 05 décembre 2019, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) avait écarté la thèse de braquage et confirme que les présumés braqueurs ont été enlevés à leur domicile par la Police. « Sur l’enlèvement de « Cimetière » et Dékpo dans la nuit du 27 juillet 2019. Les informations recueillies au cours des investigations sont édifiantes et amènent le groupe de travail à conclure que dans la nuit du samedi 27 juillet 2019, « Cimetière » et Dékpo ont été enlevés à leurs domiciles par des hommes dont certains en tenue de « sodja » ; Sur la question de savoir si les personnes abattues étaient en opération de braquage. Les éléments recueillis lors des investigations n’établissent pas, même si l’un des présumés braqueurs a plusieurs antécédents judiciaires, que ceux-ci étaient délibérément sortis cette nuit pour aller commettre un braquage ».  Extrait.

Voilà comment le gouvernement togolais règle les problèmes lorsqu’il se retrouve dans l’incapacité d’y trouver des solutions appropriées. Vivement que la lutte contre le terrorisme et l’Etat d’urgence sécuritaire ne débouchent plus sur de pareilles pratiques où des innocents sont « immolés ». Déjà, le bruit court que dans les Savanes, il ne fait pas bon être Peuhl. Pourtant, pour réussir cette « guerre », il faut composer avec toutes les ethnies, même celles qui sont jugées plus proches des terroristes.

G.A.

Source : Liberté / libertetogo.info

Source : icilome.com