L’alliance UFC-RPT/UNIR de 2010 est une torpille politique qui ne n’a sans doute pas fini de produire tous ses effets. Cette alliance perçue comme une trahison a plongé le champ de la contestation politique dans une léthargie apathique et son ombre portée se densifie en obscurité par le spectacle désolant des comportements erratiques et irresponsable des acteurs politiques. Pour la majorité présidentielle, elle est vécue comme une victoire, un véritable blanc-seing assimilable à un permis de prolonger les actions de la régence dictatoriale de pays.
« que ce que je veux
c’est pour la faim universelle
pour la soif universelle
la sommer libre enfin
de produire de son intimité close
la succulence des fruits »
Aimé Césaire « cahiers d’un retour au pays natal »
M. Olympio est assurément une belle prise de guerre. La tête est frappée, la troupe des opposants s’est dispersée et peine à se coaliser en un front cohérent et efficace contre le régime en place. Le chef déchu semble maintenant montrer la voie à suivre : rentrer dans les rangs, consentir les accommodements raisonnables et se complaire dans un pari irréalisable : s’allier avec la dictature et essayer de la changer de l’intérieur. Il s’agit, nous le savons, d’une erreur dramatique d’appréciation. Irrecevable à ce niveau de responsabilité.
Qu’est-il donc arrivé à M. Olympio? Telle est la lancinante question.
Le poids des pressions internationales ? L’appât du gain ? L’écœurement face à la médiocrité de ses lieutenants et compagnons de lutte ? L’impatience impétueuse de l’amateurisme politique ? Ou tout simplement la mollesse d’une âme oublieuse du poids politique et symbolique qui repose sur ses épaules ? De quoi M. Olympio est-il devenu le nom ? L’appréhension de l’équation politique togolaise dans sa complexité peut-elle pour autant ignorer M. Olympio ?
La crise que connaît le pays depuis deux générations dénote d’une inadéquation entre le discours et les attentes profondes du peuple. Le funeste forfait du 13 janvier 1960 a ouvert une parenthèse d’obscurantisme politique qu’on peine à refermer. Les fruits vénéneux de cette évolution n’ont jamais justifié la promesse des belles fleurs glanées à son indépendance sous la conduite de son premier président charismatique Sylvanus Olympio. Face aux échecs des nombreuses tentatives de sortie d’une des plus longues crises de régime au monde, il faut remettre à plat les bases de la lutte et questionner l’adéquation des moyens mis en œuvre avec le but visé. Une analyse attentive révèle qu’à l’évidence le problème togolais est mal posé et donc les moyens mis en œuvre sont nécessairement inadaptés. Il faut remonter aux sources psychologiques et historiques du problème, construire et articuler un discours approprié susceptible de sous-tendre efficacement l’action politique.
Le Togo détient le triste privilège d’être le premier pays de la vague des indépendances des années 1960 de l’empire colonial français. Celui aussi où la France dut fomenter le premier coup d’état meurtrier pour restaurer un ordre favorable à ses intérêts. Depuis lors, le Togo est devenu un défi dans l’imaginaire colonial français. M. Olympio n’a-t-il pas osé s’affranchir des rets de la domination française ? n’a-t-il pas osé la création d’une monnaie nationale et revendiquer la maîtrise de cet attribut essentiel de la souveraineté ? Cette audace doit donc être punie et le Togo devenir une dissuasion définitive des velléités émancipatrices futures.
L’exemple de Haïti, qui le premier s’est affranchi du maître français en le battant par les armes, permet d’orienter adéquatement l’analyse. La malédiction de la première nation noire, le lourd tribut que Haïti paie encore aujourd’hui à l’ancien dominateur, les drames et les tribulations de ce peuple martyr prennent une source réelle et profonde dans cet échec cuisant du maître esclavagiste qui, vaincu, prend une revanche multiséculaire d’une férocité raciste.
Les mêmes ressorts psychologiques président aux relations tumultueuses que la France entretient aujourd’hui avec l’Algérie dont l’indépendance réelle a sonné le glas d’une occupation de peuplement et un démembrement de la France. La plaie est encore béante et suinte régulièrement l’âcreté des incompréhensions et des ressentiments de part et d’autre de la méditerranée.
De plus, le Togo est une partie du butin des puissances victorieuses de la grande guerre qui paie encore aujourd’hui la blessure narcissique du maître prétendument offensé. Ces éléments de contexte historiques ont réellement forgés la conscience collective du peuple et doivent constituer l’arrière-fond de toute réflexion sérieuse sur le devenir de la nation togolaise. Le responsable politique togolais, plus que tout autre sans doute, doit avoir le sens de l’histoire pour crédibiliser son discours. C’est bien aujourd’hui ce qui manque au discours ambiant à Lomé et qui rend les élites togolaises si inaudibles et si impuissantes à susciter l’adhésion du peuple.
Et pourtant, du Togo, premier sur la liste des États « matés » par la puissance néo-coloniale française, peut aussi repartir le renouveau de l’Afrique. Cinquante années d’une dictature sanguinaire, les tentatives de résolution diverses et variées d’une convulsion mi-séculaire, le poids des intérêts extérieurs, la limite des solutions avancées, l’insoutenable légèreté de l’homme politique face à son destin… tout a été expérimenté dans cet incubateur de crises et de solutions qu’est devenu le Togo.
La stratégie de libération d’une clique d’état qui met le pays sous coupe réglée doit (re)partir de ce laboratoire pour construire un discours de réparation d’une nation défigurée dont les lignes de blessure passent par les territoires, les cœurs, les consciences, les psychologies et prend racine même dans les rêves. Le peuple togolais attend qu’on parle enfin à son inconscient collectif. Il veut renouer notamment avec la linéarité de son destin et de ses ambitions. Il veut à coup sûr trouver les moyens de retrouver « ses » frères du Togoland devenus des Ghanéens par la grâce d’un référendum controversé. Le Togo veut sortir des discours étriqués et vagues, des querelles intestines oublieuses de son histoire. Il veut tout simplement se reprendre à travers ses enfants capables d’amorcer le Story Telling nécessaire à la construction de l’imaginaire collectif d’une nation.
Les vrais enjeux de l’alternance sont là. Les leviers de la réussite du combat contre la dictature aussi. Osez parler au cœur des Togolais. Donnez au peuple des objectifs clairs et nobles comme le vivre ensemble dans une cohérence territoriale et sociologique retrouvée et vous retrouverez un peuple debout pour sa souveraineté et sa liberté.
L’enjeu est de taille. Il y va de la survie de toute une nation. Comment faire advenir cet impératif catégorique à la surface des revendications dans la nébuleuse médiocrité d’un espace politique chaviré et incompétent ? Les réformes ? Certes utiles ! mais dans un monde réenchanté. L’alternance ? très bien ! mais dans un espace réconcilié et unifié. Le pouvoir ? Bien sûr ! mais dans un environnement politique et économique viable ayant atteint la taille critique susceptible de peser sur son propre destin et compter dans le monde. La décentralisation ? Certes oui ! mais dans les épures de nos traditions et de nos mécanismes de régulation et de médiation mis au jour. En un mot rechercher la cohérence politique des moyens et des discours. Une adéquation réelle de l’action publique avec les réalités sociologiques profondes de la nation. Les ressources existent. Les leaders pourraient monter très rapidement en compétence, aidés par la justesse de la cause.
Dans cette approche constructive d’une nation forte, consciente d’appartenir à un destin commun forgé autour d’un imaginaire collectif et soutenue par une histoire structurante, la figure de Monsieur Gilchrist Olympio pourrait être déterminante. Cette figure de proue, véritablement avilie par des choix politiques et stratégiques incompréhensibles, peut et doit retrouver le sens de l’histoire et de la marche à la tête du peuple vers l’horizon de son destin.
M. Olympio le peuple togolais a encore besoin de vous. D’abord comme héritier d’une histoire et d’un passé qui ne passeront pas. Ensuite comme leader charismatique et « le lit sans drain » de toutes les rancœurs et tous les espoirs de ce peuple martyrisé. Vous devez aussi l’oblation de votre personne aux milliers de martyrs qui ont donné leur vie sur la foi en votre parole et la confiance qu’ils ont placée en votre personne. Vous le devez à ce peuple perdu, désorienté, paupérisé errant sans but politique identifié. Vous le devez à ces femmes, nos femmes et nos mères, fer de lance de la contestation au Togo, terriblement frappées au cœur par les incendies criminels des marchés et les balles assassines qui trop souvent ravissent les enfants à leur affection. Vous le devez enfin à votre propre parcours, à votre proximité avec nos frères du Togoland et du Ghana ; à votre poids politique relatif dans la région. Vous le devez comme un pont entre le Ghana et le Togo.
La récente visite du chef de l’État ghanéen a donné une claire indication de cette action déterminante que vous devez initier et conduire. Vous pouvez encore aider à sortir le pays de la nuit obscure à la rencontre de son admirable lumière de nation fière et prospère ? Vous le devez parce que vous savez, par formation et aussi par la pratique, que le Togo dans un monde globalisé ne pèse rien. Aussi dans une vision panafricaine ou par pur pragmatisme politique vous devez amorcer le dialogue constructif pour une (con)fédération de ces deux pays frères. Il s’agit d’une nécessité vitale qui donnerait non seulement de la cohérence géographique et sociologique aux deux pays mais serait l’amorce d’un marché intérieur viable, le règlement de la question du Togoland par l’octroi d’un statut de large autonomie à ce territoire selon les termes d’une négociation tripartite. Le problème récurrent de la monnaie comme attribut inaliénable de la souveraineté nationale sera ainsi résolu. Enfin, la convocation d’une constituante sera l’occasion de réfléchir et de dégager les axes des réformes institutionnelles, appréhendées par blocs cohérents, en tirant parti des avancées institutionnelles du Ghana et en prenant appui sur les coutumes, les traditions humanitaires et transitionnelles de nos espaces tribales et claniques.
La crise politique au Togo ne peut se résoudre par les tentatives désespérées d’un pouvoir incompétent et violent aux abois, attaché à atomiser et à martyriser le peuple. Elle ne trouvera pas non plus de sortie dans l’action d’une classe politique d’opposition divisée, attachée à des intérêts particuliers de caste ou de groupe. La voie de la sortie politique par le haut est supérieurement souhaitable. Elle nécessite un aggiornamento, une ambition commune qui dépasse les clivages et qui saura regarder au-delà de l’étroitesse des frontières artificielles héritées de la colonisation. La clef réside à coup sûr dans l’histoire assumée du Togo et passe par des axes construits autour des éléments structurants une nation : l’affection sociocratie, la monnaie et une certaine idée de la solidarité politique et économique allant dans le sens d’un renforcement des moyens d’action pour bâtir le mieux être et le mieux vivre ensemble.
Alors….Cher Gilchrist au travail ! Ne ratez pas (plus) le dernier train de l’histoire.
Jean-baptiste K.
27Avril.com