«Il n’y a pas de démarche plus stérile que celle qui consiste pour un opprimé à en appeler au coeur de ses oppresseurs…»
Frantz Fanon
C’est devenu une banalité au Togo que la mauvaise foi, la duplicité et le jusqu’au-boutisme dans le mal constituent la deuxième nature du régime Gnassingbé de père en fils. C’est pourquoi beaucoup s’étonnent qu’une frange de notre opposition, malgré les malheureux précédents de 2005, 2010 et surtout 2015 en termes de mascarades électorales, accompagnées de massives violations des droits de l’homme, n’ait pas suffisamment appris la leçon et se prépare à aller à des élections présidentielles avec un régime qui ne joue jamais franc jeu.
Le 19 novembre dernier des délégations de l’ANC, du CAR et de ce qui reste de la C14 étaient invitées par le Ministre de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales, M. Payadowa Boukpessi pour des causeries sur le scrutin présidentiel. Alors que les délégations de l’opposition demandaient l’inscription à l’ordre du jour de la question sur l’amélioration du cadre électoral, Payadowa Boukpessi, comme à son habitude fit la sourde oreille; car pour lui il s’agissait d’informer les acteurs politiques sur l’état d’avancement des préparatifs des élections, pas autre chose. Ce qui obligea Messieurs Jean-Pierre Fabre, Yaovi Agboyibo, Madame Brigitte Adjamago et leurs accompagnateurs à quitter la salle.
Eu égard au comportement antidémocratique de ce régime depuis des décennies, surtout en période électorale, beaucoup d’observateurs de la vie politique togolaise s’étonnent qu’il y ait encore des opposants qui se bousculent au portillon pour participer à un scrutin dont les conditions d’organisation sont très loin d’être consensuelles et transparentes. Surtout que toutes les violations des droits de l’homme, faites de tueries, de disparitions, de départs massifs en exil, les quinze dernières années au moins, lors d’élections présidentielles, sont là pour nous rappeler le jusqu’au-boutisme du régime Gnassingbé dans sa résistance contre l’alternance au sommet de l’État.
«…Il est de notoriété publique que les élections qui se déroulent au Togo depuis la réinstauration du multipartisme en 1990, se caractérisent toutes, par des fraudes massives qui manifestent la volonté du régime en place d’empêcher, par tous les moyens, l’alternance au pouvoir. L’opposition se retrouve cantonnée dans un rôle d’accompagnateur…»
Un constat pertinent de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) qu’on peut lire dans la déclaration liminaire du Parti orange écrite après l’échec des pourparlers avec le Ministre de l’Administration Territoriale. Il est d’autant plus surprenant que l’ANC et les autres partis restent dans la logique électoraliste, bien que tous ces tristes précédents soient connus de tous. Messieurs Fabre, Agboyibo et Madame Adjamago seraient toujours prêts, selon leurs déclarations, à discuter avec le pouvoir sur l’amélioration du cadre électoral. Et rien n’est sûr que le régime RPT/UNIR reviendra à de meilleurs sentiments pour livrer le matériel qui permettra de scier la branche sur laquelle il est assis sans y être contraint d’une façon ou d’une autre.
S’il y a une formation politique qui est restée constante sur toute la ligne quant à sa position depuis le 19 août 2017, c’est bien le Parti National Panafricain de Salifou Tikpi Atchadam; pour le PNP, Faure Gnassingbé devrait officiellement renoncer à sa candidature en 2020 pour qu’une transition soit mise sur pied. Le parti à l’emblème du cheval a même publié et envoyé un mémorandum à cet effet aux représentations diplomatiques en poste à Lomé le 19 novembre dernier. Du côté du Mouvement En Aucun Cas c’est le même son de cloche. Cette association de la société civile n’a pas passé par quatre chemins pour marteler la position qui est la sienne quant à 2020:
« …pour le Mouvement En Aucun Cas aucune élection ne résoudra le problème togolais. Elle ne fera qu’aggraver la situation et exacerber les tensions….La seule issue; pour nous; aujourd’hui c’est de continuer à nous battre pour le départ de Faure Gnassingbé à la fin de son mandat et la mise sur pied d’une transition. »
Pour le moment la classe politique du côté de l’opposition est divisée entre deux positions: il y a d’un côté les partisans d’une hypothétique amélioration du cadre électoral par un régime qui traîne les pas, donc des partis prêts à aller aux élections avec Faure Gnassingbé en 2020. De l’autre côté on trouve la mouvance conduite par le PNP, hostile à une quatrième candidature de l’actuel Chef de l’État qui est à son troisième mandat.
Dans la situation actuelle de notre pays est -ce qu’un parti politique a le droit de faire ce qu’il veut d’après l’argument selon lequel un parti est créé pour aller aux élections? Ce raisonnement aurait son sens dans une démocratie, alors qu’au Togo nous sommes très loin d’une démocratie; nous avons à faire à une dictature impitoyable qui nécessite l’union de tous pour parler d’une voix et mener le combat qui ferait plier le régime têtu des Gnassingbé.
Entre ceux qui cherchent à discuter avec le pouvoir pour aller à des élections perdues d’avance, et ceux qui appellent à une résistance pour le départ de Faure Gnassingbé après son troisième mandat, et l’instauration d’une transition, quelle est la position qui arrange les populations togolaises? Le premier groupe devrait comprendre que ce ne sont pas des reformettes qui nous feront avoir l’alternance, il faut des réformes en profondeur; donc pendant une transition.
Les réformes à faire ne seront pas à l’avantage de tel ou tel, mais dans l’intérêt d’un Togo démocratique comme dans les autres pays de la sous région. Et il est important que les uns et les aures adoptent dès lors une position claire qui évite de semer la confusion dans les esprits. Nous croyons à cet effet qu’une passerelle est toujours possible entre les deux camps de l’opposition pour parler d’une voix et reprendre la lutte là où elle s’est arrêtée avant que la C14 ne vole en éclats.
Samari Tchadjobo
Source : www.icilome.com