Par Michel Kinvi
Il y a dix ans déjà, en 2007, que j’ai écrit et publié le présent article. Je l’ai redécouvert par hasard en passant sur les sites internet. Il répond déjà bien à un souci que je me suis donné depuis deux semaines à vouloir écrire un pamphlet sur le nouveau président Français Emmanuelle Macron. J’ai déjà fini une page et demi sur lui. Mais j’ai laissé tomber la tâche depuis une semaine car mon subconscient me demandait « Que vaut la peine ? ». Avec la redécouverte fortuite du présent essai, je comprends maintenant ce que voulait insinuer mon subconscient. Il voulait me rappeler « Tu as déjà dit l’essentiel sur ce sujet depuis longtemps ! » Oui j’ai déjà parlé de tous les Macron présidents avant que président Macron ne soit. Alors, au-delà des petits bouts de phrases politiques qui créent des polémiques morales, et d’autres sujets plus concrets que le Franc CFA, je voudrais repartager ici avec les lecteurs une de mes pensées sur la Destinée de l’Afrique. Lisez avec intérêt.
Sur le Courage la Générosité
Le courage et la générosité sont deux aptitudes humaines sur la liste restreinte des vertus cardinaux universels. Leurs utilités spéciales résident dans le fait qu’elles sont indispensables pour changer, transformer des situations dans un sens positif. Ce sont les vertus motrices du changement. A l’ordinaire, le courage en acte change les situations physiques dangereuses et la générosité en acte change les situations sociales précaires.
Plusieurs questions d’actualité ont interpellé tous les esprits actifs sérieusement soucieux du devenir de l’Afrique. – La sentence offensante du prix Nobel de génétique, James Watson un citoyen américain en octobre 2007 : « Les africains sont moins intelligent que les occidentaux …. », – les déclarations arrogantes du président Français, Nicolas Sarkozy : d’abord à Dakar en juillet 2007 « l’Homme africain n’est pas assez entrée dan l’histoire …», puis en octobre 2007 dans le contexte de l’affaire d’enlèvement d’enfants tchadiens par l’Arche de Zoe « J’irai (au Tchad) chercher ceux (les français) qui restent, quoiqu’ils aient fait … », – et la proclamation des résultats des élections législatives du 14 octobre 2007 qui donnent comme vainqueur le régime dictatorial néocolonial et quarantenaire des Gnasingbé au Togo et sa validation par la Communauté Internationale nous donnent encore à réfléchir sur le sort de la race noir en général et celui de l’Afrique en particulier.
L’impératif pour l’Afrique de jouer le jeu… de la barbarie
Le constat moral est que la race noire malgré sa lutte multi centenaire de conquête de la dignité humaine est toujours une race méprisée. Le constat politique montre que presque tous les pays Africains à l’instar du Tchad et du Togo, malgré leur existence identitaire d’Etat et leur autonomie juridique, sont toujours dirigés de l’extérieurs et le sort de leurs habitants est encore livré au bon vouloir des puissances politiques et économiques d’autres cieux..
Mon souci dans cet essai n’est pas de faire le procès de ceux qui, par préjugé, dédaignent les Noirs et de ceux qui, de l’extérieur et par avidité, soumettent et exploitent l’Afrique en complicité avec quelques Africains de basses valeurs morales et intellectuelles. Ce procès légitime et utile se fait bien déjà ailleurs. Je ne m’en occupe pas ici.
De mon côté, le souci va dans la direction des remèdes ; je cherche à dire ce qui fait défaut aux Africains face à ce défi de bonne guerre. Le défi de soumettre, d’exploiter et de bafouer ceux qui s’y prêtent est devenu la règle établie d’un jeu vital. L’expérience prouve que ce jeu est aléatoirement présent à la vie elle-même. Mais, sous le coup des détours imprévisibles du sort, doublé d’une négligence morale, la tendance dominante du capitalisme a systématisé ce jeu et l’a imposé à l’espèce humaine. Ce qui est occurrence aléatoire est transformé en permanence obligatoire. Aucune société des temps modernes ne peut désormais y échapper. Il n’y a que deux façons responsables de faire face à cette situation dangereuse. Soit on accepte le jeu et ses règles rudes et on s’y engage avec les conséquences, ou soit on rejette le jeu et ses règles et on se replie de façon consciente dans une attitude stoïque de ‘souffre douleur’ imperturbable, frugale, voire physiquement anéantissable, mais fier de ne pas être partie prenante active d’une ‘barbarie’.
Des deux options, celle du rejet stoïque n’est pas objectivement acceptable pour l’Afrique car la posture stoïque est plutôt du domaine privé de chaque individu, elle est difficilement praticable dans le champ politique. Dans l’orientation de la destinée de tout un peuple, il n’y a que l’alternative du combat qui paie en cette circonstance, l’alternative de s’engager dans la barbarie. La question importante est de savoir de quoi les Africains doivent se munir pour entreprendre ce combat de barbarie généralisée?
De l’intelligence? Oui sans doute. Et tous les africains doivent se vanter d’être intelligents, l’intelligence ordinaire bien sûr, comme d’ailleurs tous le reste des humains.
De la connaissance ? Oui sans doute. Mais tous les Africains ne peuvent pas se vanter d’être connaisseurs, la connaissance critique supérieure bien sûr, comme tout le reste des humains d’ailleurs. Il n’y a qu’une minorité qui se sentent connaisseurs de quelque chose de valable sur le marché intellectuel et technique international. Aux Etats-Unis comme au Japon et dans les autres pays matériellement riches et puissants il n’y a réellement qu’à peine 5% qui sont clairvoyants et encadrent la multitude ordinaire. Nous devons faire très tôt la distinction entre intelligence et connaissance pour des raisons pratiques.
Chez l’homme, la connaissance est aux lobes du cerveau ce que la force est aux muscles des membres ; l’intelligence, quant à elle, est aux neurones du cerveau ce que la souplesse est aux ligaments des articulations des membres. La souplesse et la force du corps sont des résultantes naturelles et peuvent être améliorées par l’exercice assidue c’est-à-dire la culture physique. De même l’intelligence et la connaissance dans le cerveau sont naturelles et peuvent être amélioré par l’exercice discipliné, la culture cognitive. L’idéal de l’homme accompli est celui-là qui possède un corps fort et souple abritant un cerveau intelligent et érudit. Il est bien rare qu’un seul individu réalise simultanément toutes ces quatre qualités en lui à un haut niveau. Mais alors c’est seulement lorsque ces quatre qualités s’expriment de façon remarquable chez un individu à un haut niveau qu’elles donnent la résultante de la vertu exceptionnelle qui est le courage.
Le courage comme vertu mesurée, rare et indispensable pour le changement positif
Il faut vite dire ce que le courage n’est pas. Le courage n’est pas la témérité. La témérité c’est du courage à l’excès. Dans ce cas, la connaissance de situation et la force d’action manquent à l’appelle. Le téméraire prend un risque inutile, il finit souvent comme martyre et non comme un héros. Le courage n’est pas non plus la rage ou la fougue. La rage c’est du courage démentiel. Dans ce cas il y a un défaut de souplesse tactique par rapport aux enjeux et un défaut d’intelligence pratique de la situation. Le furieux finit souvent comme un dévastateur et non comme un bâtisseur.
Vu dans ce sens le courage est une vertu mesurée, une vertu médiane, une qualité de haut équilibre. L’action courageuse est éclairée par la connaissance, orientée par l’intelligence, soutenue par une force physique capable de souplesse, émanant donc d’une structure bien articulée. Le prototype universel du courageux est le guerrier. Un véritable guerrier – qu’il faut bien différencier du soldat – ne décide d’aller au combat que lorsqu’il connaît la force de celui à qui il a affaire. Si le combat ne lui laisse pas une issu de survie, il décide le combat en se fixant comme objectif unique de diminuer l’ennemi dans sa force avant de mourir. Son but est de paralyser l’ennemi en l’amputant d’une ressource vitale. Le peuple pour qui il combat sait le but de sa mission et le bénit pour cet acte noble. Si l’ennemi menaçant est un monstre telle une pieuvre à dix tentacules, le guerrier se résoudra de l’amputer d’au moins une tentacule ou de lui crever un œil avant d’y laisser la vie. Il rendra ainsi service aux siens car ceux qui vivront après lui auront à faire face à moins de terreur de la part de l’ennemi commun. Le courage ne s’exprime souvent que dans un contexte de danger physique.
Les dangers physiques que l’Afrique cours actuellement sont énormes. Les assassinats de leaders nationalistes et les conflit armés téléguidés de l’extérieur, les massacres de populations par des armées au service des dictatures néocoloniales, les virus et substances nocives inoculés à des innocents transformés en cobayes, des enfant enlevés en masse en destination d’autres cieux où nul ne sait leur sort etc. en sont les preuves. L’Afrique a donc impérativement besoin de courageux pour changer cette dérive dangereuse. Le courage est rare partout, mais il est trouvable. Si un seul homme exceptionnel ne peut l’incarner en temps voulu, une sélection d’hommes valeureux peut le générer.
Mais le guerrier ne va pas au combat sans s’assurer d’abord du sort de sa progéniture. Qu’adviendra t-il de ses enfants dès que lui s’en ira loin affronter le danger pour épargner le peuple. Si le courageux met sa vie dans la balance, il demande que le peuple mette aussi quelque chose de valeureux dans la balance. Le guerrier demande toujours, en contrepartie, la générosité du peuple. Qui nourrira et élèvera ses enfants quand il ne reviendra pas de la conquête ? Si le peuple s’engage à assumer cette responsabilité, alors le guerrier volera avec fermeté et optimisme vers la bataille.
De la générosité comme vertu de garantie pour l’acte courageux
La générosité est un don d’intérêt social. Elle est différente de la charité fervente ou de l’aumône expiatoire qui visent à négocier la grâce divine. La générosité est un acte qui entre dans le cadre purement moral de rétablissement d’une justice sociale déséquilibrée. L’acte généreux s’accomplit dans l’intention de soutenir quelqu’un, l’étranger, l’autre être qui est indigent. Donner à ceux pour qui l’on a de l’amour filial ou passionné n’est pas de la générosité, c’est de la bienveillance. Donner à ceux qui sont dans son cercle d’amis, ce n’est pas de la générosité, c’est de la solidarité. La générosité s’adresse toujours à quelqu’un qu’on ne connaît pas et qui est dans le besoin. La générosité est un acte pour faire du bien à quelqu’un de qui l’on n’attend aucun bien ni affectif, ni matériel, ni spirituel en retour. C’est de cette vertu que l’Afrique a besoin urgemment de nos jours afin de garantir l’entreprise de changement positif face au danger de mépris, d’exploitation et de risque d’anéantissement.
Il y a une aimable tradition qu’on clame et vante en Afrique et qui risque d’être confondue à la générosité. Il s’agit de l’hospitalité. L’hospitalité ressemble à la générosité, elle ne l’est pas. L’hospitalité cherche à mettre à l’aise l’étranger ; elle fournir un confort à l’autre qui est de passage. Cette belle tradition populaire en Afrique dérive plutôt de croyances religieuses ancestrales. Elle tombe dans le domaine de la morale privée individuel. L’hospitalité ne peut donc pas jouer le rôle social, la nécessité publique de la générosité. Il faut que l’Afrique commence sérieusement par cultiver et développer la vertu de la générosité. Cette vertu a cruellement manqué récemment au Togo et a démontré une absence notoire de l’esprit patriotique, de l’esprit de communauté de destin, chez les Togolais.
Le Togo a officiellement compté au moins 2.526.000 électeurs lors des dernière élections législatives d’octobre. Ces électeurs avaient chacun voulu influencer l’orientation du destin du pays. Mais avant ces élections, le Togo avait connu une inondation dans sa région septentrionale-est et méridionale-est au cours du mois d’Août. On doit se demander combien de ceux qui se sont soucié du sort de leurs pays lors des élections s’étaient soucié, dès lors, du sort de leurs compatriotes sinistrés des inondations dans le Kpendjal, l’Oti et le Bas Mono ? Aucune action d’aide visible venant des populations togolaises hors de ces zones sinistrées n’a été signalée. C’était une occasion manquée pour la générosité patriotique.
Si dans un scénario possible d’élans de générosité, chacun des électeurs togolais avait consenti le minimum imaginable de 100 Fcfa pour les sinistrés des inondations, le Togo de bonne volonté unira au moins deux cent cinquante deux million six cent mille francs, ce qui fait un quart de milliard. Et si les Togolais font plus preuve de sacrifice pour leur compatriotes sinistrés et leurs consacraient le coût de leurs déjeuners à midi de trois jours, ils débourseraient chacun un minimum 200 Francs CFA. Au total, avec ces deux cent francs seulement par tête d’électeurs, les togolais de bonne volontés débourseraient cinq cent cinq million deux cent mille Francs CFA, soit un demi milliard ; une somme qui pourra remplacer largement le don de 740 000 €, que l’Union Européenne a envoyé comme aide d’urgence aux sinistrés des inondations du nord Togo. Ils pourront d’ailleurs faire de même pour financer leurs propres élections et se sentiront plus responsables de sa transparence et justice et n’attendraient pas sa validation de l’extérieur.
C’est si simple que cela, votre générosité collective pourra vous libérer du joug de l’extérieur. Quand la générosité est collective elle fait des miracles sociaux avec des retombés politiques remarquables. Mais alors le bons sens nous fait savoir que la volonté seule ne suffit pas. Il faut aussi accompagner la volonté d’un minimum d’expertise et d’une dose de confiance. Les Togolais ne manquent pas de cette expertise pour mobiliser et gérer de l’argent. Ce dont ils manquent, c’est de cette structure de conduite d’opération de terrain. L’Unicef, le PAM et la Croix Rouge qui ont géré les fonds de l’UE n’emploient pas des extra terrestres. Leurs fonctionnaires ne sont ni plus ni moins experts que des centaines de togolais qualifiés et expérimentés en quête d’emplois présents sur le territoire. L’atout de ces organismes internationaux c’est qu’ils sont obligés à un minimum de sérieux… par leurs géniteurs néocolonialistes. Des Togolais et des Africains sérieux et qualifiés on en trouve assez. C’est à eux de se sélectionner, de s’organiser et de provoquer la culture de la générosité chez le peuple. Ils ont ce devoir moral et technique à accomplir pour induire le changement. C’est eux qui poseront l’acte courageux.
Une mission audacieuse pour des hommes exceptionnels
La barbarie systématique de soumission, d’exploitation et de bafouage des plus faibles par les plus forts techniquement n’est pas initiée par l’Afrique. L’Afrique y est entraînée de force. Mais elle doit pragmatiquement faire sienne ce jeu et le jouer jusqu’à terme de rémission de ses tourmenteurs sur son territoire.
Des hommes courageux avaient permis à l’Europe de ces derniers siècles d’entreprendre de grandes aventures et de réaliser de bons exploits bénéfiques à l’espèce humaine. Mais les téméraires et les fougueux ont pris le dessus dans cette aventure et imposent leur logique de la vie risquée sur une corde raide à tout le monde. Et c’est l’Afrique qui subit plus les affres de cette façon de voir la vie. Les hommes courageux de l’Afrique doivent se lever à l’unisson. A une mesure d’esprit de témérité politique d’un Sarkozy, l’Afrique a besoin d’opposer deux mesures d’esprit de courage politique pour la contenir dans les limites de la raison. A une mesure d’esprit de démence culturelle de la trempe d’un James Watson, l’Afrique a besoin d’opposer deux esprits de courage socioculturel pour l’éclairer sur le sens de la vie et la vérité pratique. A une mesure d’esprit de fougue mercantile de la trempe d’Elf au Congo, l’Afrique a besoin d’opposer deux mesures d’esprit de courage entrepreneurial pour la tenir en échec. Mais James Watson, Nicolas Sarkosy et Elf entre autres ne sont que la partie visible de l’iceberg. Nous commencerons par les saprophytes intérieurs de chez nous qui nous sucent en complicité avec l’étranger et nous exposent au monde comme des moins intelligents.
Le chantier est vaste et périlleux mais inévitable. Il faut des hommes exceptionnels. Tous les Africains sérieux estiment qu’il faut une révolution pour changer le sort actuel du continent. Une révolution ne se mène pas par les masses populaires. La révolution c’est une tâche pour les héros. Ce que les peuples font d’ordinaire c’est de parachever et légitimer les exploits des glorieux. Le peuple ne vient que trancher la tête de l’hydre et dépecer son corps terrassé par la bravoure des infimes courageux. Il y a un appel pressant pour les héros, ceux qui voudront s’engager pour faire rentrer l’Afrique dans la gloire. Il y a le besoin d’une catégorie de courageux et de généreux. Ce sera une minorité bien structurée pour constituer l’avant garde.
Le courage et la générosité sont encore rares. Il faut donc commencer par compter seulement sur une minorité noble pour mener la mission fondatrice. Le peuple fera sa part à temps opportun.
Michel Kinvi
17-11- 2007
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