Le vent de l’Est des années 90 n’a pas pu réussir la mutation démocratique dans tous les pays d’Afrique. Le Togo est un cas d’échec d’une démocratie mal négociée. Mais ce n’est que partie remise. Depuis le 19 août 2017, les Togolais ont décidé de liquider le reliquat d’une alternance avortée depuis les années 90. Pour le faire, ils se sont choisi un répondant. La date fétiche du 19 août a donc son Homme, Tikpi Salifou Atchadam. A travers cet homme aux aspirations nationales, le Togo veut bien saisir la balle au bond pour achever une mutation étouffée par les atermoiements d’une lutte de positionnement et de survie.
Celui qu’il convient désormais d’appeler l’homme du 19 août appartient à une entité régionale, la région centrale pour ne pas dire le monde tem. Il n’est pas un ange, il a ses qualités et défauts comme tout être mortel, mais les Togolais, de l’intérieur comme de la diaspora, ont trouvé en lui un modèle pour un dernier et ultime sursaut d’orgueil d’une lutte que la terre de nos aïeux est l’une des rares en Afrique à avoir échoué. Et puisque » nul n’est prophète chez lui », la plus grande difficulté qu’enregistre ce porte-étendard d’une lutte de libération se vit dans son bled. Non pas avec son peuple, mais ceux qui, pendant un demi-siècle se sont présentés, à tort ou à raison, comme les devanciers d’une région : les cadres Tem. Inutile de les nommer, soient-ils Tchamba, Bassar, que sais-je encore. Ils sont imbriqués les uns dans les autres par un «melting pot» linguistico-génotype et culturel; bref les devanciers de la région centrale.
Il est vrai, les premiers couacs de la lutte de libération a fait des dégâts humains, des têtes sont tombées. Le monde n’appartient pas à ceux qui se plaignent mais à ceux qui se battent. Alors, si en politique les grands hommes se définissent par la capacité à conquérir et conserver un pouvoir, Eyadema fut un grand homme. Le monsieur a subdivisé son peuple en trois castes: les premières, il les a géré par des discours aux relents régionalistes et le sentiment d’une prospérité conquise à conserver à vie, les seconds, il a su obtenir d’eux soumission et loyauté avec le pouvoir de l’argent, les troisièmes, il les sait difficiles à dompter, ils sont alors soumis à la discipline de la gâchette. Oui, ils sont nombreux, Kabyè, Mina, Tem et autres que la dictature n’a pas pu soumettre à son desideratum jusqu’à ce que le peloton d’exécution ne tire sur la gâchette. C’est ainsi que beaucoup sont tombés dans la région centrale au point de créer un faux semblant de peur, de résignation, qui, en réalité, n’est que repli stratégique.
Depuis l’avènement de la démocratie, le peuple togolais a été confronté à une dictature et à un refus de mutation de la part des dirigeants. En réponse à une soif de changement, la racaille dirigeante a servi une hostilité toujours répressive afin d’étouffer dans le sang et la peur une volonté de vivre comme les autres. Mais d’une région à l’autre, les outils de répression de la monarchie régnante n’ont pas eu le même effet. Dans la région centrale, ces derniers moments, les populations ont vécu les pires humiliations de leur existence, et on se demande qu’est-ce qu’il reste encore à leur servir ?
« Abandonner sa maison pour se réfugier dans une brousse sous les arbres. Pour les chanceux, des moustiquaires sont noués à quatre branches pendant que les enfants sont couchés sur un sol couvert de feuilles d’arbres. Être blessé à un moment où l’on est incapable d’aller se faire soigner de peur d’être enlevé par les bourreaux sur le lit d’hôpital est un sévices, une double blessure. Se cacher dans sa propre maison, y mourir de faim parce qu’on ne peut cuisiner de peur que militaires et milices sentent une présence humaine, est une torture. Laisser son vieux père ou sa vieille mère à la maison parce qu’on ne peut le transporter au moment où la famille se met en route vers une destination incertaine, est un affront ».
Juste un extrait de nos anciens écrits. Tout ceci s’est passé à notre siècle dans des villes qui s’appellent Sokodé, Bafilo ou Mango. Parce que quelqu’un tient un pouvoir qu’il refuse de
lâcher. Pour s’assurer que son pouvoir ne sera plus menacé, il décide d’écraser les contestataires comme de simples cafards et met les moyens pour y parvenir. Ministre de la défense, il impose jusqu’ici un siège militaire sur ces villes. Que reste-t-il encore à faire voir à un tel peuple ? Mango, Bafilo et Sokodé ne seront d’ailleurs pas les premiers à en faire l’expérience. A des degrés différents, cette méthode est une carte qu’on déplace de région en région au gré des besoins. C’est alors qu’en 2005, des villes entières comme Atakpamé, Aného, et des quartiers jugés hostiles de la capitale ont connu un sort quasi similaire. Mais d’un milieu à l’autre, les effets de telles pratiques criminelles n’ont pas le même effet. Si dans certains «bleds» il n’en faut pas plus pour étouffer dans l’œuf une soif de libération, dans d’autres, cette délinquance politique est devenue un ciment qui galvanise et sensibilise les populations sur la nécessité d’achever ce qu’ils ont commencé.
Oui, il existe de ces peuples qu’on n’intimide pas. Plus on les intimide, plus ils sont déterminés : mêmes bourreaux, mêmes méthodes, même peuple, différents résultats d’une région à l’autre. Le crime imposé à la région centrale a accouché d’un effet controversé, le crime a enfanté d’un dragon qui se dresse désormais sur la route d’une survie politique. Ces localités n’ont plus rien à perdre. Les plus à plaindre dans ce triste schéma, ce sont les esclaves de la monarchie, c’est-à-dire, les cadres de la région centrale. Ils sont nombreux, autant qu’ils sont, civiles ou militaires, dont leurs peuples ont été fiers à un moment donné. Qu’on les aime ou pas, qu’on soit de leur bord politique ou pas. Parce qu’ils représentent un peuple au sommet d’une sphère par leurs ascensions socio-politique, ils étaient un symbole d’une représentation sociale et géostratégique. Ils sont déjà au sommet de leurs ambitions, par instinct de conservation, ils auraient aimés que » le statu quo » demeure afin que survivent leurs privilèges, si privilèges ils en ont.
C’est donc malgré eux qu’un certain Atchadam, l’oiseau de mauvais augure d’une fin de règne, se réclame de leur milieu. Naturellement, ils caressent le rêve de voir échouer la cause portée par ce frère ennemi que personne n’a vu venir ou du moins dont on n’a pas vendu cher la peau. Personne n’est assez profane pour attendre d’eux une quelconque aide à cette lutte de libération. Jusqu’ici, ils sont excusables. Mais quand on se rend compte qu’après leur silence coupable des exactions mentionnées plus haut, ils reviennent remuer dans une plaie encore ouverte, on s’inquiète pour leur engagement citoyen. Quand on fait le bilan des atrocités vécues par la région centrale ou les Togolais disséminés ici et là sur la planète, on s’aperçoit que dans une grande proportion, ils sont initiateurs des coups tordus, si vils soient-ils, qui tentent vaille que vaille à étouffer la lutte de libération. Il existe alors de bonnes raisons de s’interroger.
Les meilleures alternances en Afrique sont souvent celles où le pouvoir est passé d’une main à l’autre entre les membres d’une même caste dirigeante. Mais les cadres de la région centrale sont libres de ne pas avoir d’ambition, on leur aurait d’ailleurs appris à ne pas en avoir. Mais de grâce, les générations montantes de Togolais ne croient plus en une monarchie mais en un changement. Du coup, si vous ne pouvez pas les aider, éviter d’être leur pire obstacle. C’est parmi vous que des cadres ont fait comprendre à la dictature que le seul langage que comprend votre peuple est la violence. L’armée appuyée de milices a donc envahi la région pour semer le désordre, le crime. Tout est passé par là, sauf le découragement, car de Mango à Sokodé en passant par Bafilo, un nouveau sentiment est né ; un sentiment qui anime tout peuple débout.
Les pratiques occultes les plus abjectes, vous en êtes le porte-flambeau parfois au risque de monnayer votre foi en Dieu dans des pratiques fétichistes. C’est encore à vous que la monarchie commande des missions impossibles tintées d’humiliations devant les vôtres. Êtes-vous nés après la honte ? Il a suffi d’une nuit de répression dans le quartier guerrier de Bè, à Lomé, pour que les cadres de ce milieu, de quelque bord qu’ils soient, se réunissent pour dire «basta» à la monarchie et à ses méthodes de répressions. Pendant que cela se passait, votre peuple était en exil au pays natal pour les mêmes pratiques contre lesquels vous n’avez jamais osé lever un seul doigt.
Privilège à conserver, diriez-vous ! De quels privilèges jouissez-vous de plus que les autres cadres des différentes régions? Vous êtes libres de vos choix en portant les mauvais rôles politiques. Autant vous êtes teigneux, autant votre peuple l’est. Et surtout, aussi longtemps que votre rôle sera de vous faire hara-kiri, vous ne pourrez qu’être porteurs des initiatives qui échouent et ternissent votre image, si vous en avez encore. N’oubliez pas que vous appartenez à une communauté où un adage très courant martèle que » les grands hommes sont ceux dont la renommée résiste à l’histoire « . Vous êtes libres de votre interprétation de cet adage. Mais laissez votre peuple faire sa part pour marquer une histoire. En dehors de la victoire finale, ni la baïonnette, ni l’argent, moins encore vos sauvages pratiques d’intimidation, rien ne peut le replonger dans son sommeil. Si c’est un crime de se mettre devant une lutte de libération nationale, votre peuple veut bien être le criminel de l’histoire d’un changement, il l’assume. Votre peuple est motivé par sa libération, tant pis pour vous si vous êtes motivés par vos privilèges. Vous, esclaves d’une monarchie au crépuscule !
Le Rendez-vous No.333 du 26 octobre 2018
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