Erosion côtière : Panorama des villages sinistrés

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Erosion côtière : Panorama des villages sinistrés

Une mince bande de terre d’environ 200 mètres sépare la côte des habitations. C’est le constat inquiétant qui se dégage de l’avancée inexorable de la mer sur la côte togolaise. De Goumou-Kopé à Baguida, les « dents de la mer » dévorent tout sur leur passage.

Ce mardi 19 août 2019, nous avons entrepris de parcourir la côte est togolaise. Notre randonnée a commencé à 15 heures de l’après-midi par le village Goumou-Kopé. A cette heure de la journée, l’océan est calme à part les ressacs moins violents qui viennent s’échouer sur le sable. Mais une vue rapide de l’endroit laisse penser à un combat silencieux aux effets ravageurs qui se joue sur la côte depuis des années. Une mince bande de terre d’environ 200 mètres sépare par endroits la mer des habitations !

A Goumou-Kopé, quelques arbustes sauvages en bordure de la mer et des habitations qui portent des stigmates de la furie de l’énorme masse d’eau bleue résistent encore. Mais pour combien de temps ? Déjà, des maisons, de par leurs aspects, montrent des signes d’un combat perdu d’avance. Aussi les habitants sont-ils gagnés par la résignation. Leurs cris de détresse sont loin de parvenir aux oreilles des conférenciers de COP 21, COP 22, COP 23, où des milliards sont dépensés mais paradoxalement, les décisions prises restent souvent au stade de la clôture de ces séminaires internationaux. Le climat est devenu un enjeu géopolitique que ne maîtrise pas Goumou-Kopé devenu une proie facile pour le grand bleu. De loin, l’océan regarde le centre de santé du village. Probablement sa prochaine victime. La mer n’aura pas beaucoup de mal à faire d’une seule bouchée l’unique unité de soins périphériques puisque les maisons ont déjà rendu leurs armes.

Là-bas, les populations n’ont que faire des discours assaisonnés de réchauffement, dérèglement climatique, taxe sur le carbone qui plaît bien aux bailleurs de fonds internationaux. La sémantique bien huilée leur sied bien. Le climat, c’est un business mondial auquel se livrent les ONG, les gouvernants au détriment des villages côtiers qui vivent le drame de l’avancée inexorable de l’océan. En longeant Goumou-Kopé et à quelques mètres de l’usine de traitement du phosphate de Kpémé, les déchets du minerai sont déversés de l’autre côté de ce qu’on peut appeler le vestige d’une route. Ils forment une montagne, une sorte de « digue » contre un éventuel déchaînement de la mer.
De Goumou-Kopé, nous sommes arrivés à Kpémé. Le village est multiethnique du fait de l’usine de traitement de phosphate qui emploie des travailleurs venus d’horizons divers. A la différence d’une ville minière qu’aurait dû être cette localité, Kpémé s’apparente à l’ouvrage Ville cruelle de l’écrivain camerounais Eza Boto. D’un côté, le quartier des nantis situé au sein de l’usine et celui des « indigènes ».

Et ce sont ces derniers qui sont à la merci de l’océan. Du terrain du CEG Folly-Gah, on peut apercevoir l’océan à moins de 200 mètres ! Une montagne de dépotoir joue accessoirement un rôle d’interface entre la mer et les habitations en paille. Le danger est permanent. Les populations subissent régulièrement les assauts de la mer. Aussi l’océan n’est plus nourricier. Les pêcheurs reviennent souvent de la mer avec de menus fretins. Pour les riverains, l’exutoire que constitue la mer aux déchets liquides du phosphate fait fuir les poissions au loin.

Alors que le soleil déclinait à l’horizon et tirait doucement son voile pour se coucher, nous atteignons Agbodrafo. Il y a des années que ce village a cessé d’être une station balnéaire pour les touristes. Dans les années 80 et jusqu’au début des années 90, il se raconte dans ce village que la plage était une fierté. Des touristes de l’hôtel « Le Lac » venaient se baigner. Pour les nostalgiques, il fallait marcher avant d’accéder à la plage. Mais aujourd’hui, une bonne partie de la côte se retrouve dans le ventre de l’océan qui n’a jamais affiché son appétit insatiable pour cette partie du Togo.

Des maisons, des routes, des bandes entières de cocoteraie sont englouties. Mais la mer n’est pas encore prête à signer un arrêt définitif de son œuvre destructrice. L’école primaire publique, l’église catholique et des maisons des pêcheurs qui résistent sont ses prochaines cibles. Déjà, les écoliers aperçoivent tous les matins les traces des vagues sur la cour de l’école. Ces visites nocturnes de l’océan sont des avertissements. Aussi les déchets de phosphates déversés le long de la route pour freiner l’avancée de la mer ont-ils montré leur limite. D’Agbodrafo à Baguida, le littoral est sous la menace de la masse d’eau bleue qui ne rencontre pas d’obstacle à sa progression. Les conséquences sont désastreuses sur le plan socio-économique.

L’érosion, un fait géographique maîtrisable

Aujourd’hui, on parle de plus en plus des déplacés climatiques pour désigner ceux qui sont obligés de quitter leurs terres à cause des catastrophes naturelles. Sur la côte togolaise, nombreux sont ceux qui vivent cette situation. Des villageois laissent derrière eux leurs terres ancestrales et la mer qui ne les nourrit véritablement plus. A Baguida Dowèvi-Kopé, les autorités traditionnelles sont à la recherche d’un domaine qui puisse accueillir des victimes de l’érosion côtière. Cette solution n’est pas sans soulever des tensions. Puisque très attachés à leurs terres, les habitants vivent cela comme une bonne partie de leur histoire qui se fond dans la mer.

A ces impacts culturels, s’ajoutent des actions anthropiques qui sont les véritables causes du déchaînement de la mer. « Au Togo, les dynamiques d’érosion et d’accumulation sur le littoral sont principalement liées à la présence du Port autonome de Lomé, qui est en eaux profondes. Ces ouvrages reconditionnent les courants d’eau, leurs circulations, les vagues, les flux de sédiments », indique l’océanographe Prof Adote Blim Blivi, responsable du Centre de gestion intégrée du littoral et de l’environnement (CGILE). « Le phénomène a déjà emporté deux voies bitumées, des cocoteraies, etc. Si rien n’est fait, la troisième route va partir », renchérit Wilson Kpoti Bahun, Hydro-géomorphologue.

Pour lui, l’origine de l’érosion remonte aux ouvrages du barrage d’Akossombo depuis la Haute volta au Ghana. Ce barrage constitue une retenue de sédiments qui crée un déficit en sédiments qui devraient nourrir la côte. Selon toujours l’hydro-géomorphologue, l’érosion côtière n’est plus un risque, c’est un fait géographique majeur que, dit-il, il va falloir maîtriser.

Ainsi, les autorités togolaises ont entrepris des actions pour freiner l’avancée de la mer. Il s’agit de la technique du pic de rochers qui protège la plage avec « des enrochements, des pavages constitués de gabions installés sur un socle en granite ». C’est un dispositif qui bloque les vagues contre la côte. Il a permis la construction de 9 épis qui servent à stabiliser la côte par endroits. Toutefois, il demeure que ce sont des palliatifs.

Source : www.icilome.com