Entretien exclusif/Le chef de file de l’opposition dresse le bilan de la crise et les contours du dialogue Jean-Pierre Fabre : « En politique, la naïveté peut être fatale »

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Entretien exclusif/Le chef de file de l’opposition dresse le bilan de la crise et les contours du dialogue Jean-Pierre Fabre : « En politique, la naïveté peut être fatale »

Infatigable artisan de la lutte pour la démocratie, l’Etat de droit et l’alternance au Togo, le chef de file de l’opposition est à tous les fronts depuis les années 1990. Depuis le début de la nouvelle crise, il est au four et au moulin tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays pour en fin « conclure cette lutte ». Le Président de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) dans cet entretien exclusif avec le bihebdomadaire « Le Correcteur » revient sur la répression du 2 décembre, la sortie du gouvernement et les contours du dialogue annoncé. Comme à son habitude, il appelle à plus de vigilance pour échapper aux ruses du pouvoir. Lecture

Le Correcteur : Que pensez-vous des violences exercées, le samedi 02 décembre, contre les personnes qui rentraient chez elles, après avoir pris part à la manifestation organisée par l’opposition ?

Jean-Pierre Fabre : J’aurais pu rentrer chez moi après la manifestation du 02 décembre dernier. Mon domicile n’étant pas loin du point de chute. Mais, alerté par ce qui se passait au nord de Lomé, devant le bar « 3 K », je me suis rendu sur les lieux. Ce que j’ai vu est d’une extrême gravité. Les forces de sécurité empêchaient celles et ceux qui ont pris part à la manifestation de rentrer à la maison, au motif qu’elles ont reçu l’ordre de « filtrer ». Une violence inqualifiable. Cette barbarie s’est soldée par un mort et des blessés graves. Nous la dénonçons et la condamnons avec la plus grande énergie. Ces événements nous rappellent, si besoin en est encore, que le régime que nous affrontons est un adepte invétéré de la duplicité. Et que dans le même temps qu’il prétend prendre des mesures d’apaisement, il met en œuvre une répression brutale pour décourager les populations de participer aux manifestations. Nous devons garder une vigilance de tous les instants.

Près de 4 mois de manifestations, quel bilan peut-on faire ?

Nous n’avons pas encore atteint l’objectif. Mais nous pouvons, à cette étape, dresser un bilan satisfaisant. Depuis 4 mois, la mobilisation est massive et ne faiblit pas. Au contraire, elle progresse à chaque manifestation. L’affluence de la dernière manifestation, celle du samedi 02 décembre, a battu tous les records. Nos experts l’ont estimée à plus de 600 000 personnes. C’est cette importante mobilisation des populations qui permet au monde entier de prendre conscience de la gravité de la crise togolaise.

Le Peuple togolais sait qu’il doit prendre son destin en main s’il veut mettre fin à la dictature des Gnassingbé. Le peuple togolais sait surtout qu’il a engagé une course de fond et qu’il doit faire preuve de la plus grande résistance et de la plus grande persévérance s’il veut réussir. C’est cette prise de conscience qui nous satisfait et nous rend confiant.

Que s’est-il passé les 21 et 22 novembre avec Alpha Condé à Paris ?

Votre question me surprend. Parce que les membres de la délégation de l’opposition, qui ont été invités par le Président Condé, ont rendu public un communiqué, à l’issue de cette rencontre. Le groupe des 14 partis de l’opposition a également publié une déclaration qui a fait état de cette rencontre. Et cela devrait suffire. Bien sûr, un document présenté comme « compte-rendu » de la rencontre et diffusé sur les réseaux sociaux a pu perturber ceux qui refusent de vérifier la vraisemblance des informations dont ils sont arrosés à longueur de journée. Le contenu de ce « compte rendu », œuvre de l’imagination fertile d’un esprit qui se veut malin, n’a rien à voir avec la réalité. Jamais, il n’a été évoqué au cours de la rencontre avec le Président Condé ni de transition, encore moins de Premier Ministre. C’est le lieu de s’interroger sur l’objectif réel des personnes qui vibrionnent autour de l’opposition, diffusant de fausses informations qui sèment la confusion.

Si votre question se réfère également aux publications de « La lettre du Continent » après la rencontre de Paris, je puis vous assurer que les informations de ce journal sont pures inventions. Elles visent à déstabiliser l’opposition pour l’affaiblir. En ce qui me concerne, il y a longtemps que je suis « vacciné » contre ce genre d’attaques malveillantes.

J’ai déjà eu à le préciser. Les discussions ont porté essentiellement sur les mesures d’apaisement préalables aux négociations. Elles ont été très sérieuses. Nous avons eu le sentiment que le président Condé qui, avant d’accéder au pouvoir, a fait l’expérience d’une opposition difficile, nous a compris. Voilà pourquoi, il a dépêché à Lomé, son conseiller personnel, le Ministre d’Etat Tibou Camara pour aider à la réalisation des mesures d’apaisement dont nous lui avons remis la liste.

Les premières mesures vous satisfont-elles ?

Si vous évoquez la libération des imams de Sokodé et de Bafilo, le vendredi 08 décembre courant, nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais beaucoup reste à faire. Nous attendons les libérations des jeunes de l’ANC, détenus depuis 5 ans, dans le cadre de cette sordide affaire des incendies des marchés de Lomé et de Kara. Nous attendons également la libération de tous les autres détenus ainsi que ceux de la société civile.

Quelle est votre réaction après la conférence de presse du gouvernement, le jeudi 07 décembre dernier ?

Les affirmations contenues dans la déclaration liminaire procèdent d’un déni de la réalité. Pour moi, cette conférence de presse a été un exercice inutile qui n’a fait qu’exacerber la tension. Le gouvernement prétend vouloir prendre des mesures d’apaisement dans le même temps qu’il annonce le procès des personnes détenues dans le cadre de l’affaire des incendies des marchés, personnes dont il sait très bien qu’elles ne sont coupables de rien. Drôles de démarches d’apaisement. Le plus grave est que le gouvernement annonce qu’il va inviter les partis politiques pour discuter du cadre des négociations. Il oublie qu’il n’est qu’un des protagonistes de la crise et que le médiateur ghanéen s’est déjà chargé de cela.

A quand finalement le début du dialogue ?

Quand toutes les mesures figurant sur la liste remise au président Condé seront effectives. Elles constituent un ensemble dont chaque élément a une importance égale à celle de l’autre.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que vos préalables bloquent l’ouverture des discussions?

Celui qui tente de critiquer l’extrême prudence dont nous faisons preuve est un doux rêveur. Ne pas savoir tirer les leçons de l’expérience est impardonnable. En politique plus que dans la vie, la naïveté peut être fatale.

Je ne souhaite à personne d’être injustement jeté en prison. Mais ceux qui tiennent les propos irresponsables dont vous faites état, seront bien contents, le jour où ils se trouveront malheureusement dans cette situation, que des compatriotes se préoccupent de leur sort et se battent pour leur libération.

Depuis quelques semaines, le chef de l’État est bien présent un peu partout dans le pays. Que répondez- vous à ceux qui pensent que pendant que vous marchez, Faure Gnassingbé travaille ?

Que ce n’est pas parce que nous marchons que nous ne travaillons pas. D’ailleurs, c’est justement parce que nous travaillons que les populations se mobilisent aussi massivement à notre appel. Au demeurant, ce sont les sorties massives des populations dans les rues sur l’étendue du territoire qui contraignent le Chef de l’Etat à parcourir le pays, pour tenter de sauver un régime aux abois, rejeté sans appel du dedans comme du dehors !

Un message à l’endroit des Togolais ?

Je rends tout d’abord hommage au Peuple togolais pour sa détermination et pour les sacrifices qu’il consent quotidiennement pour faire aboutir sa lutte. Je lui demande de faire confiance au regroupement des 14 partis de l’opposition qui œuvrent à la réalisation des aspirations de tous. Nous devons tous demeurer extrêmement vigilants pour faire la part des choses, face aux ruses du pouvoir et de certains individus missionnés pour déstabiliser la mobilisation populaire. Car à l’étape actuelle de notre lutte commune, aucun des représentants des 14 ne saurait rien faire d’autre que de défendre et d’obtenir les revendications clairement exprimées par les Togolaise et les Togolais qui se mobilisent massivement dans les rues au Togo et à l’étranger.

J’appelle donc l’ensemble des populations à répondre massivement au rendez-vous des manifestations de cette semaine, les mercredi 13, jeudi 14 et samedi 16 décembre 2017.

Interview réalisée par Honoré ADONTUI

Source : www.icilome.com