Connu pour son humilité, sa disponibilité et sa lucidité politique, le Secrétaire National du Pacte Socialiste pour le Renouveau (PSR) reste une des éminences grises de la coalition des 14 partis politiques de l’opposition. Doyen de la Faculté des Droits à l’Université de Lomé, Professeur Wolou Komi dans cet entretien exclusif à la Rédaction de « Le Correcteur » est largement revenu sur les principaux sujets brûlants de l’actualité.
Le Correcteur : A deux semaines du Sommet tant attendu de la CEDEAO à Lomé, comment vivez-vous cette attente?
Prof Wolou Komi : Je voudrais d’abord vous remercier d’avoir bien voulu solliciter mon point de vue sur l’actualité de notre pays et sur des questions d’une importance capitale. Je salue ensuite tous les lecteurs. A vrai dire, j’attends ce sommet avec sérénité. Cette sérénité ne tient pas forcément aux solutions que le sommet va préconiser. Elle tient en ma conviction qu’il n’est pas possible de s’opposer indéfiniment aux aspirations légitimes d’un peuple. Les revendications dont nous sommes porteurs sont la traduction des aspirations profondes d’un peuple martyrisé. Aucune institution, sous peine de se discréditer, ne peut les balayer du revers de la main. A supposer que la CEDEAO rame à contrecourant, je n’ai pas de doute que le peuple togolais a son sort entre ses mains. Il sera au rendez-vous de l’histoire.
Quel devait être le scénario idéal pour vous à la Coalition des 14 partis politiques de l’opposition ?
Depuis le début, nous avons formulé de façon claire nos revendications. Récemment encore nous avons exprimé aux facilitateurs notre vision sur le schéma de sortie de crise.
Nous devons forcément passer par une période de transition assortie d’une feuille de route très claire. L’objectif de la transition sera de réaliser en profondeur les révisions constitutionnelles et les réformes électorales indispensables. Elle permettra aussi de créer les conditions d’une égalité des armes dans les compétitions électorales, la mise en place d’institutions républicaines réellement indépendantes et l’amorce d’une bonne gouvernance ouvrant la voie à une résolution pertinente des problèmes sociaux de notre pays. La transition prendra fin avec les différentes élections. Il est clair que l’actuel chef de l’Etat ne devra pas être candidat à ces élections. Il s’agit non seulement d’une aspiration profonde du peuple mais aussi une exigence conforme aux valeurs démocratiques d’alternance. Cette exigence est encore plus forte dans les pays africains où les risques de personnalisation du pouvoir sont très élevés, les obstacles à la transparence très nombreux et les contrepouvoirs souvent très affaiblis. Il ne s’agit pas d’exclure une personne des élections. Une appréhension intelligible du droit et les réalités du contexte togolais le commandent.
En cas d’échec, que pourrait-il se passer?
Il est difficile de prévoir avec certitude l’évolution de la situation. Mais ce que je sais, c’est que le Peuple togolais ne se laissera plus avilir pour longtemps. Il doit sortir de l’esclavage, même s’il doit en payer le prix. Une grande partie du Peuple en a pris conscience.
Certains observateurs estiment que la CEDEAO ne peut pas intimer à Faure Gnassingbé de ne pas candidater en 2020, ce qui est d’ailleurs la pomme de discorde entre vous et le pouvoir
Cette analyse n’est pas fausse. D’abord, le langage dit diplomatique qui conduit parfois à diluer la vérité au point de l’altérer peut expliquer cette situation. Il y a aussi d’autres raisons que je préfère taire pour l’instant. Je veux simplement dire que la CEDEAO joue actuellement sa crédibilité. Le risque d’un divorce entre la CEDEAO des présidents et la CEDEAO des peuples est réel. Si la CEDEAO forme vraiment une communauté, alors les chefs d’Etat doivent répondre dans leur pays respectif de la gestion qu’ils font de la crise togolaise. Le peuple togolais doit y veiller. Je voudrais solennellement et avec humilité dire aux chefs d’Etat qu’il est préférable pour eux d’échouer en proclamant des valeurs démocratiques plutôt que de donner l’impression de promouvoir la dictature. Ils ne peuvent pas proposer aux Togolais ce qui n’est plus admissible dans leur pays. Le peuple pourrait considérer cela comme une provocation. Sur ce point, je sais que le peuple togolais peut compter sur certains chefs d’Etat. Mon souhait est qu’ils forment une majorité déterminante. Dans tous les cas, le peuple togolais défendra son honneur.
Pourquoi entre acteurs togolais, vous ne vous retrouvez pas et vous attendez toujours les facilitateurs de la CEDEAO ?
L’idéal aurait voulu que les Togolais discutent entre eux plutôt que d’attendre les facilitateurs de la CEDEAO. Encore faut-il que le régime soit de bonne foi ; encore faut-il que la conservation du pouvoir ne soit pas une finalité obsessionnelle pour le président Faure ; encore faut-il que les cadres de UNIR s’affranchissent de l’autorité étouffante et paralysante du chef de l’Etat pour s’ouvrir à des discussions sincères qui permettent un nouveau départ dans l’intérêt suprême du Togo. Ils sont conscients du fardeau que constitue pour le Togo la personne du président Faure pour tout ce qu’il est et ce qu’il a fait. Malheureusement, ils ne veulent pas prendre leur responsabilité devant l’histoire. Dans ces conditions, toute discussion sincère entre nous devient une illusion.
Le statu quo n’est plus possible au Togo selon Emmanuel Macron. Comment comprenez-vous ce bout de phrase?
Le statu quo n’a pas plusieurs sens dans le contexte togolais. C’est la confiscation du pouvoir par une famille aux moyens de la violence d’Etat, des fraudes électorales et l’accaparement des ressources nationales. Cette confiscation fait de la séparation des pouvoirs une fiction et perturbe les mécanismes de fonctionnement et de régulation des différents pouvoirs de l’Etat. Il en a résulté une mauvaise gouvernance et une misère grandissante du peuple sur tous les plans. C’est cette situation qui doit cesser en commençant par l’avènement d’une alternance politique.
La reprise des manifestations sur toutes l’étendue du territoire tel que annoncée par votre communiqué du 10 juillet, est-ce un test avant le sommet de la CEDEAO ?
C’est l’expression et la jouissance d’une liberté fondamentale. C’est la traduction d’une liberté politique. Elle n’a pas à être justifiée.
Mais vos dernières manifestations n’ont pas connu franc succès
La volonté populaire d’en finir avec la dictature est intacte. Votre affirmation est à relativiser. N’oubliez pas le déploiement militaire et les actes de barbaries destinés à mettre fin à l’exercice d’un droit fondamental. J’en profite pour dire aux militaires que, sous le régime de Faure GNASSINGBE, ils ne sont pas mieux lotis ou plus heureux que nous qui sommes engagés dans cette lutte en vue de l’avènement d’une société plus juste pour nous tous. Nous luttons pour eux, nous luttons pour leurs enfants, nous luttons pour toutes les ethnies. Chacun a intérêt à réfléchir sur la portée de ses actes.
Que dites-vous des railleries de certains danseurs Evala à l’endroit de Tikpi Atchadam devant le chef de l’Etat le 12 juillet dernier à Pya dans la Kozah ?
Sur les railleries de certains danseurs à l’endroit de Tikpi, il faut considérer cela comme un non événement. Je ne m’y connais pas bien ; mais je crois savoir que dans les coutumes Kabyè, cette pratique a souvent cours. C’est parfois de l’ordre des plaisanteries. Ces railleries n’enlèvent rien à la lutte menée par Tikpi. Je ne crois pas que lui-même en soit affecté de quelque manière que ce soit.
Il semble que la question de participation à une éventuelle élection divise au sein de la C14
Je ne suis pas informé de cette division. Le schéma de sortie de crise que j’ai déjà rappelé est celui que nous avions tous adopté au sein de la coalition. Aucune structure de la C14 pour l’instant ne conteste ce schéma. Avec la grâce du Seigneur, il en sera toujours ainsi.
La morgue du CHU Sylvanus Olympio de Lomé fermée pour 3 mois à compter du 14 juillet pour des travaux de réfection, pensez-vous que c’est le plus urgent ?
Il peut paraître à première vue surprenant que des travaux de réfection soient réalisés à la morgue alors que les structures de soins sont dans des besoins indiscutables. Mais il faut rester lucide et mesuré. Lorsqu’une famille est en deuil, s’il faut que s’ajoutent encore des problèmes se rapportant à la conservation du corps, ce serait ajouter la douleur à la douleur. Même si on laissait tomber la réfection de la morgue, toutes les questions de santé dans notre pays ne seraient pas pour autant réglées. Le souhait est qu’on en arrive assez rapidement à une gouvernance exemplaire pour dégager les moyens nécessaires pour sortir le secteur de la santé de son état déplorable.
La Ligue Togolaise des Consommateurs a saisi le Procureur Général de Lomé sur plusieurs cas de corruption et de malversations des deniers publics révélés ces derniers temps par la presse. Que pensez-vous de l’initiative et quelle suite pour un dossier de ce genre au Togo ?
L’initiative en soi est louable. En principe, dans un Etat démocratique, lorsqu’il y a des indices qui font soupçonner l’existence d’une infraction, le parquet devrait s’investir pour s’assurer de la crédibilité des indices et éventuellement poursuivre l’auteur présumé. Quand bien même dans notre système juridique le ministère public est juge de l’opportunité des poursuites, pour certaines infractions qui sont de nature à compromettre radicalement l’intérêt général, il devrait forcément examiner la situation et poursuivre le prévenu. Malheureusement au Togo, cette exigence d’un Etat de droit n’est pas toujours respectée. S’agissant de la suite probable, tout dépendra de la volonté du régime en place. Or on le sait, la fidélité au régime est cause d’immunité judiciaire s’agissant des détournements. C’est la constitution de partie civile qui aurait eu pour effet de paralyser le pouvoir du ministère public à juger de l’opportunité des poursuites. Encore faut-il que le juge d’instruction accepte de jouer pleinement son rôle et de ne pas se subordonner au pouvoir politique. Mon sentiment est qu’en l’état actuel, la magistrature togolaise n’est pas encore prête à assumer pleinement son rôle. Lorsque dans un pays tout s’écroule et que la magistrature tient debout, il y a espoir d’une reconstitution rapide de l’Etat de droit. La fonction de juger est très noble, très exigeante ; elle nécessite une hauteur d’esprit. Nous avons le devoir aussi de le rappeler au pouvoir judiciaire.
Un appel à lancer en guise de conclusion ?
En conclusion, je rappelle au peuple togolais que rien ne peut arrêter un peuple décidé à conquérir sa dignité. On ne lutte pas par procuration. Cette lutte concerne tout le monde. Si nous sommes unis, si nous sommes déterminés rien ne peut nous arrêter. Nous obtiendrons tout ce que nous voulons. Notre lutte n’est pas en faveur ou contre une religion, une ethnie, un parti politique, une institution de l’Etat. Nous luttons pour que tous nous soyons vraiment des frères et sœurs, traités de manière équitable, jouissant tous de nos droits et répondant tous à nos obligations. Que la grâce du Seigneur soit sur notre pays.
Propos recueillis par Honoré ADONTUI
Source : www.icilome.com