Il était en tournée en Europe lorsqu’intervient la sanglante répression des manifestations du Parti National Panafricain (PNP) à Sokodé du 19 août. Le chef de file de l’opposition a dû écourter sa mission européenne qui devait le conduire également en Amérique notamment aux Etats Unis et au Canada. Depuis son retour au Togo le mercredi 23 août en début de soirée, Jean-Pierre Fabre n’a de cesse de multiplier les réunions avec les acteurs principaux de la lutte. Et s’il y a un acteur en dépit de tout, qui continue de croire à la rue et bien évidemment à la lutte populaire, c’est bien le Président National de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC). Pour lui, il n’est plus question de laisser éteindre l’effeversence populaire qui s’est emparée du Togo depuis le 19 août. Pour cela, toutes les forces démocratiques doivent être plus mobilisées et déterminées que jamais.
Entre trois (3) à quatre (4) réunions au quotidien, le chef de file de l’opposition apparaît plus requinqué et revigoré à une semaine de la grande mobilisation nationale les 06 et 07 septembre dans les villes que voici : Cinkassé, Mandouri, Gando, Tandjouare, Dapaong, Mango, Kanté, Niamtougou, Kara, Pagouda, Bafilo, Bassar, Guérin-Kouka, Sokodé, Tchamba, Sotouboua, Blitta, Anié, Atakpamé, Heheatro, Amlame, Badou, Kougnowou, Adeta, Dayi Elavagnon, Dayi Apeyeme, Dayi Ndigbe, Kpalime, Agou, Assahoun, Kévé, Lomé, Aného, Vogan, Tabligbo, Afagnan, Tsevié, Notsè Tohoun …
Dans cet entretien exclusif accordé à la Rédaction de « Le Correcteur », l’acteur politique togolais le plus mobile à travers le pays estime que « nous devons lutter de toutes nos forces pour que les moments que nous vivons soient les derniers soubresauts du régime RPT/UNIR ». Pour Jean-Pierre Fabre, le peuple a « le devoir de conclure cette fois-ci, cette lutte qui n’a que trop duré ».
Il aborde dans cet entretien en filigrane, l’unicité d’action retrouvée au sein des forces démocratiques, les manifestations du parti au pouvoir et celles prévues les 06 et 07 septembre par la Coalition CAP 2015, Groupe des Six et PNP. « J’ai énormément confiance au peuple togolais pour se libérer », a-t-il fulminé avant de prendre congé de nous pour une réunion en début d’après-midi de mercredi 30 août avec l’ensemble des forces en lutte pour la démocratie et l’alternance au Togo.
Le Correcteur : Quelles peuvent être les principales raisons de la situation actuelle au Togo ?
Jean-Pierre Fabre : La situation actuelle était prévisible. Elle est le résultat d’une longue maturation. Tout observateur avisé de la vie politique togolaise devrait s’y attendre. Rappelez-vous la dernière phrase de l’entretien que je vous ai accordé, il y a quelques mois, je crois en avril 2017 [13 avril]. Je vous disais textuellement : « La situation actuelle peut être celle qui précède l’explosion. Elle en a toutes les caractéristiques, elle en possède tous les ingrédients». Nous y sommes !
Tous les Togolais connaissent les principales raisons de la tension actuelle. Depuis plusieurs décennies, le pays connaît une crise profonde. Depuis 1963, plus d’un demi-siècle, le Togo est une dictature militaire à la fois brutale, sanglante et sournoise. Malgré tous nos efforts, rien n’a pratiquement changé. En dépit d’un multipartisme qui n’est finalement qu’apparent.
La violente succession dynastique de février 2005, à la mort du dictateur Gnassingbé Eyadéma – 500 morts reconnus dans le rapport Doudou Dienne d’établissement des faits de l’ONU- n’a fait qu’aggraver une situation déjà déliquescente. La Conférence des Evêques du Togo (CET), dans ses deux dernières Lettres Pastorales, d’avril 2016 et d’avril 2017, établit un diagnostic accablant et sans complaisance de cette situation. Les Eglises Evangéliques et Méthodistes du Togo dressent également dans leur lettre pastorale publiée en juin 2017, le même constat d’une situation caractérisée notamment par la violence, l’arbitraire, le pillage des ressources de l’Etat par une minorité, aux dires du Chef de l’Etat lui-même (26 avril 2012), la violation permanente de la Constitution et des lois, l’incurie de toutes les institutions de l’Etat, la corruption, le tribalisme, l’affairisme au sommet de l’Etat, l’impunité. Sans oublier une « magistrature couchée » à la solde du pouvoir. Selon ces autorités morales, la situation est explosive. Pour elles, « le calme actuel n’est qu’apparent, c’est celui qui précède la tempête. »
Naturellement, une si longue crise politique se double inévitablement d’une crise économique et sociale. Selon le dernier rapport du FMI, plusieurs indicateurs macroéconomiques sont au rouge. La dette a explosé, hypothéquant l’avenir des Togolais. Les infrastructures sanitaires, éducatives et routières sont dans un état délabré, indigne d’un pays préoccupé d’assurer le minimum de bien-être à sa population. Le chômage des jeunes atteint un niveau scandaleux, créant un lumpenprolétariat qui grossit dangereusement. La misère gagne inexorablement les villes et les campagnes. Alors qu’une minorité conduite par le chef de l’Etat, se pavane dans l’opulence.
Au lieu de respecter les engagements pris, au lieu de mettre en œuvre les diverses recommandations formulées pour une sortie de crise dans ces lettres pastorales comme dans le rapport de la Commission Vérité Justice Réconciliation (CVJR), le régime RPT/UNIR se livre à de coûteuses opérations de marketing politique, qui se traduisent notamment par l’acceptation par notre pays d’abriter des conférences et sommets internationaux (sécurité maritime, Israël-Afrique, AGOA, OIF etc.) dans le seul objectif de s’octroyer auprès de la communauté internationale, la légitimité qui lui fait cruellement défaut au plan national.
Le sentiment largement partagé au sein des populations est que Monsieur Faure Gnassingbé et sa cour usent de tous les subterfuges possibles pour rester indéfiniment au pouvoir. Le refus obstiné de mettre en œuvre l’Accord Politique Global (APG) et la mise en place unilatérale d’une Commission de Réflexion sur les Réformes Politiques, en tournée nationale malgré le rejet absolu dont elle est l’objet de la part des populations, sont perçus comme une provocation inacceptable.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est la sanglante répression de la manifestation du PNP le 19 août dernier. La violence de cette répression, après les menaces du ministre de la sécurité, achève de démontrer que la vie humaine n’a aucun prix devant l’obsession du régime RPT/UNIR de se maintenir au pouvoir par tous les moyens. Le bilan des manifestations de contestation du RPT/UNIR depuis des années, avec ses nombreux morts, amène les populations à prendre conscience que la liste macabre des victimes de ce régime peut s’allonger indéfiniment si une action énergique ne l’arrêtait pas.
Voilà pourquoi, le mot d’ordre des populations togolaises est désormais « Faure doit partir ».
Peut-on parler de déclic avec la convergence spontanée de vue des forces démocratiques ?
Peut-être. Cette convergence de vue est importante, notamment pour éviter une cacophonie préjudiciable à l’unicité d’action. Mais l’élément déterminant est la mobilisation de la population. Cela fait longtemps que nous y travaillons inlassablement, par les meetings de quartier à Lomé et les tournées à l’intérieur du pays, quelques fois sous le regard moqueur de certains. Je n’ai jamais cru à l’idée selon laquelle, « le Peuple est fatigué ». Simplement parce que, aucun peuple digne de ce nom ne peut se dire « fatigué » de lutter pour sa libération sauf à être adepte de la servitude volontaire. Le Peuple togolais a démontré pendant la lutte pour l’indépendance qu’il est un Peuple fier et jaloux de sa liberté. Je suis persuadé que c’est le pouvoir en place qui instillait cette idée pour démobiliser les populations. Averti qu’il est, qu’un Peuple mobilisé est redoutable. Félicitons-nous de l’état de mobilisation de nos populations sur toute l’étendue du territoire national, tel qu’elles l’ont démontré aussi bien lors des dernières manifestations de l’opposition que de la tournée de la fameuse «Commission de Réflexion sur les réformes…»
Comment se sont passées les discussions pour aboutir à l’entente actuelle entre le G6, CAP 2015 et le PNP ?
Avec le niveau de provocation atteint par le régime RPT/UNIR, il n’est pas besoin de beaucoup d’effort pour se mettre d’accord sur la nécessité de son éradication. L’entente s’impose, sous le regard vigilant des populations. Toute tentative de ramer à contre-courant, au prétexte de jouer au « modéré », comme par le passé, se paiera cash.
A quoi peut-on s’attendre aux manifestations des 06 et 07 septembre 2017 ?
Rires! Naturellement, si je le savais, je ne vous le dirais pas. Mais notre objectif est d’exercer le maximum de pression pour obtenir la fin de l’oppression du Peuple togolais par le régime RPT/UNIR. Les Togolais ont compris que le pouvoir en place n’œuvre pas pour leur bien-être, mais n’est préoccupé que par le pillage des ressources du pays.
Pourquoi avez-vous reporté la tenue de vos manifestations de cette semaine ?
Reculer la tenue d’une manifestation pour les responsables politiques que nous sommes, et quelle qu’en soit la raison, ne devrait susciter ni critiques ni invectives. En ce moment crucial, très sensible, nous devons garder la tête froide et faire preuve de rigueur. Depuis 1991, nous avons connu des situations qui nous semblaient favorables et que par précipitation, excitation et calculs, nous avons gâchées. Prenons garde de ne pas recommencer. Il y a trop de donneurs de leçons. Il y a trop d’inexactitudes et de manipulations. Nous avons le devoir de conclure cette fois-ci, cette lutte qui n’a que trop duré.
Que vous inspirent les manifestations organisées par le parti au pouvoir UNIR ?
C’est une bonne nouvelle pour nous que la machine du RPT/UNIR se sente obligée d’organiser des manifestations. Incontestablement, c’est une première victoire de l’opposition, car, c’est l’expression d’un ébranlement du système.
Lorsque, pour trouver des manifestants, il leur a fallu dépeupler les services publics et les casernes, intéresser ceux qu’ils ont rendus nécessiteux, et les rassembler autour du Chef du gouvernement lui-même, des membres du gouvernement et des directeurs généraux des sociétés d’Etat, mus par la seule préservation de leurs privilèges, c’est donner l’illustration de la faillite du système en place depuis plus d’un demi-siècle. Que le pouvoir manifeste pour contester la nécessité de réformes auxquelles le gouvernement s’est pourtant engagé dans l’APG depuis onze ans, est tout simplement incongru. Le Togo est vraiment malade !
Lorsque les auteurs et commanditaires de violences et de violations de droits humains, de corruption, de gabegie et de pillage de ressources nationales se jettent dans la rue pour revendiquer leurs privilèges et autres passe- droits, en mettant à contribution les instituons de la République et en y contraignant l’administration publique, c’est confirmer à la face du monde, la crise profonde et l’impasse qui sont le lot du Togo depuis plus de cinq décennies.
La présence parmi les manifestants de Présidents d’institutions, témoigne de l’urgence et la nécessité de profondes réformes politiques dans notre pays. Car les hautes fonctions qu’occupent ces Présidents et l’obligation de neutralité qui en découle les éloignent de ce genre de manifestation. On comprend dès lors, pourquoi le régime RPT/UNIR a impunément recours à la fraude électorale, à la falsification et aux violations de la Constitution et des lois.
Le contenu de leur message à l’issue de la manifestation n’est guère surprenant. On ne peut attendre autre chose d’adeptes invétérés de la duplicité qui donnent aux populations le sentiment qu’ils vivent sur une autre planète. J’espère qu’ils ont au moins compris qu’il arrive un moment où les stratégies de la violence, de l’autruche et du tribalisme atteignent leurs limites. Et que ce moment est arrivé au Togo.
Un appel à l’endroit du gouvernement, de l’ensemble de l’opposition et du peuple
Les dernières manifestations de l’opposition togolaise, notamment celles des 03 et 19 août 2017, ont confirmé sur toute l’étendue du territoire national le ras-le-bol pour ne pas dire le rejet absolu du régime RPT/UNIR par les populations togolaises. La lutte pour la démocratie, l’Etat de droit et l’alternance au Togo, n’est dirigée contre aucune région, aucune ethnie. Elle vise en revanche à mettre fin au règne d’une minorité, d’un clan qui pille les richesses nationales.
Monsieur Faure Gnassingbé n’a aujourd’hui aucune légitimité puisqu’il a refusé la mise en œuvre de l’APG, qui lui aurait conféré cette légitimité. Il n’ignore pas qu’il n’a jamais gagné aucune élection. Présidentielle de 2005, massacre de populations ; présidentielle de 2010, confiscation des procès-verbaux du candidat Jean-Pierre Fabre par la Gendarmerie ; présidentielle de 2015, proclamation des résultats alors que seuls, les résultats de 14 CELI sur 42 ont été délibérés. J’invite, en conséquence, le pouvoir en place à faire preuve de lucidité et de responsabilité pour faciliter son départ.
J’exhorte la classe politique à continuer de faire preuve de détermination, de cohésion et d’unité.
Je lance un appel solennel au peuple togolais, afin qu’il maintienne une vigilance de tous les instants et qu’il demeure mobilisé pour participer massivement aux manifestations des 06 et 07 septembre 2017 afin de mettre fin au régime RPT/UNIR.
Je prends l’engagement solennel de tout mettre en œuvre pour empêcher toute dilapidation de la mobilisation populaire par la classe politique. Nous devons lutter de toutes nos forces pour que les moments que nous vivons soient les derniers soubresauts du régime RPT/UNIR.
Je demande enfin, à tous mes compatriotes du territoire national comme de la diaspora, de consacrer la journée du lundi 04 septembre 2017, au jeûne et à la prière pour remettre cette dernière phase du combat pour la libération du Togo, entre les mains de DIEU. Car, c’est lui qui change les temps et les circonstances.
Entretien réalisé par Honoré ADONTUI
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