Enquête exclusive : Affaire Gbikinti /Maranatha – FTF Les dessous scabreux d’une procédure plombée par la présidente de la chambre d’instruction La commission de recours sollicitée pour faire justice

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Il se passe des choses ahurissantes à la Fédération Togolaise de Football (FTF) dans le traitement de l’affaire opposant la FTF (plaignante) et les clubs Maranatha FC et Gbikinti FC (accusés).

Les deux clubs, lors de la dernière journée du championnat D1 disputée le 28 mai 2017, ont réussi un exploit retentissant en créant l’événement le plus commenté de la saison. La formation de Fiokpo, qui s’est illustrée comme l’une des plus performantes de la saison, s’est laissé laminer par son adversaire du jour qui lui a infligé un historique 11 buts à zéro. Sur fond de corruption et d’arrangement. Un score qui a hérissé les poils et attiré toutes les curiosités dans la sphère du football, même au-delà de nos frontières. La FTF a réagi et une procédure est ouverte par la Chambre d’instruction de la Commission d’éthique. Dans une enquête exclusive, La Symphonie revient étape par étape sur la conduite de cette procédure, que la présidente de la Chambre d’instruction, Mme Klevo Nutifafa, a tenté de plomber en faveur des accusés.

La FTF se lance…

Dans la foulée, la réaction de la FTF était très attendue après ce match ‘’bizarre’’. Elle ne s’est pas fait attendre, le comité exécutif (Comex) suspend provisoirement Maranatha de Fiokpo et Gbikinti de Bassar de toute activité qu’elle organise conformément à l’alinéa 4 de l’article 65 des statuts de la FTF. Par courrier en date du 29 mai 2017, le Comex saisit la Chambre d’Instruction de la Commission d’Ethique aux fins d’enquêter sur les infractions potentielles aux dispositions du Code d’Ethique relativement à ce match.

La procédure et ses nombreuses violations

La chambre d’instruction, estimant que le motif de la saisine de la FTF constitue une infraction, ouvre la procédure d’instruction, mène des enquêtes, avant d’ouvrir par la suite une information. Le 7 août dernier, à la surprise générale, en violation des dispositions du Code éthique, la chambre d’instruction clôt le dossier et prononce un non-lieu. « Attendu qu’aux termes de l’article 28-1 du Code d’Ethique de la FTF: « A son entière discrétion et en toute indépendance, la chambre d’instruction peut décider d’enquêter sur les infractions potentielles aux dispositions du présent code que ce soit de sa propre initiative ou ex officio. »; Attendu qu’aux termes de l’article 52 du code précité, « le fardeau de la preuve des infractions aux dispositions du présent code incombe à la commission d’éthique. »; Attendu que l’article 46 dudit code prévoit au titre des moyens de preuve: les documents, les rapports d’officiels, les déclarations des parties, les déclarations des témoins, les enregistrements audio ou vidéo, les avis d’experts, toute autre preuve pertinente pour le cas d’espèce…[…] Attendu qu’au regard de tout ce qui précède, il ne résulte pas, en l’espèce, de l’information, charges suffisantes contre les clubs GBIKINTI FC de Bassar et MARANATHA FC de Fiokpo, d’avoir commis les faits d’arrangement de match mis à leur charge; qu’il échet de dire qu’il n’y a pas lieu à suivre contre eux de ce chef et en conséquence, de clore le dossier. »

– Incompétence à clore le dossier

La motivation on ne peut plus légère de cette décision pour le moins expéditive laisse pantoise toute personne à cœur de lire et comprendre les textes de la FTF par le prisme du droit et de l’impartialité. Prenons l’article 28 du Code éthique évoqué par la présidente de la Chambre d’instruction. Les alinéas 3 et 5 disposent: al 3: Si la chambre d’instruction estime que le cas évoqué constitue une infraction, elle ouvre une procédure d’instruction et mène les enquêtes adéquates. Elle analyse les circonstances aggravantes et atténuantes de la même manière.; al 5: une fois que l’instruction a été conclue, la chambre d’instruction prépare un rapport final sur la procédure d’instruction et le transmet à la chambre de jugement avec le dossier de l’enquête ; un ou plusieurs membres de la chambre d’instruction présentera le cas devant la chambre de jugement s’il est procédé à une audience. En cas de recommandation de prise de sanctions, le rapport final doit mentionner les comportements punissables ainsi que les possibles infractions à la réglementation. » A l’interprétation, à partir du moment où la chambre d’instruction établit, sur la base des premiers éléments de preuve fournis par le plaignant, que le cas évoqué peut constituer une infraction, les alinéas 1 et 2 de l’article 28 tombent, et par conséquent, la chambre d’instruction n’a plus compétence à clore le dossier. Ces dispositions sont renforcées par les articles 57 et 58 du même Code d’éthique: article 67 : « Si le chargé d’instruction a clôturé l’instruction, il doit informer les parties que la procédure d’instruction a été conclue et que le rapport final et le dossier d’enquête seront transmis à la chambre de jugement. »; article 68 : « Le rapport final doit contenir tous les faits et toutes les preuves recueillies, mentionner la potentielle infraction et comporter une recommandation à l’attention de la chambre de jugement sur les mesures appropriées à prendre. ». En évoquant dans les motivations de sa décision seulement les alinéas 1 et 2 de l’article 28 du Code éthique, Mme Klevo se rend coupable de tentative de manipulation des textes à des fins inavouées, et de tentative d’usurpation de compétences que ne lui reconnaît pas la loi.

Incompétence à connaître de ce dossier

Mme KLEVO, légalement, est incompétente pour connaître de cette affaire Gbikinti/Maranatha – FTF. D’après l’article 35 du Code Ethique, « les membres de la Commission d’Éthique doivent se récuser et ne pas participer aux enquêtes ni aux auditions lorsque des motifs sérieux peuvent mettre en doute leur impartialité ou leur neutralité. Tel est notamment le cas : a) si le membre en question est directement intéressé au sort de l’affaire ; b) s’il a personnellement un parti pris ou un préjugé concernant une partie, s’il a une connaissance personnelle de faits probatoires contestés au sujet de la procédure, s’il a exprimé une opinion au sujet de l’issue de la procédure, si sa famille proche est partie du sujet de la controverse ou partie de la procédure elle-même, ou enfin si le membre a un quelconque autre intérêt pouvant affecter de manière déterminante l’issue de la procédure et son impartialité… ». Il se trouve que Mme Klevo est une très proche, sinon une confidente de Gabriel Ameyi, président de Maranatha FC, l’un des deux clubs accusés dans cette affaire. C’est d’ailleurs le club Maranatha qui l’avait proposé pour élection à ce poste. Le Comex aurait manqué à ce niveau de vigilance, il avait le droit de la récuser, il avait le droit de la récuser tout simplement.

Des preuves de la FTF rejetées

Un incongruité scandaleuse. La chambre d’instruction aurait refusé de prendre en compte les preuves que la FTF a réussi à réunir. « Attendu qu’aucun enregistrement audio ou vidéo n’ont été produits; », lit-on dans les motivations de la décision de la chambre d’instruction. Comment Mme Klevo peut conclure qu’il n’a été produit aucun enregistrement vidéo ou audio à partir du moment où elle a refusé radicalement de recevoir les preuves que la FTF s’est donné les moyens de réunir? Mme la présidente ne s’est véritablement pas investie à la recherche de preuves dans cette affaire au point de refuser de recevoir des preuves que le plaignant veut verser au dossier, alors que l’article 52 du Code le lui impose: « le fardeau de la preuve des infractions aux dispositions du présent code incombe à la commission d’éthique. » En pleine procédure d’enquête, la chambre d’instruction aurait saisi le Comex pour lui faire part des difficultés à réunir les preuves. Le Comex, plaignant à qui incombe la production des preuves, a sollicité, par voie de courrier la Gendarmerie aux fins de mener les enquêtes. La chambre d’instruction a été informée de cette démarche, et la réponse positive de la Gendarmerie lui a même été signifiée. Mme Klevo ne s’est jamais opposée à la procédure. Ayant eu écho de la tournure positive des enquêtes menées par la Gendarmerie dans le sens de la culpabilisation effective des accusés, entre-temps, la présidente de la chambre d’instruction saisit le président de la FTF pour lui annoncer que les résultats des enquêtes parallèles de la FTF n’engagent pas la chambre d’instruction. En totale violation des textes. En agissant ainsi, Mme Klevo, juge censée œuvrer de tous ses pouvoirs à la manifestation de la vérité s’érige en obstacle à la manifestation effective de cette vérité. A la lueur de l’article 49 du Code éthique: « les preuves qui sont contraires à la dignité humaine ou ne permettent manifestement pas d’établir des faits pertinents doivent être refusées »; ce qui n’était pas le cas pour le Comex. La chambre d’instruction n’a même pas admis les preuves du Comex pour juger de leur pertinence ou non. L’article 50 dispose:  »la Commission d’Ethique apprécie librement les preuves », mais comment peut-elle apprécier les preuves si elle ne les admet pas en amont? Seule la chambre de jugement a prérogative, d’après les dispositions de l’article 71, à rejeter des preuves soumises par une partie:  » La chambre de jugement peut rejeter les demandes motivées d’admission de preuves qui lui sont soumises par des parties ». Il faut rappeler que ce n’est pas la première fois qu’une entité de la FTF a recours aux forces de l’ordre pour prendre des décisions. Plus d’une fois au cours de la saison dernière, la Commission de discipline se serait appuyées sur les rapports de la Gendarmerie pour agir, en toute légalité.

Discordance des membres de la chambre d’instruction

La partialité évidente et la violation des règles professionnelles qui ont émaillé le traitement de cette affaire ont très vite créé une division des membres de la chambre. Il s’est installé un climat de méfiance, ce qui a conduit à un moment donné à la mise en quarantaine du rapporteur de la chambre, en la personne de Me KPOMAHE; conséquence, sur plusieurs enquêtes de terrain, ce dernier était absent du groupe. La décision rendue par la chambre d’instruction a été signée par la présidente et son vice-président, or d’après les textes, les décisions de la Commission d’éthique, au regard de l’article 79, alinéa 2, sont cosignées par le président de la chambre d’instruction et celui de la chambre de jugement. Si ce fut un rapport à transmettre à la Chambre de jugement, il doit être signé par la présidente et le rapporteur; ici, il s’agit d’une décision. La signature du vice président compromet gravement la valeur juridique du document. Eu égard à tout ce qui précède, la décision N°001/2017/CI/CE/FTF du 7 août 2017 de la chambre d’instruction de la commission d’éthique est nulle et de nul effet.

Recours

D’après nos informations, le Comex, contrairement à tout ce qui se dit et se lit sur les médias, n’a jamais saisi la chambre de jugement après la décision de la chambre d’instruction qui, dans le cas d’espèce, n’a pas compétence à agir. Le Comex, agissant de plein droit, a saisi la Commission de recours pour former appel contre la décision inique N°001/2017/CI/CE/FTF. Il n’est pas dit et scellé, qu’à l’issue de cet appel, la FTF devrait forcément avoir raison, il n’est pas également préétabli que les travaux de la commission de recours doivent obligatoirement déboucher sur la déculpabilisation de Gbikinti et de Maranatha. Tous les yeux sont rivés sur cette commission, de qui tout le monde attend que le droit soit dit, en toute équité. Ce qu’il faut relever de très important dans cette affaire, c’est tout simplement que le comité exécutif n’a fait qu’exercer son droit sur toute la ligne, on ne peut pas lui reprocher d’avoir agi dans le respect scrupuleux des textes. On peut constater aujourd’hui que dans l’ organisation et le fonctionnement de la FTF à l’ère Guy Colonel Akpovy, toutes les commissions fonctionnent en toute indépendance, et aucune pression interne n’est exercée sur un acteur ayant un pan de pouvoir. Ce qui présage des lendemains meilleurs pour notre football.

Yves GALLEY, LA SYMPHONIE N°102 DU 28 AOUT 2017

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