On sentait ce tourbillon venir après les perquisitions de la police judiciaire le 12 avril dernier au siège du Groupe Bolloré Africa Logistics à Puteaux dans les Hautsde-Seine en France. Deux semaines plus tard et plus précisément le mardi 24 avril le « Grand » Vincent Bolloré se retrouve dans la nasse. Le tout-puissant Bolloré et deux de ses collaborateurs Gilles Alix, Directeur Général du Groupe Bolloré et Jean-Philippe Dorent, responsable du Pôle international de l’Agence de Communication Havas se sont retrouvés dans les locaux de la police judicaire à Nanterre. A l’issue de sa garde à vue, selon les informations du Monde, confirmant celles de Challenges, le milliardaire breton a été déféré devant les juges d’instruction, mercredi 25 avril en fin d’après-midi. M. Bolloré est visé par une information judiciaire ouverte notamment pour « corruption d’agents publics étrangers » et portant sur les conditions d’obtention en 2010 de deux des seize terminaux à conteneurs opérés par le groupe Bolloré sur le continent africain, l’un à Lomé, au Togo, l’autre à Conakry, en Guinée.
Les magistrats soupçonnent les dirigeants du groupe d’avoir utilisé leur filiale de communication Havas pour faciliter l’arrivée au pouvoir de dirigeants africains en assurant des missions de conseil et de communication sous-facturées. Et ce, dans un seul objectif : obtenir les concessions portuaires des lucratifs terminaux à conteneurs.
Selon Challenges, Francis Perez, dirigeant du groupe Pefaco a lui aussi été placé en garde à vue. Proche de M. Dorent, il est à la tête d’une entreprise qui développe des casinos et des hôtels en Afrique et notamment à Lomé. Les enquêteurs cherchent à savoir pour quelle raison il a versé plusieurs centaines de milliers d’euros à M. Dorent. « Un prêt pour une maison », avait-il assuré au Monde en 2016.
M. Dorent s’était occupé d’une partie de la campagne présidentielle guinéenne en 2010 pour le compte du candidat Alpha Condé, rentré de son long exil parisien au cours duquel il s’était lié d’amitié avec M. Bolloré. Cette même année 2010, M. Dorent avait aussi été chargé d’une partie de la communication du jeune président togolais, Faure Gnassingbé, toujours au pouvoir aujourd’hui. Le fils de Gnassingbé Eyadema, resté 38 ans à la tête de ce pays d’Afrique de l’Ouest, était alors candidat à sa propre réélection.
Selon les informations du Monde, la police a saisi de nombreux documents à l’occasion de perquisitions réalisées en avril 2016 au siège du groupe Bolloré à Puteaux (Hauts-de-Seine). Ceux-ci laissent apparaître les pratiques de l’entreprise au Togo et en Guinée et corroborent l’hypothèse d’une sous-facturation des prestations d’Havas au bénéfice des dirigeants de ces deux pays.
D’après les premiers éléments de l’enquête, Vincent Bolloré et ses collaborateurs mis en examen en même temps que lui – Jean-Philippe Dorent et Gilles Alix, sont soupçonnés d’avoir sous-facturé les services de l’agence de communication Havas Worldwide (feu Euro RSCG), filiale à 60 % du groupe Bolloré, auprès du président Faure Gnassingbé. En échange, ce dernier leur aurait accordé la concession du terminal à conteneurs, géré jusqu’alors par Progosa.
Dès l’annonce du placement en garde à vue de Vincent Bolloré, l’entreprise contestait, dans un communiqué, l’hypothèse des magistrats parisiens : « La partie transport du Groupe Bolloré a investi en Afrique bien longtemps avant la prise de contrôle d’Havas pour des concessions portuaires dont le succès dépend d’investissements colossaux et nécessite une expertise de haut niveau. »
Concernant le volet togolais de l’enquête, le groupe ajoutait que « les concessions obtenues au Togo l’ont été en 2001, bien avant l’entrée du groupe dans Havas ».
Mais selon des documents dont la teneur a été révélée le 27 avril par le quotidien français Le Monde, les enquêteurs français sont intrigués par la « sous-facturation des prestations » de la campagne électorale du président togolais. Estimées à 800 000 euros, celles-ci auraient pourtant été facturées seulement 100 000 euros, sur « instructions données par Vincent Bolloré et Gilles Alix».
Le 24 mai 2010, deux mois après la victoire à l’élection présidentielle de Faure Gnassingbé (avec 60,92 % des voix), un avenant au contrat de concession portuaire a été signé, « portant entre autres sur la construction d’un troisième quai » par Africa Bolloré Logistics.
Dans son interrogatoire, le PDG du Groupe Bolloré a assumé la prestation de sa filiale de Communication Havas pour le compte des candidats Faure Gnassingbé en 2010 et Alpha Condé en 2011 mais rejette tout lien avec l’obtention de la concession portuaire de Conakry et de Lomé. Un argumentaire sur la diminution des coûts de communication des deux candidats démonté par son collaborateur Gilles Alix, qui a plutôt déclaré aux juges dont Serge Tournaire connu pour avoir mis en examen quelques mois plus tôt un certain Nicolas Sarkozy, « on l’a décidé pour avoir une assise politique afin que les activités économiques prospèrent. Bolloré était au courant. Il était d’accord sur le principe sans connaître le montant ».
Voilà qui est clair. C’est dans ces propos que tout semble clair pour Togolais et Guinéens. Beaucoup plus dans le cas particulier du Togo, il s’agit d’un axe familial en intelligence avec Bolloré pour hypothéquer tout le Port de Lomé, principal poumon de l’économie du Togo.
Bolloré, Faure, Gafan, Bolouvi, l’axe de la grande corruption et du pillage du Port Autonome de Lomé
Faure Gnassingbé est connu dans sa forte propension à ramener toute la gestion du pays à l’échelle de ses frères nés de sa mère Sabine Sena Mensah et amis. Dans la reconstitution de ce dossier qui a abouti à la concession du port Autonome de Lomé au Groupe Bolloré, Faure Gnassingbé s’est appuyé sur les enfants de sa mère biologique.
Aujourd’hui, le plus en vue est Patrick Senam Kodjovi Bolouvi, son demi-frère de même mère, propulsé à la tête de Havas Media Togo et Bénin en juillet 2011, quelques mois après la réélection de Faure. Le confrère français « Le Monde » sur son site le 28 avril 2018 révélait « un mystérieux Patrick Bolouvi intégré en novembre 2010, sept mois après la réélection de Faure Gnassingbé et puis, nommé en juillet 2011 à la tête de Havas Media Togo. Ce cadre inconnu intrigue et agace en interne, selon plusieurs correspondances saisies par les enquêteurs, car il ne fait pas grand-chose « refuse d’aller à la mine », ne répond ni aux courriels ni aux appels. Entre son salaire (5200 euros par mois), sa voiture, son loyer, ses déplacements, M. Bolouvi coûte 8500 euros par mois. Il est le directeur-pays le plus cher dans un petit marché et il n’a apporté aucun client à Havas Media Togo dont les pertes préoccupent les responsables du groupe. Ce qu’ils ignorent, c’est que M. Bolouvi est le demi-frère du président togolais et que c’est Vincent Bolloré lui-même qui a donné l’impulsion pour son embauche. Intouchable donc. C’est Gilles Alix qui a fixé son salaire. Son poste a l’air d’un emploi fictif, mais l’investissement est utile pour renforcer les liens entre le groupe et la présidence ». 8 500 euros, soit 5.567.500 de francs FCFA à ne rien faire, il faut être le frère cadet de Faure Gnassingbé pour mériter cette largesse.
Outre Bolouvi, le Groupe Bolloré est dirigé au Togo par l’ancien cycliste Charles Kokouvi Gafan, beau-frère du chef de l’Etat. Connu pour sa suffisance et son air grandiloquent ; Gafan émarge aussi à plusieurs dizaines de millions comme salaire et n’a été nommé à la tête de Bolloré Africa Logistics et Togo Terminal parce qu’il a épousé une sœur de Faure Gnassingbé.
Gafan à la tête du Groupe Bolloré au Togo et Bolouvi à la tête de Havas Media Togo et Bénin, deux postes stratégiques pour mieux contrôler l’axe de la grande corruption. Bien évidemment, ce sont autant d’éléments qui sont susceptibles de constituer des contreparties constitutives de faits de corruption selon la justice française.
Il suffit de constater le silence assourdissant autour de cette affaire pour mieux comprendre l’embarras de Faure Gnassingbé et sa famille.
A ce jour, le contrat de concession pour 35 ans du Port du Togo au Groupe Bolloré reste confidentiel. Malgré les interpellations des députés et du chef de file de l’opposition Jean-Pierre Fabre, c’est bien la grande omerta. Lorsqu’on avance le montant de 300 milliards FCFA pour la construction du 3ème quai, beaucoup de Togolais ont crié au scandale.
Comment peut-on cacher le contrat de concession de tout un patrimoine de l’Etat au peuple ? On se rappelle que Charles Gafan vantait le Terminal à conteneur qui « va permettre de doubler la capacité du Port avec l’accueil et le stockage », où en est-on aujourd’hui ? « La douane et les impôts seront les grands bénéficiaires avec un volume annuel traité beaucoup plus important, donc davantage de ressources pour l’économie nationale ».
Que du leurre ! Pendant que les chiffres d’affaires de Bolloré tournaient autour de 2,5 milliards en 2017 en Afrique, la contribution au budget national de tout le port du Togo reste insignifiant. Que procurent les activités de Bolloré au Togo ? Rien du tout.
La loi des finances indique que le Groupe Bolloré a payé aux impôts 1,261 milliards en 2017 et 97,468 millions en 2018. Le Groupe ayant fait main basse sur tout le Port en faisant disparaître plusieurs sociétés à son profit et s’opposer au paiement des factures au Guichet SEGUCE, tout est fait pour que Bolloré, Faure et ses frères puissent faire le maximum de profit à eux au détriment du pays sinon comment comprendre que les dividendes de tout le Port au budget national soit 1,4 milliards en 2017 et 2 milliards pour 2018 ?
L’autre élément clé sur lequel s’appuie le réseau mafieux de Faure Gnassingbé reste le Directeur Général du Port le ContreAmiral Fogan Kodzo Adégnon, un proche de la mère de Faure Gnassingbé.
Indépendamment des actions antérieures, les députés de l’opposition, l’opposition dans son ensemble et la société civile doivent corser les démarches pour démasquer une fois pour de bon cet axe familial qui détruit l’économie nationale.
Bolloré étant en chute libre, il faudra lui donner l’estocade. En Italie, malgré une position de premier actionnaire, Bolloré vient de perdre le contrôle de l’opérateur Télécom Italia, une semaine après sa mise en examen. Une déconvenue qui s’ajoute à d’autres puisque l’industriel français a dû jeter l’éponge après avoir tenté de grignoter Ubisoft, l’éditeur de jeux vidéos.
Après ce vaste scandale, Gilbert Bawara, le ministre de la Fonction Publique, une des porte-voix de Faure Gnassingbé, se permet de dire que « le Togo n’est pas mêlé à cette histoire. Le Port de Lomé est le seul port dans la sous-région à respecter scrupuleusement les conditions de passation de marchés ». Diantre ! Il faudra une grande mobilisation pour que cessent ces pratiques nuisibles à l’économie togolaise.
A suivre.
Kokou AGBEMEBIO
Source : www.icilome.com