“Je lève les yeux vers les montagnes : d’où le secours me viendra-t-il ?
Le secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre” (Ps 120, 1-2).
Chers fils et filles du Togo,
À un moment donné de l’histoire de notre Nation, des voix s’étaient levées pour reprocher à l’Eglise catholique de garder un silence complice face à certaines situations sociopolitiques. Aujourd’hui, c’est peut-être le sentiment contraire que certains peuvent éprouver. En tout cas, comme dit Qohélet : “Il y a un temps pour chaque chose : un temps pour se taire, et un temps pour parler” (Qo 3, 1.7b). La Conférence des Evêques du Togo n’a jamais cessé, chaque fois que les circonstances l’exigent, de prendre la parole pour proclamer la vérité, dénoncer l’erreur et éclairer les consciences de leurs concitoyens sur la voie à suivre pour le développement intégral de notre pays. Dans le cadre de sa mission, elle a souvent aussi tiré la sonnette d’alarme chaque fois que notre pays a pris une direction qui l’éloigne du bonheur auquel aspirent tous ses enfants.
Une fois encore, les cœurs des Togolaises et des Togolais ne sont pas à la joie à l’approche des fêtes de fin d’année. Plutôt que de susciter la fierté et l’engouement de pouvoir choisir librement leur futur Président de la République, la perspective des prochaines élections présidentielles ravive dans la mémoire de nos compatriotes le souvenir amer de scènes de violence et d’horreur qui, malheureusement, ont souvent caractérisé ce type d’échéance électorale. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les Togolais sont inquiets ; ils redoutent la réédition du scénario auquel nous ont habitués les consultations électorales dans notre pays : élections entachées d’irrégularités suivies de contestations, de manifestations populaires, de répressions sanglantes, de dialogue et d’accords non suivis, d’élections qui se succèdent sans de réelles avancées, ainsi de suite…
C’est pour remédier, tant soit peu à cette situation préoccupante que la Conférence des Evêques du Togo a, en novembre 2018, appelé à “la mise en œuvre des réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales, seules susceptibles de garantir des élections libres, transparentes et crédibles, gages d’une paix durable” et “éviter le désastre”.
A ce manque manifeste de volonté politique de construire un Etat de droit et démocratique, s’ajoute le fait d’avoir au Togo une opposition qui semble ne pas savoir ce qu’elle veut, et donne l’impression de manquer de vision. En effet, les objectifs autour desquels se sont souvent conclues des alliances saisonnières, sporadiques et circonstancielles entre des partis de l’opposition se sont toujours révélés être les causes de leur implosion.
On voit pointer à l’horizon le même scénario lorsque, à peine les dates des prochaines élections présidentielles annoncées, on assiste à une avalanche de déclarations de candidatures, apparemment plus préoccupées les unes et les autres par des intérêts personnels que par une réelle volonté de conquérir et d’exercer le pouvoir pour le bien de toute la Nation.
L’histoire de la douloureuse marche de notre pays vers la démocratie montre que chaque fois que l’alternance semble être à portée de main, elle achoppe sur ce comportement à la limite irresponsable de nos leaders politiques. Le peuple se trouve ainsi tiraillé entre ceux qui n’entendent lâcher aucune prise du pouvoir et ceux qui rêvent de le conquérir en s’appuyant sur lui. Les deux camps antagonistes ont en commun le manque d’amour et de respect pour la Mère Patrie et ses enfants, l’appétit vorace pour le gain facile sur le dos du misérable contribuable qui peine à satisfaire les besoins élémentaires. Les leaders politiques de notre pays sont manifestement plus préoccupés de leur confort personnel, ils ne se soucient guère du bien commun et du bonheur du peuple qui continue à croupir dans une misère indescriptible.
Les Evêques du Togo, solidaires du ” troupeau de Dieu qui leur est confié” et conscients de leur responsabilité de “veiller sur lui comme Dieu le veut” (1 P 5, 3), prennent une fois encore la parole pour dénoncer ce mal endogène qui gangrène la classe politique, éclairer les consciences sur la voie à suivre pour sortir notre pays du cercle infernal dans lequel l’enferment ses propres fils et filles qui le gouvernent ou qui aspirent à le gouverner.
Fidèle à sa mission d’être source de lumière et d’espérance pour les laissés pour compte, ceux qui ne savent plus à quel saint se vouer, l’Eglise ne peut pas rester indifférente devant la détresse du peuple ainsi exploité, asservi et traumatisé par ceux-là mêmes qu’il élit ou soutient pour assurer son bonheur. Ce combat est motivé par la conviction que la foi est d’abord un engagement aux côtés de ceux qui souffrent et qui crient leur détresse vers le Seigneur toujours attentif aux appels des malheureux.
Le relèvement de notre pays requiert la conversion de tous ses enfants. Car, depuis les décideurs jusqu’au citoyen lambda, nous sommes tous, à des degrés différents certes, responsables de la situation d’enlisement dans laquelle notre pays le Togo s’enfonce chaque jour un peu plus. Il n’y a pas d’un côté seulement des méchants et des bourreaux, et de l’autre des bons et des victimes innocentes. Tout le monde, d’une manière ou d’une autre, a sa part de responsabilité. Les exactions et les forfaits commis ici et là, sont perpétrés par des togolais contre leurs concitoyens, et parfois par ceux-là mêmes dont la mission est de les protéger et de les défendre. Nous invitons tous et chacun à l’honnêteté et à une réelle prise de conscience.
A l’approche des élections présidentielles, nous appelons tous les acteurs de la vie politique de notre pays à la raison et au sens de responsabilité devant le peuple et devant l’histoire. Nous invitons tout le monde à la retenue, à s’abstenir de toute forme de violence et de tout acte de provocation. Que la campagne se déroule dans un esprit de saine compétition et de fair-play, avec de grands débats sur les vrais problèmes de la société togolaise.
Pris en étau entre le pouvoir et l’opposition, certains se laissent aller au désespoir. A ceux-là et à tous les autres le Seigneur dit : “Soyez forts, prenez courage !” (Ps 30, 25). Nous sommes le peuple qu’il conduit de sa main. Nous avons du prix à ses yeux. Il ne nous abandonnera jamais. Il est notre Berger, rien ne saurait nous manquer, mais à condition que nous ne fermions pas nos cœurs à sa voix. C’est de Dieu, à qui rien n’est impossible, que viendra notre délivrance. Mais comme disait saint Augustin, Evêque d’Hippone, “Dieu qui nous a créés sans nous, ne nous sauvera pas sans nous”. Cela signifie que nous devons nous battre comme si tout dépendait de nous en attendant tout de Dieu, joindre l’action à la prière, demander la grâce de la conversion les uns pour les autres, mais surtout nous engager personnellement dans la dynamique du changement du cœur et des mentalités. La démocratie et l’Etat de droit ne sont pas des cadeaux qu’on reçoit d’un bienfaiteur magnanime sur un plateau doré. Ils se conquièrent, s’arrachent de haute lutte, au prix de nombreux sacrifices et de renoncement aux privilèges indus.
Nous exhortons à nouveau le gouvernement à opérer, dans l’intérêt supérieur de la Nation, les réformes indispensables à l’assainissement du cadre électoral avant les présidentielles de 2020 : revoir notamment, de façon plus concertée, la composition de la CENI et de la Cour Constitutionnelle pour les mettre au-dessus de tout soupçon de dépendance, réviser le Code électoral, établir un fichier d’électeurs fiable et crédible, etc. Que l’opposition politique, de son côté, se départisse des luttes mesquines et intéressées, travaille avec professionnalisme et civisme sur ces grands sujets, afin de proposer une alternative ancrée sur l’esprit de consensus et sur le respect mutuel.
Les Evêques du Togo exhortent tous les acteurs de la vie politique de notre pays et la communauté internationale qui nous accompagne à faire preuve de sincérité, de loyauté et de désintéressement pour faire entrer enfin notre pays, “l’or de l’humanité”, dans le concert des Nations modernes, fortes et démocratiquement civilisées. Ils lancent l’appel aux politiques Togolais, afin qu’ils surprennent positivement le monde qui nous regarde, en prenant leur responsabilité pour offrir enfin aux concitoyens, une élection paisible, libre, transparente et équitable.
Comme l’enseigne le Concile Vatican II, “les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve un écho dans leur cœur ” (Gaudium et spes, n°1). Les Evêques du Togo s’inclinent respectueusement devant la mémoire des concitoyens morts pour la Patrie et prient pour le repos de leurs âmes. Ils expriment leur compassion, leur proximité et leur solidarité aux familles éplorées, à toutes les victimes des violences sociopolitiques dans notre pays. Ils invitent toutes les composantes de la Nation à ne pas céder au désespoir, à la haine et au désir de vengeance, mais à garder confiance, à procéder à un changement fondamental du cœur indispensable à une paix et un vivre ensemble durables, à l’avènement d’un Etat de droit, juste et prospère.
En plus de la prière pour la paix au Togo, les Evêques invitent tous les fidèles à faire monter, avec ferveur, confiance et assurance, vers Dieu notre bouclier, cette prière du psalmiste, par l’intercession de Notre Dame de la paix, des Saints Jean-Paul II et Jean XXIII :
« Je lève les yeux vers les montagnes : d’où le secours me viendra ? Le secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre.
Qu’il empêche ton pied de glisser, qu’il ne dorme pas, ton gardien,
Non, il ne dort pas, ne sommeille pas le gardien d’Israël.
Le Seigneur, ton gardien, le Seigneur, ton ombrage se tient près de toi.
Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper, ni la lune, durant la nuit.
Le Seigneur te gardera de tout mal, il gardera ta vie.
Le Seigneur te gardera, au départ et au retour, maintenant, à jamais ».
(Psaume 120).
Fait à Lomé, ce 21 novembre 2019,
En la Mémoire de la Présentation de la Vierge Marie.
Ont signé :
S.E. Mgr Benoît ALOWONOU
Evêque de Kpalimé
Président de la C.E.T.
S.E. Mgr Denis AMUZU-DZAKPAH
Archevêque de Lomé
Vice-Président de la C.E.T.
S.E. Mgr Isaac Jogues GAGLO
Evêque d’Aného
S.E. Mgr Nicodème BARRIGAH-BENISSAN
Evêque d’Atakpamé
S.E. Mgr Jacques LONGA
Evêque de Kara
S.E Mgr Célestin-Marie GAOUA
Evêque de Sokodé
S.E. Mgr Dominique GUIGBILE
Evêque de Dapaong
S.E. Mgr Philippe KPODZRO
Archevêque Emérite de Lomé
S.E. Mgr Jacques N.T. ANYILUNDA
Evêque Emérite de Dapaong
S.E. Mgr Ambroise DJOLIBA
Evêque Emérite de Sokodé
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