Alors que le Togo s’achemine vers de nouvelles élections, le décisif débat sur le fichier électoral n’est toujours pas lancé par l’opposition. Et pourtant, tout semble se jouer là-bas !
A la veille de la présidentielle de 2015, c’était le débat majeur. La qualité du fichier électoral avait été bruyamment contestée par l’opposition. C’était d’ailleurs la pomme de discorde entre les participationnistes et les partisans du boycott, ces derniers estimant que sans les réformes qui devraient impliquer une refonte du fichier, la participation n’était pas opportune. Ceux qui sont allés, et qui d’ailleurs ont laissé des plumes dans cette campagne, ont estimé qu’une purification acceptable du fichier avait été faite et qu’ils pouvaient s’en contenter. Quoi qu’il en soit, le débat avait profondément divisé les Togolais.
Plus de deux ans après, rien n’a bougé. Le fichier est, au mieux, resté tel qu’il était à la présidentielle de 2015. Et nous sommes à un an des législatives et peut-être des locales aussi. « Selon les experts de l’OIF, 75% des inscrits l’ont été sur base de seuls témoignages, rendant impossible la vérification formelle de leur éligibilité, et près de 300 000 personnes étaient en possession d’une carte d’électeur dont le numéro ne correspondait pas au centre de vote dans lequel ils étaient affectés pour le scrutin présidentiel, induisant un risque de désorientation. Enfin, l’analyse des chiffres a révélé un taux d’inscription anormalement élevé (99,9%), marqué par de fortes disparités géographiques, dont une sur inscription saisissante dans certaines régions septentrionales, favorables au pouvoir », a relevé la Mission d’expertise électorale de l’Union Européenne sur la présidentielle du 25 avril 2015 au Togo.
La Mission a donc recommandé de « conduire un audit du fichier électoral existant, et engager une refonte du système d’inscription sur les listes électorales permettant son actualisation et une consolidation plus efficace par l’introduction d’un identifiant unique à chaque citoyen, une meilleure utilisation des données biométriques et le transfert de la technologie à l’administration électorale ».
A ce sujet, la 38e recommandation de la mission de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) du Général Siaka Sangaré précisait qu’ « il faudrait que pour chaque personne, un identifiant unique soit basé sur des données qui ne changent jamais, telles que: sexe, date de naissance, lieu de naissance, et un index, et une clé de contrôle ».
Même une organisation de la société civile qui n’a pas l’habitude de prendre des positions tranchées vis-à-vis du pouvoir, a recommandé de « faire l’audit du fichier électoral après chaque recensement biométrique par un organisme indépendant recruté sur appel d’offres international, avec l’implication active de la classe politique et de la société civile »
En 2015, les experts de l’Union Européenne se sont par ailleurs étonnés que « le suivi des recommandations formulées par les missions d’observation et d’expertise électorale que l’Union européenne a déployées au Togo 2007, 2010 et 2013 fait apparaître qu’elles ont dans l’ensemble été peu suivies d’effet ».
La preuve, en 2010 déjà, le rapport ayant sanctionné l’observation de la présidentielle de l’époque, faisait déjà remarquer que « l’absence d’un fichier d’état civil a rendu difficile la vérification de l’âge et de la nationalité des personnes souhaitant s’inscrire au fichier électoral révisé, ainsi que l’apurement des listes par élimination des données correspondant aux électeurs décédés. Les données brutes de la révision, partagées avec les partis politiques lors de la réunion organisée par la CENI le 21 janvier 2010, ont montré une progression de plus de 300 000 nouveaux inscrits. Ce chiffre représente environ 10% du fichier électoral final. Ces nouveaux inscrits étaient localisés pour 42,5% dans le nord, pour 27% environ dans le centre et pour 30% dans le sud du pays. Sur la base d’un fichier 2007 comptant 2 974 718 personnes inscrites, le fichier des inscrits pour 2010 s’est finalement élevé à 3 277 492 électeurs. »
Il apparaît clairement que la question d’audit et de purification du fichier n’est pas un débat partisan qui devrait justifier une quelconque opposition du pouvoir. Naturellement, il ne s’agit pas de compter sur la bonne foi. D’ailleurs, il ne lâchera pas aisément le morceau. Mais il faut l’y contraindre. Et surtout à temps. Il serait vraiment inconcevable que trois ans après une élection au cours de laquelle la question a été soulevée et le principe réitéré, que l’on se retrouve encore à la veille d’une nouvelle élection avant de ressusciter le débat, prenant le risque de se voir opposer la contingence du temps. Le fait que la recommandation revienne depuis plusieurs décennies dans les rapports pourrait être un atout pour mobiliser la communauté internationale autour de cette question et forcer la main au régime à jouer pour une fois la carte de la transparence. Si certains peuvent parfois s’abstenir de se mêler de certaines questions comme celle des découpages, la jugeant comme étant des choix regardant plus les Togolais eux-mêmes, on ne peut reprocher à l’opposition de faire de l’activisme autour de la question de la réclamation de la transparence, surtout que cela représente le suivi d’une recommandation émise par plusieurs observations électorales.
S’il y a un seul parti qui a intérêt que ce débat ne soit pas évoqué à temps, c’est le Rpt-Unir. Les éventuels alibis de manque de temps et de moyens évoqués les veilles des élections ne peuvent plus valoir actuellement, vu que les partenaires pourraient d’ailleurs appuyer le processus. C’est le moment où jamais pour l’opposition d’éprouver la bonne foi ou démontrer la mauvaise foi du régime et rendre leur cause indéfendable aux yeux de leurs soutiens et lobbies internationaux.
Il est vrai que le fichier électoral n’est pas la seule réforme électorale dont le Togo a besoin. Mais il faut savoir fixer les priorités et s’inscrire dans des démarches stratégiques qui sont les plus susceptibles d’aboutir. A moins qu’on ait décidé de ne plus participer à aucune élection, avant d’avoir obtenu toutes les réformes voulues. Ce qui ne semble pas le cas.
Il ne faut pas oublier que la démobilisation des électeurs qui s’est traduite par un fort taux d’abstention en 2015 a été justement provoquée par le fait que l’opposition ait accepté d’aller à une élection avec un fichier corrompu mais tout juste « consensuel ». Beaucoup de citoyens n’ont pas pardonné cette « incohérence » aux participationnistes. Aller à une autre élection dans les mêmes conditions, sans s’être battu pour obtenir un minimum de transparence serait lourd de conséquences.
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