Au 37e sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine, organisé à Lusaka en Zambie en juillet 2001, un plan dénommé Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) avait été adopté. Il était présenté comme une vision et un cadre stratégiques de développement pour l’Afrique du XXIe siècle. Ses objectifs étaient de réduire la pauvreté, de promouvoir la croissance économique, le développent durable et d’intégrer l’Afrique dans l’économie mondiale. Partout en Afrique on ne parlait que du NEPAD et plusieurs grandes messes ont été organisées ; le président Abdoulaye Wade était un des grands prêtres de cérémonie. Mais qu’est devenu le NEPAD ? Quel bilan a été fait de ce qui était pris comme le messie africain pour le XXIe siècle? Le XXIe siècle africain serait-il déjà passé ?
Nous y sommes et pourtant le NEPAD a été enterré depuis même sans funérailles surtout par nous qui, en Afrique, accordons du temps aux cérémonies funéraires, car nous croyons en l’existence d’une autre vie et les rites funéraires ont dans nos cultures une importance puisqu’ils expriment notre vision de la vie qui va au-delà du visible pour entrer dans le cercle des Ancêtres. L’inexistence de ces cérémonies ne traduit-elle pas déjà notre propre conviction que le NEPAD ne pouvait en aucun cas revivre ni revenir même pas par un processus de réincarnation?
Et pourtant, l’inattendu se fait jour avec la mystérieuse apparition d’un plan (PND) qui reprend les mêmes objectifs. On dirait un NEPAD morcelé qui, après avoir échoué en enrichissant une minorité et en rendant la majorité des populations africaines plus pauvres, est devenu un Plan National de Développement par pays. Puisqu’il y a un PND au Burkina, au Bénin, en Côte d’Ivoire et Togo et il semble que c’est grâce au PND que le Rwanda serait devenu l’Eldorado africain mais qui veut véritablement le modèle rwandais ? On peut bien se demander dès lors quel organisme international se trouve à la base de l’élaboration de tels plans avec les mêmes noms comme une potion magique ?
Dans l’exubérance du NEPAD, il y a eu la fameuse querelle entre les présidents Yahya Jammeh et Abdoulaye Wade. Le premier, dans une rare phase éclairée, s’était demandé comment les grands présidents africains qui se disent intellectuels comme Wade peuvent penser que pour développer leur boutique ils doivent aller tout recevoir des Occidentaux ? Et en guise de prophétie il avait dit que Wade et ses pairs n’iront pas loin avec le NEPAD. Peut-on dire qu’il a eu tort aujourd’hui ? Qu’est-ce que le NEPAD a apporté aux Africains ? Pourquoi la logomachie avec des sigles ronflants va continuer à prendre le dessus sans un véritable effort de pensée collective ?
Ce n’est pas l’existence de tous ces plans qui posent problème mais une façon de procéder que nous avons déjà dénoncée dans la Tribune du 23 novembre 2018 et qui avait pour titre «Penser par procuration ? ». Roger Ekoué FOLIKOUE écrivait ceci : « Au nom de prétendus liens privilégiés nous recevons sans cesse des injonctions nommées pudiquement recommandations fermes pour aller dans telle ou telle direction politique ; nous recevons des experts pour nous expliquer comment conduire et gérer notre système scolaire, notre système de santé, notre agriculture, notre économie, etc. Pourtant nous avons été formés dans les mêmes écoles que les experts et nous avons l’avantage d’une meilleure connaissance du terrain qu’eux…
Quel déni de la capacité de jugement aux êtres rationnels et compétents que nous sommes ? »
Tout comme le NEPAD le PND ressemble non seulement à un parachutage mais plus encore constitue dans sa conception même un dénigrement de notre capacité collective d’innover et de sortir des chemins battus. Son péché originel est d’être une forme de plan par procuration avec lequel les décideurs fonctionnent dans nos pays.
Se rend-on compte du degré de gravité de ce que véhicule le PND dans son essence même ? Le PND exige un investissement économique mais aussi humain car l’Homme demeure le capital premier de tout développement. Mais comment cet être humain peut-il se mobiliser et se découvrir acteur de la transformation de son milieu quand il n’est pas associé à ce qui est pensé et projeté pour son bien ? Pourquoi alors avons-nous investi dans les systèmes scolaires de notre pays pour former des gens sans les consulter ? Est-ce de l’investissement dans le vide ? Est-ce une preuve de la panne de notre système éducatif qui devrait prendre en compte toutes les dimensions de l’humain afin de lui redonner confiance pour que chacun se découvre acteur et transformateur de notre milieu? Un système éducatif en tant que processus d’humanisation peut-il être crédible s’il ne remet pas les hommes et les femmes debout en réveillant en eux leur faculté créatrice et leur capacité d’innovance pour parler comme le philosophe congolais KA Mana ?
Continuer à demander des sacrifices aux populations sans offrir de véritables pistes de l’amélioration du mieux-être ressemblerait à un « via crucis » sans une rédemption issue de la transfiguration de notre être et des différentes structures dans lesquelles se déroule notre existence. Ce serait en définitive une forme de double peine car il y a beaucoup de sacrifices sans espoir de résurrection et de salut.
Alors :
– Il est temps de dire non à ceux qui se croient encore à l’époque où la majorité était réduite au silence par une minorité qui se donne toutes les prérogatives.
– Il est temps de croire que nous sommes tous doués de raison et que la mise sous tutelle ne résulte donc pas d’une incapacité ontologique et que la politique de la pensée par procuration ne peut plus avoir droit de cité si nous décidons d’être des sujets de notre histoire, du développement de notre pays et de notre continent.
– Il est temps de reconstruire un autre Togo avec des gens de toutes les couches sociales en faisant de la reconnaissance de chacun et de ses talents des facteurs de transformation et de construction sociale.
– Il est temps de savoir, avec Joseph Ki-Zerbo, qu’on ne se couche pas indéfiniment sur la natte des autres lorsqu’on veut le développement de son pays et de son continent.
– Il est temps de savoir, avec Cheikh Anta Diop, que l’émergence de notre pays et de notre continent dépend de notre capacité de nous projeter ensemble dans l’avenir en « réveillant le colosse » qui est en chacun de nous par un processus de confiance dans un système éducatif à réinventer pour plus d’efficience.
– Il est temps de penser la politique comme véritable force transformatrice de nos sociétés et non, comme l’écrit Tidiane Diakité, simple moyen de nous enrichir ou d’être une personnalité. Car être quelqu’un c’est marquer son temps, son pays et son continent.
– Il serait enfin temps de faire sortir les différents slogans et sigles d’une véritable vision politique qui permet à tous les citoyens d’agir en commun en vue de l’intérêt général. C’est en cela que l’espérance conduira à donner corps à une réalité projetée dans l’avenir et dont les applications commencent dans le présent.
Source : www.icilome.com